Cossic, Breton et poète farouche
Comme Guillevic, Cossic ne signe plus ses poèmes ou ses recueils que de son nom patronymique. Il en a pourtant publié aussi en y adjoignant son prénom, Yves, que ce soit chez Oswald, à Folle Avoine déjà ou chez d’autres éditeurs du sud de la France, où il vit aujourd’hui, tout près de Pamiers dans le département de l’Ariège.
C’est là qu’il a posé son sac au terme d’une carrière d’enseignant itinérant, qui l’a mené en Algérie, au Burundi, au Congo, et dans l’Aveyron. Originaire comme moi-même de Buhulien, ancienne commune désormais intégrée à Lannion (actuelles Côtes-d’Armor), il avait été étudiant à Nantes, où il avait suivi un cursus de philosophie, tout en prenant des responsabilités au sein de l’UNEF, le syndicat étudiant à l’époque.
Au croisement inattendu de deux langues, le breton et le rundi
Toutes ces pérégrinations ne lui ont pas fait oublier le breton qu’il connaît depuis l’enfance, bien qu’il regrette de n’avoir jamais appris à l’écrire. Entretemps, il a un peu appris le rundi, la langue bantoue que parlent plus de douze millions de personnes au Burundi et dans les territoires limitrophes de pays voisins. Et c’est ainsi qu’il en est venu à publier aux éditions Folle Avoine les Proverbes du Farouche au croisement inattendu de ces deux langues.
Le proverbe, assure Marguerite Biguereau dans sa préface, "c’est le peuple de la terre qui parle." Elle perçoit une différence entre la parole du paysan breton et celle du berger rundi. Celle du premier est "retenue avec un souci de la rime et du rythme", quand celle du second "prend des formes multiples [héritées] d’une longue tradition poétique." J’en verrais bien une autre, puisque les paysans ne s’expriment plus guère en proverbes, d’autant moins qu’ils ne parlent plus beaucoup le breton. Les proverbes bretons sont aujourd’hui comme figés, me semble-t-il, dans la transcription qui en a été faite lors de collectages de longue date.
Cossic reconnaît lui-même qu’il a repéré ceux dont il propose la traduction dans une compilation récente. Ses proverbes rundis proviennent d’une anthologie parue en 1973 dans une collection de classiques africains, mais dont on peut penser qu’ils sont toujours en usage au sein d’une société qui s’exprime majoritairement en rundi. Tant et si bien qu’à ses yeux, dans l’un et l’autre cas, ce sont des "traditions d’un passé très lointain, qui donnent à la succession des générations le sens d’une continuité vivace."
L’éthos archaïque des Bretons
Connaissant l’une et l’autre langue, le poète Cossic entreprend, avec la complicité d’un ancien camarade de lycée à Lannion, Marcel Diouris en l’occurrence, "de faire renaître l’éthos archaïque des bretons (sic), le caractère et les mœurs d’un peuple ouvert à la diversité du monde."
Photo ci-contre : Cossic, à gauche, et Marcel Diouris.
Résultat : la version française des proverbes bretons et rundis qu’il a réunis dans son opus n’est pas une traduction et surtout pas une traduction littérale. C’est une transposition, une restitution et plus qu’une interprétation, une réécriture (au risque parfois d’un contresens assumé), en une autre langue, celle dans laquelle ont été rédigés la douzaine et quelques de recueils qu’il a déjà publiés, le français.
Disons-le sincèrement : une telle recréation donne à ces proverbes un nouveau souffle bienvenu. Ne s’en rendront compte que ceux qui ont aussi la connaissance du breton. J’illustre dès lors mon propos par les deux exemples suivants. Se succéderont : 1. la version bretonne originale 2. La version française de Cossic (en gras) 3. Une traduction littérale.
- 1. Ne vezo ket leun ar zolier
- Ma vez heol tomm da viz genver.
- 2. Soleil ardent en janvier
- Maigre moisson au grenier.
- 3. On ne remplira pas le grenier
- Si le soleil chauffe en janvier.
- 1. Breton biskoaz
- Trubarderezh a reas
- 2. Tout breton (sic) fidèle
- Vole d’une aile
- Universelle
- 3. Jamais Breton
- Trahison ne fit.
Le monde rundi en proverbes et épigrammes
Pour les trois ou quatre chants du Barzaz Breiz dont Cossic s’est très librement inspiré, la distance est maximale entre la langue source qu’il maîtrise (soit le breton ou la traduction française de La Villemarqué, dont il s'éloigne beaucoup) et la langue cible qui révèle la démarche du poète. Lui-même fait état d’une distance "intempestive, celle du Farouche" qui ne se laisse pas apprivoiser. Diougan Gwenc'hlan que La Villemarqué traduisait par La prophétie de Gwenc'hlan, devient ainsi "La prémonition de Gwenc'hlan" sous la plume du poète. Lequel n’hésite pas à utiliser des termes dont la connotation est aujourd’hui bien plus marquée, comme "Le maquis d’Arthur".
Les proverbes et épigrammes rundis font entrer le lecteur dans un autre univers, plus rude et plus cru peut-être même, alors que vaches et coqs lui sont aussi familiers que là-bas. La mélopée de la baratte pourrait être aussi bretonne que rundi, d’autant que de jeunes paysans et paysannes s’en servent à nouveau par ici pour fabriquer leur beurre à la ferme. "Igihozo", berceuse en rundi, est un vrai bonheur de sérénité :
- Doux bambin,
- Toi, qui palpites du cœur
- Dans le chaud des mamelles
- À l’ombre du grand Arbre
- Respire, respire tranquillement
- Dans le tremblement des fleurs.
Cossic apparaît aussi farouche que ses proverbes : il est invisible sur internet et réfractaire au digital. C’est pourtant un auteur à découvrir. Il ne cherche pas à réactiver la nostalgie des temps anciens face à la fuite en avant de l’époque de rentabilité et de trafics que nous vivons. Sa tentation pour "un retour à des sources païennes enfouies sous les strates de [l’]histoire" est sans doute illusoire. Par contre, la conviction qu’il partage avec les éleveurs du sud Kiwu selon laquelle "jouir du monde exige juste concorde" devrait recueillir l’assentiment de (presque) tous.
Une dernière brève remarque concernant l’édition, car ce recueil aurait gagné à une relecture finale avant impression pour éviter diverses coquilles tant en breton qu’en français (en rundi, je ne sais pas !), et peut-être une mise en page plus adaptée. La lecture de l'ensemble sur un beau papier n’en reste pas moins agréable.
Cossic. Proverbes du Farouche. Bédée, éditions Folle avoine, 2020, 53 p. 12 €
Le site de l'éditeur : http://www.editionsfolleavoine.com/
Remerciements à Marcel Diouris pour services rendus.