Un colloque inédit du CRBC sur les victimes de l’année 1944
L’argumentaire du colloque
Les commémorations des grands événements historiques sont l’occasion pour les historiens et les historiennes de faire le point sur l’état de la recherche. En 2024, le 80e anniversaire de la libération de la France s’inscrit dans cette perspective. Depuis près d’un demi-siècle, de multiples travaux historiques menés à partir des archives publiques et privées et du recueil de témoignages oraux des acteurs ont étudié de nombreux aspects de la période de la Seconde Guerre mondiale :
- régime de Vichy,
- collaboration et collaborationnistes,
- évolutions de l’opinion publique,
- difficultés de la vie quotidienne,
- naissance, formes et développement de la Résistance,
- combats de la Libération et transition des pouvoirs.
Mais d’autres éléments n’ont, à ce jour, été que partiellement traités. C’est pourquoi, le Centre de recherche bretonne et celtique de l’UBO a souhaité y apporter sa contribution en organisant un colloque centré sur l’année 1944 en Bretagne. Il s’est proposé, en s’appuyant sur des travaux récents ou en cours, de combler certains vides historiographiques : le colloque était centré sur les nombreuses victimes (résistants et maquisards, population civile) des derniers mois de l’Occupation, frappées par une répression de plus en plus féroce de l’armée allemande, des services policiers nazis et de leurs supplétifs étrangers, français ou bretons. Le sort des collaborateurs à la Libération n’a pas non plus été oublié.
Enterrement provisoire à Plobannalec des 15 fusillés de Lesconil à La Torche fin 1944. Document CRBC. Original : Gaston Balcou.
Le colloque du CRBC s’est déroulé sur deux jours, les 24 et 25 octobre derniers, à la Faculté Victor Segalen, à Brest. Il était organisé avec le soutien
- de l’Association Maitron Bretagne,
- de l’Association des Amis du Maitron
- et de l’Association « Pour un Maitron des fusillés et exécutés (PMFE) ».
Cinq thématiques différentes ont été abordées :
- Le contexte
- Une étude comparée des victimes de 1944
- Une ébauche de typologie des victimes de la répression allemande en Bretagne
- Les victimes de l’épuration
- Les enjeux mémoriels et la reconnaissance
Je présente ci-après les différents intervenants, avec leur biobibliographie et le résumé de leur communication.
- Merci au CRBC de m’avoir transmis les documents qui me permettent de le faire.
- Les photographies des intervenants sont de moi-même.
Première journée
Christian Bougeard. Les trois temps de l’année 1944 en Bretagne
- Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Bretagne occidentale-Brest, membre du Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’histoire politique de la Bretagne au XXe et au XXIe siècle.
L’objectif de cette communication est de préciser les enjeux d’une année décisive pour la libération de la France et d’abord de la Bretagne, seconde région libérée après la Corse. La réussite du débarquement de Normandie, tant espéré, constitue l’événement majeur de cette année 1944. Du fait de la problématique du colloque, centrée sur les victimes et les questions mémorielles, de nombreux aspects ne seront pas étudiés. Il convient donc de mettre en perspective le déroulement de cette année 1944 et ses répercussions sur la société bretonne. On peut distinguer trois temps.
- Le premier jusqu’au 6 juin î944 est marqué par un durcissement sans précédent de l’Occupation allemande tant dans la vie quotidienne que dans l’essor des organisations de résistance durement frappées par la répression des Allemands.
- Seconde phase, du 6 juin au mois d’août 1944 qui voit la rapide libération de la région par les troupes américaines, s’ouvre le temps de la mobilisation des FFI et des FTP, de l’intensification des actions de la Résistance entraînant l’acmé des violences et des crimes de guerre de la Wehrmacht.
- Dans un troisième temps, dès les cités libérées, les nouvelles autorités françaises doivent rétablir la légalité républicaine en s’appuyant sur les comités départementaux de libération (CDL) et engager une épuration contrôlée exigée par la population tout en relançant l’économie.
Yannick Botrel. Occuper un pays militairement : moyens et méthodes de l’armée allemande en Bretagne
- Retraité, ancien conseiller général, maire de Bourbriac, sénateur. Il a publié entre autres La Bretagne à l’heure allemande (Été I943-31 juillet 1944), et Le Bezen Perrot, supplétifs des nazis en Bretagne, 1943-1945 chez Skol Vreizh.
L’armée allemande d’occupation en France est constituée de deux éléments principaux : l’administration militaire (MilitärBefehlshaber, MBF), qui contrôle le pays occupé et assure la sécurité des arrières, et les forces opérationnelles qui ont, sous commandement de la Wehrmacht, la mission principale de défendre le littoral de toute tentative d’invasion alliée. Au début de 1944, s’ajoute une mission supplémentaire : la lutte contre l’activité des maquis. À cette fin, l’armée allemande et le MBF disposent de moyens strictement militaires de renseignement et de protection. Par ailleurs intervient l’appareil policier SS. Devant une situation qui se dégrade, l’occupant adapte sa réponse tactique et procède à une intégration des moyens policiers et militaires. La Bretagne est particulièrement concernée par la mise en œuvre de ce processus impliquant également des forces supplétives de police.
Annie Pennetier-Surzur et Claude Pennetier. Fusillés, exécutés, massacrés, morts en action en Bretagne : bilan d’une enquête
- Annie Pennetier est professeure d’histoire, historienne et contributrice régulière du Maitron.
- Claude Pennetier est chercheur au CNRS et directeur honoraire du Maitron.
L’avancée des travaux historiques, les recensements mémoriels, la mise à disposition d’archives ouvrent la voie à des études de sociobiographíe et même de prosopographie concernant les morts résistants et civils. C’est ce qui a été tenté par l’équipe du « Maitron des fusillés et exécutés » pour l’ensemble de la France et particulièrement pour les cinq départements de Bretagne pour les fusillés comme otage (peu nom
Marie-Christine Hubert. Les victimes du nazisme en Normandie en 1944
- Docteur en histoire travaillant sur les persécutions des Tsiganes et des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Marie-Christine Hubert est archiviste aux Archives départementales de Ia Seine-Maritime en charge notamment de la valorisation des fonds sur la Seconde Guerre mondiale, et membre du comité de pilotage du dictionnaire biographique des victimes du nazisme en Normandie.
L’élaboration du dictionnaire biographique des victimes du nazisme en Normandie permet d’identifier précisément les victimes de la répression dans les cinq départements normands. Ce travail mené depuis 2017 avec une soixantaine de contributeurs et coordonné par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et I’Université de Caen Normandie a pour objectif de mettre en ligne en 2025 les notices biographiques de 5 409 victimes normandes recensées à ce jour.
Le dépouillement des archives conservées par le Service historique de la Défense à Caen, les archives départementales et les archives d’Arolsen ont permis d’identifier plusieurs catégories de victimes. On peut également distinguer une évolution du profil des victimes et des modes de persécution selon la chronologie. Cette intervention mettra particulièrement l’accent sur les victimes de 1944 avec un focus sur les civils massacrés par les Allemands lors de leur retraite à l’été 1944.
Jean-Yves Guengant. Les forces de répression spécialisées dans la lutte antiterroriste : SD et Kommando de Landerneau dans le Finistère, avril-août 1944
- Ancien professeur d’Histoire-géographie et proviseur honoraíre, il a publié plusieurs ouvrages sur des mouvements d’idée en Bretagne ainsi que des articles et notices biographiques de dictionnaires spécialisés, tels le Maitron et le Dictionnaire biographique du Fouriérisme. Il a publié en 2023 Les Disparus de Pontaniou, ouvrage consacré au massacre des résistants emprisonnés dans la prison de Pontaniou, à Brest, le 7 août 1944.
Nous nous intéresserons à deux structures de répression qui ont agi de concert pendant la période de la libération de la Bretagne. La première, le Sicherheistdienst des Reichführer-SS, Ie SD, est la colonne vertébrale du nazisme : son action s’inscrit partout en Europe occupée depuis î939. Le SD appartient à la SS, il poursuit une action structurée d’éradication des ennemis du nazisme. Le second, les « commandos de chasse », est une réponse circonstanciée de l’armée allemande à la lutte contre les activités terroristes à partir de mars 1944.
La stratégie du SD s’est construite sur l’élimination des responsables des réseaux résistants et la prise d’otages jugés précieux pour la suite du conflit. Le Kommando, s’il laisse le souvenir d’une grande violence, n’engrange des succès dans la lutte contre les sabotages et les parachutages d’armes que dans les premières semaines. Les dégâts les plus importants ont lieu dans la période où la résistance s’organisait militairement. Après le débarquement, cette mobilisation est incomplète et retardée par le manque criant d’armes, les FFI restent très exposés jusqu’au début du mois d’août 1944, où la liaison avec les Alliés ne se fait pas.
Michel Chaumet. Dordogne 1944, une répression atypique ?
- Agrégé de l’Université, ancien correspondant de l’institut d’histoire du temps présent, co-auteur, entre autres, des ouvrages Comprendre la résistance en Aquitaine et La Dordogne dans la Seconde Guerre mondiale.
Face à la croissance et l’affirmation de l’action des maquis résistants au printemps î944, les autorités allemandes, relayées par l’appareil administratif et policier français, organisent une répression féroce qui entraîne l’exécution de centaines de personnes, et la destruction de nombreux biens immobiliers, voire de villages entiers. Cette répression est menée, pour l’essentiel, par des unités hétéroclites de la Wehrmacht réunies pour la circonstance et soumises au contrôle des SS. Elle est relayée par la Milice française et par la Légion nord-africaine. Outre la chasse aux résistants, les destructions et les pillages, la répression se caractérise par la traque des Juifs encore nombreux en Périgord.
Jean-Pierre et Jocelyne Husson. Les victimes de 1944 dans le Morbihan
- Professeurs agrégés d’histoire géographie à la retraite, Jean-Pierre et Jocelyne Husson ont participé, pour le département de la Marne, à la rédaction du dictionnaire biographique Les fusillés 1940-1944 publié en 2013 aux Éditions de l’Atelier, et collaborent pour les départements de la Marne et du Morbihan au site Le Maitron des fusillés exécutés massacrés.
- Jean-Pierre Husson a été correspondant dans la Marne du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, puis de l’Institut d’histoire du temps présent. Sa thèse de doctorat d’histoire, La Marne et les Marnais à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale et le mémoire de DEA de Jocelyne Husson, La Déportation des Juifs de la Marne, ont été publiés aux Presses universitaires de Reims. Ils sont aussi les auteurs du DVD-rom La résistance dans la Marne, édité en 2013 par l’AERI-Fondation de la Résistance et le CRDP de Reims.
L’ampleur et la violence de la répression qui s’est abattue en 1944 sur le Morbihan interpellent dans ce département à dominante rurale et agricole où la population, profondément attachée à la religion catholique, s’était très majoritairement ralliée au régime de Vichy, et où la Résistance s’était implantée lentement. Cependant, l’étendue des forêts, le paysage de haies en mailles serrées, l’habitat dispersé en innombrables bourgs, villages, lieux-dits et fermes isolées ont favorisé la formation de maquis qui ont accueilli à partir de 1943 des jeunes urbains réfractaires au Service du travail obligatoire (STO).
Au début de l’année 1944, le Haut-commandement allié était bien conscient de l’importance stratégique de la Bretagne, tant par sa proximité des plages du débarquement programmé en Normandie, que par ses installations portuaires. Face à la menace que constituait la présence d’une centaine de milliers de soldats allemands stationnés en Bretagne, susceptibles d’être transférés sur le front de Normandie, le commandement allié a confié à quelques centaines de parachutistes SAS largués à partir de la nuit du 5 au 6 juin 1944, la mission de rassembler et d’armer dans le camp retranché de Saint-Marcel les combattants des Forces françaises de l’intérieur (FFI-Armée secrète) et des Francs-tireurs et partisans français (FTP).
La riposte des troupes d’occupation allemandes a été terrible et la répression s’est abattue sur tout le département, avec le concours des supplétifs russes, ukrainiens et géorgiens de l’Armée Vlassov, en s’appuyant sur l’aide efficace et redoutable d’agents français du SD et de I'Abwher, parmi lesquels on retrouve des nationalistes bretons et des miliciens du Bezen Perrot. Après la bataille de Saint-Marcel, les parachutistes de la France libre, les FFI—FTPF des maquis ainsi que les populations qui les hébergeaient, les cachaient, les ravitaillaient, ont ainsi été les principales victimes de cette répression.
À partir du travail réalisé dans le cadre du Dictionnaire biographique Le Maitron des fusillés exécutés massacrés, on peut établir la chronologie de la répression tout au long de l’année 1944 dans le Morbihan, une répression qui se prolonge jusqu’au 7-8 mai 1945 autour des poches de Lorient et de Saint-Nazaire, en dresser le bilan, présenter la cartographie des lieux de répression et d’exécution, et ébaucher une étude sociologique des victimes.
François Prigent. 1944, la Bretagne au prisme des terrains de sport : engagements, mémoires, ruptures
- Agrégé et docteur en histoire contemporaine, François Prigent a fait sa thèse sur les réseaux socialistes en Bretagne au XXe siècle. Président du groupe Ouest-Bretagne de la Société française d’histoire politique (SFHPo), ses recherches portent actuellement sur football et politique en Bretagne au XXe siècle.
- François Prigent étant absent, son texte a été lu par Christian Bougeard.
En variant les échelles d’analyse, cette communication se propose d’analyser l’année 1944 en Bretagne depuis les terrains du sport, et leurs archives inexploitées. Ainsi, la prise d’engagements résistants emprunte souvent des voies directes, de relations personnelles entretenues dans des cadres et espaces divers : travail, voisinage, loisirs. Il apparaît intéressant de relire, depuis les terrains de sport, la fabrique des relations de résistance, telles qu’elles existent en 1944 en Bretagne.
Dans un espace régional marqué par une libération partielle, l’été 1944 suscite l’ancrage d’une mémoire locale spécifique, celle de jeunes sportifs et dirigeants laïques/chrétiens disparus en raison de leurs engagements militants. Là encore, le dépouillement des sources propres ou mouvement sportif éclaire d’un jour nouveau ces figures résistantes, dont le nom est associé aux équipements sportifs en pleine reconstruction en 1944. En outre, cette séquence se caractérise par la reprise ou la normalisation d’une vie sportive. Une rupture à repenser, au prisme de ses instances dirigeants, de ses pratiques et de ses trous (réfugiés, prisonniers, disparus).
Hervé Le Gall. 1944 en Morbihan, l’année de (presque) toutes les déportations
- Agrégé d’histoire, professeur d’histoire géographie à la retraite, il est président départemental des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation du Morbihan, membre de la Commission Mémoire du Conseil départemental de l’Office national des combattants et des victimes de guerre, membre du Bureau du Comité de Liaison du Morbihan du Concours national de la Résistance et de la Déportation. Depuis 2015, ses travaux portent sur les Déportés du Morbihan.
L’année 1944 constitue pour la déportation en Morbihan, à quelques exceptions près un véritable paroxysme. Au niveau des effectifs et de la répartition géographique d’abord. Mais aussi des catégories concernées. Sans oublier les forces de répression ayant procédé aux arrestations. Une sociologie des victimes sera aussi esquissée.
À suivre prochainement : les intervenants et le résumé de leur communication lors de la deuxième journée