La Bretonne du 6e étage
Je suis allé hier soir au cinéma voir un film dont on parle beaucoup : "Les femmes du 6e étage". L'histoire concoctée par Philippe Leguay se passe au début des années soixante. Le personnage principal est un agent de change vivant bourgeoisement dans le XVe à Paris, rigide et plutôt maniaque, confronté à l'exubérance des employées de maison qui vivent au dernier étage de son immeuble, dans ce qu'on appelle on ne peut mieux dire des chambres de bonne.
Le film est plutôt sympa, superficiel sans doute, mais il témoigne avec légèreté et un réel entrain d'une dure réalité et l'on passe donc une bonne soirée. Il y a de temps à autre un peu de tension latente (quand le propriétaire découvre les sanitaires du 6e étage, quand l'une des bonnes lui apprend qu'elle ne retournera plus en Espagne à cause de Franco…). Mais cela ne va pas au-delà et le conflit n'est jamais frontal. Deux mondes se côtoient, apprennent à se découvrir et à s'apprécier, s'étonnent l'un l'autre et finissent pas sympathiser (et plus si affinités). Tout se joue symboliquement autour de la cuisson d'un œuf à la coque.
Au moment où se passe le film, les bonnes sont espagnoles. Elles ne parlent pas toujours très bien le français, l'ont parfois appris chez les sœurs. L'émigration, qui est souvent masculine, est ici féminine. Elles ont parfois laissé leur mari en Espagne ou sont mères célibataires. Elles expédient chaque mois une partie de leur salaire au pays ou économisent pour construire une maison.
C'est à cette époque que les bonnes espagnoles ont remplacé les Bretonnes. C'est réellement ce qui se passe dans le film. Les Bretonnes occupaient la place, si je puis dire, depuis des décennies. Dans la famille Joubert, la bonne c'est Germaine (interprétée par Michèle Gleizer) : elle avait été recrutée par les parents de Jean-Louis (Fabrice Luchini). Elle est encore plus rigide que son patron. Sur un clash, on la congédie et elle démissionne, l'un et l'autre simultanément : on a sa fierté quand même, quand on est depuis 25 ans dans la maison. L'affaire est réglée en quelques minutes, sans autres indemnités.
Et c'est là que surgissent les clichés. Il y en a aussi dans la relation qui se noue entre M. Joubert et les bonnes espagnoles. Il y en a dans le contraste entre Germaine et Maria, la jeune et sémillante Espagnole qui la remplace. Mais dans le cas de Germaine la Bretonne, les clichés sont de l'ordre du stéréotype. Quand elle perd son emploi, elle ne trouve rien de mieux à faire que d'aller se faire consoler chez les Espagnoles du 6e. Quelques petits coups pour la requinquer, et on la retrouve pompette, en partance dans la cour de l'immeuble, la valise à la main, titubant bien sûr… L'image n'est pas très valorisante et on ne peut pas dire que le portrait est flatteur.
On ici dans la fiction. Mais c'est gênant. On fera donc la différence avec le film de Thierry Compain, "Nous ne sommes pas des Bécassines" (2006). C'est un documentaire qui donne la parole à des Bretonnes de l'Ile-Grande ayant travaillé à Paris dans les années d'après-guerre. Un film très juste, sensible et qui témoigne d'un vécu bien différent des bonnes à Paris.
Le film de T. Compain peut se voir en VOD sur le site : http://www.vodeo.tv/documentaire/nous-n-etions-pas-des-becassines