Douarnenez : clap de fin
La 34e édition du Festival de cinéma de Douarnenez se termine ce soir avec la projection fictions courtes tournées en breton pendant le festival et d'un dernier film sud-africain : "Hijack Stories", d'Oliver Schmitz. Ce réalisateur originaire de Cap Town avait fui l’Afrique du Sud durant sa jeunesse en signe de protestation contre l’apartheid. Il est revenu dans son pays en 1987. Plusieurs dizaines de films sud-africains ont ainsi été projetés à Douarnenez depuis le 19 août.
Il n'y a plus de palmarès à Douarnenez depuis plusieurs années, mais les films bretons retenus par les organisateurs sont présentés, s'il vous plaît, sous la prestigieuse appellation "Grand cru Bretagne". Près de 30 films figuraient au programme, dont le "Berlin-Vichy-Bretagne" d'Hubert Béasse (voir ici même le message du 14 avril) et "Dans la ville rouge" de Marie Hélia.
Le nombre de films en breton était bien réduit : j'en rai repéré 3 dans le "grand cru" et 1 dans la sélection "jeune public". Est-ce à dire que la production en langue bretonne de l'année n'a pas été extraordinaire ? Ou que la sélection est impitoyable ? Il faut toutefois y ajouter la projection hors programme du portrait en écrivain de Per Denez, récemment disparu : il s'agit d'un film réalisé il y a quelques années par Roland Michon, dans la série "Skrivagnerien" (Ecrivains) co-produite par Kalanna et France 3 Ouest.
Sébastien Le Guillou était présent pour la projection du 26 ' qu'il a consacré au chanteur Marcel Guilloux sous le titre de "Marsel paotr plaen" (voir message du 3 avril). Du coup, il a été également l'invité de Lou Millour et de Laëtita Fitamant sur Radio Kerne. La radio en langue bretonne a en effet présenté ses émissions en direct de Douarnenez pendant toute la semaine depuis les bureaux de Daoulagad Breizh : un endroit confortable, mais un peu trop à l'écart du cœur du festival et qui ne lui donnait pas une bien grande visibilité.
Sur le site du festival, j'ai eu le plaisir de croiser Kiyoshi Hara, en compagnie de Tangi Louarn. C’est un universitaire japonais qui se trouve aujourd'hui à la tête de l'Institut des Etudes Celtiques du Japon et que j'avais interviewé pour la première fois alors qu'il étudiait le breton à l'université de Haute-Bretagne à Rennes. Kiyoshi est aussi le traducteur en japonais du livre bilingue qu'Alain Croix, Fañch Roudaut et moi-même avons consacré en 1988 aux "taolennou" (les tableaux de mission) sous le titre "Les chemins du paradis". Il a publié divers travaux en japonais sur la langue bretonne et la Bretagne.
Rouge sombre
"Dans la ville rouge" est le 7e film que Marie Hélia consacre à la ville de Douarnenez. Le titre fait écho à "L'usine rouge", le premier documentaire qu'avait tourné la réalisatrice dans la même ville. Il se trouve que cette usine allait être concrètement démolie en 2010 : le symbole à la fois de la fin d'une histoire et d'une évolution qui paraît inéluctable. Cette démolition est le point de départ de multiples échanges sur le passé, le présent et le devenir de Douarnenez. L'image est sombre, le propos l'est aussi. La couleur dominante est celle de la morosité.
Ce qui m'a frappé dans ce film, c'est l'importance que prend le son. Le film s'ouvre sur l'incontournable séquence mémorielle des grandes grèves douarnenenistes : une femme témoigne des conditions dans lesquelles les ouvrières des conserveries avaient fini par obtenir l'augmentation qu'elles réclamaient en breton : "pemp real a vo" (on aura nos 25 centimes). On chantait alors tout en travaillant dans les usines, dit-elle, jusqu'à l'installation de nouvelles machines plus bruyantes. Cela me rappelle une usine de conditionnement de légumes en Espagne : la sono était délibérément si forte que les ouvrières ne pouvaient plus échanger un mot entre elles.
Marie Hélia a filmé la grève des employés d'une usine de marée tout comme les Douarnenistes manifestant pour les retraites. Ils se font entendre à l'aide de mégaphones, mais leurs slogans n'ont pas porté. Pour une jeune femme qui découvre l'intérêt de se syndiquer, des militants discutent entre eux dans leur local, ne sachant trop ce qu'il faudrait bien faire pour que les jeunes les rejoignent dans l'action. D'autres sont un peu plus confiants, à la recherche d'une approche différente et d'un fonctionnement qui dépasse celui des structures traditionnelles. Mais la parole militante est-elle audible ? Les forums citoyens parviendront-ils à faire bouger les choses ? Le film témoigne d'une sinistrose : est-elle spécifique à Douarnenez ? Il ne dit rien de ce sur quoi peut déboucher l'avenir, ni là ni ailleurs.
Pour voir un extrait du film de Marie Hélia : http://www.parisbrestproductions.com/