Que serait l'été en Bretagne sans les chorales et les bagadou ?
C'est la question que pose le nouveau numéro de la revue en langue bretonne Brud Nevez qui paraît aux couleurs d'un été qui se polonge. Littéralement, en breton : "Liviou an hañv". La Bretagne, ce n’est pas seulement le pays des pardons. Les lendemains de pardon étaient aussi jours de fête. Et puis il y avait et il y a la fête des fleurs, celles de la moisson, celles des vieux métiers, les fêtes maritimes… Et chacun sait l’essor de ces dernières depuis les années 1990, de Douarnenez à Brest et à Paimpol, notamment. L’été, maintenant, c’est en plus le temps des festivals.
Les chorales : une passion galloise et… bretonne
Pour ce qui est des chorales, il faut d’abord savoir que la fédération Kanomp Breizh la fédération Kanomp Breizh [Chantons la Bretagne] réunit les chorales qui font le choix de chanter en breton spécifiquement et que son président est le Landernéen Jean-Pierre Thomin. Il produit dans ce numéro un article documenté sur la passion que partagent Pays de Galles et Bretagne pour le chant choral.
L’histoire débute au XVIe siècle lorsque la Grande-Bretagne se tourne vers le protestantisme et que la reine Élisabeth 1re accorde aux Gallois le droit de célébrer les offices en leur langue. Aujourd’hui, on recense quelque 150 chœurs d’hommes au Pays de Galles (dont beaucoup sont réputés), autant de chœurs de femmes ou mixtes. Ce qu’on ignore ici, c’est que les hymnes que chantent les Gallois lors de leurs matchs de rugby sont en fait… des cantiques !
Au début, c’est aussi le fond de répertoire des chorales bretonnes, tant et si bien que les chants qu’elles interprètent dans une Bretagne très catholique ne sont en réalité que des adaptations en breton de cantiques protestants. Paotr Treoure (pseudonyme de l’abbé Conq) est, dans la première moitié du XXe siècle, le plus important traducteur breton d’hymnes gallois. Aujourd’hui, les Bretons se démarquent de leur modèle gallois initial en mettant l’accent sur la création. Le tournant se situe lors de l’interprétation à succès, par un chœur composé de membres venant de diverses chorales, de la cantate Ar marh dall [Le cheval aveugle] en 1979 sur un livret de Job an Irien et sous la direction de René Abjean.
- Photos : Le chœur d'hommes Mouez paotred Breizh, plusieurs fois champion de Bretagne des chorales, dirigé par Jean-Marie Airault (à gauche).
- Yann-Ber Thomin, président de la fédération Kanomp Breizh.
La fédération Sonerion et les bagadou : performances et défis
Les chorales sont cependant bien loin d’avoir le même impact et la même audience que les bagadou. Ceux-ci font désormais largement partie du paysage musical de la Bretagne, singuilèrement en été, alors que la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) ne leur verse pas le moindre euro de subvention annuelle sous prétexte que les instruments dont ils jouent ne sont pas suffisamment diversifiés. "Mais nous ne sommes pas là pour jouer du piano", me déclare en souriant André Queffelec, président de la fédération Sonerion (anciennement B.A.S.) depuis neuf ans.
Je suis allé le rencontrer chez lui, près de Brest, pour les besoins de cet article dans Brud Nevez. Plus de cent trente bagad (dont quelques-uns en région parisienne, à Bordeaux, en Guadeloupe, à New York et ailleurs) adhèrent aujourd’hui à la fédération, laquelle initie chaque année quelque 4 000 jeunes à la musique de bagad : "il le faut bien, déclare le président, pour assurer la relève des sonneurs dans dix ans".
Parle-t-on breton du moins dans les bagadou ? Elouan Le Sauze a mené en 2017 une enquête dans le cadre de de son master auprès de 478 sonneurs de bagad. 28 % déclarent le parler très bien ou assez bien, 27 % n’en connaissent que quelques mots, et 35 % n’en savent rien. Mais André Queffelec, qui a connu l’époque où les anciens, dans les années 1980, parlaient couramment le breton au bagad de Plougastel-Daoulas, se dit ravi d’entendre de jeunes apprentis sonneurs échanger en cette langue aujourd’hui. Pour autant, il n’y aurait que la Kerlen Pondi, à utiliser un peu le breton lors des répétitions !
La fédération Sonerion est confrontée à bien d’autres défis. Celui de ses origines et de son histoire, par exemple. Polig Monjarret l’a-t-elle réellement créée en 1943 ou ne l’a-t-elle été qu’en 1946 ? Il serait bien temps que les historiens et autres chercheurs puissent avoir accès aux archives. Autre question complexe, celle des droits d’auteurs : André Queffelec est d’avis que les musiques traditionnelles de tous les peuples de la terre sont le bien commun de tout un chacun. Peut-on introduire d’autres instruments que cornemuse et bombarde dans un répertoire de bagad ? En dehors des concours, chacun fait ce qu’il veut. Lors des concours, le règlement s’impose. C’est tout un monde, les bagadou. La preuve : ils voyagent de Shanghai à La Nouvelle-Orléans pour présenter leur musique !
- Photos : La Kevrenn Alre (Auray) devant le public du Moustoir lors du championnat national des bagadou à Lorient en 1998. © Myriam Jegat.
- André Queffelec, président de la fédération Sonerion.
Mari Kermareg : un parcours à la télé, une vie de comédienne
Ne manquez pas, enfin, l’interview de Mari Kermareg dans Brud Nevez. Pendant des années, elle est allée interviewer les bretonnants pour le compte de la revue. Dans ce numéro 318, c’est elle qui répond aux questions. Elle raconte son vécu d’aujourd’hui avec de la sénérité et beaucoup de spontanéité, regrettant de ne plus pouvoir jouer au golf par exemple. Elle se remémore ses rencontres avec Charles Le Gall et sa femme Chanig, à qui elle a succédé comme speakerine des émissions de télévision en langue bretonne sur FR3.
Elle a ensuite été productrice avant de devenir réalisatrice elle-même, rencontrant les différents acteurs du renouveau musical et littéraire des années 70 et 80. Elle témoigne ainsi de sa grande proximité avec la harpiste Kristen Noguès et l’écrivaine Naig Rozmor en particulier. Elle a également abordé des sujets difficiles, comme ce film précurseur qu’elle a tourné avec d’anciens soldats s’exprimant pour la première fois sur leur douleureuse histoire personnelle lors de la guerre d’Algérie. Elle raconte aussi comment elle s’est investie en tant que comédienne dans la troupe de théâtre Penn ar Bed qu’animait Rémi Derrien. Il y a de a densité et de l’émotion dans ses propos.
- Photos : De gauche à droite, Fañch Broudic, le réalisateur François Tager et Mari Kermareg, alors productrice pour les programmes en breton de FR3, dans les années 1970. DR
- Mari Kermareg, dans sa maison de Plouguerneau. DR
- Le sommaire complet du n° 318 de la revue Brud Nevez : Brud_Nevez_318_taolenn
- Le site internet de la revue : www.brudnevez.org
- Le contact : cliquer sur ce lien
- Sur les chorales, lire aussi sur ce blog : le championnat contrasté des chorales de Bretagne.