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Le blog "langue-bretonne.org"
29 décembre 2023

Trois petits oiseaux, trois petites filles, trois couleurs

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Même si Noël est maintenant passé, on peut toujours s’intéresser à ce conte fantastique sur les cycles de la vie et du temps, où tout paraît advenir sur un mode de triades celtiques. Trois petites filles reçoivent trois oiseaux en cadeau dans une Bretagne à l’ancienne, un pays de légende plus que jamais. La première à des cheveux rouge flamme, l’autre jaune d’or pour l’autre et noire comme la nuit sont ceux de la troisième (traduction littérale du breton à chaque fois).

  • Mis à jour : 29 décembre 2023, 21h50 ; 8 janvier 2024, 20h45.

C’est leur grand-père qui leur offre un petit oiseau en cage des mêmes trois couleurs que leurs cheveux. Si ce n’est que les oiseaux restent désespérément muets. Il faut qu’advienne le Premier de l’an pour qu’ils se mettent à chanter l’un après l’autre comme par magie.

Un voyage initiatique

L’éditeur présente l’album comme un voyage initiatique pour découvrir les trois couleurs qui rythmeraient le monde, le ciel et le vivant. L’histoire se passe à une époque où les Bretons vivaient encore dans des maisons en toit de chaume. Les filles dorment dans des lits clos. Elles ont l’air quelque peu engoncées dans leurs somptueux habits de princesses.

La magie du conte joue-t-elle ? Tout paraît d’un autre temps, parfaitement irréel. L’illustration se décline à chaque fois sur une double page saturée de couleurs et de motifs « celtiques », foisonnants d’entrelacs, de volutes, de triskells et autres fleurs stylisées. On aime un peu, beaucoup ou pas du tout. La narration, en breton et en français, trouve place dans un encadré se superposant à l’image.

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Un récit en deux langues, une écriture maladroite

L’ouvrage étant rédigé en breton et en français, le titre s’affiche logiquement dans les deux langues. Si le terme « evnig » passe très bien en breton, avec l’ajout du diminutif -ig au substantif « evn » [oiseau], son équivalent français « oiselet » paraît désuet. Pourquoi ne pas avoir parlé tout simplement de « petits oiseaux », en correspondance avec le breton ? En même temps, ce sont des grands volatiles en cage que l’on voit sur les illustrations. À ne rien y comprendre.

L’emploi de bretonismes alourdit le texte français. Ainsi, page 17, la phrase « Et lui de chanter ! » est une traduction littérale du breton « Ha hemañ da ganal » dans une formulation d’un autre temps : pourquoi ne pas avoir écrit « il se mit à chanter » tout simplement ? Autre bretonisme, page 23 : « Chanter, son oiseau à elle ne l’a pas fait » : curieux, non ? « Goradenn », page 44, est une grande flambée, quand même pas un incendie.

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Un breton crispant

Quant au texte breton, il fourmille d’expressions maladroites, qui donnent carrément l’impression que le breton est hélas une langue maltraitée dans cet ouvrage. Et désolé de devoir être fastidieux pour ceux qui ne le connaissent pas bien.

  • Le breton marque la différence entre les termes « bloaz » et « bloavez (h) », ce dernier marquant la durée. On ne dit donc pas « E dibenn ar bloavezh » pour « la fin de l’année », page 11, mais « e dibenn ar bloaz ».
  • Page 13, il n’était pas nécessaire d’inventer le terme « digan » (qui, tel quel, signifierait "sans chant" et qui ne figure dans aucun dictionnaire) pour signifier que les oiseaux ne chantent pas et qu’ils restent muets, alors que le mot « mut » ou « mud » est attesté en breton depuis le XVIe siècle comme équivalent du français « muet ».
  • Page 15, il est écrit en français que « les trois [filles] sont déçues » et en breton « Kerse zo gant an teir flac’hig ». L’emploi de l’expression idiomatique habituelle « An teir flac’hig eo kerse ganto » aurait été tout à fait approprié ici.
  • Page 17 : « Abred ar mintin » est un parfait gallicisme pour « tôt le matin ». Le breton dit plutôt « abred diouz ar mintin ». À l’infinitif, le verbe « chanter » est « kanañ » en breton : si on le conjugue avec l’auxiliaire « ober » comme le fait le livre, il s’impose d’utiliser cet infinitif (et non le radical « kan ») pour signifier que l’oiseau chante : « kanañ a ra an evnig » : l’auteur semble ici tout confondre avec les autres types de conjugaisons possibles, analytique ou synthétique. On relève aussi une coquille sur la même page : un « e » à la place du « a » dans « plijusat ».

Un terme spécifique de l’île de Groix, et pourquoi pas ?

  • Page 21 : l’emploi des conjonctions « ha ma » s’impose après l’adverbe « kement » dans l’expression « kement ha ma c’hell » en lieu et place de la particule verbale « a » dans le texte. L’auteur semble par ailleurs avoir un faible pour les variantes vannetaises : il avait déjà placé un « neoazh » [cependant] page 13. Ici et ailleurs il utilise « da heni » pour « da hini » [le tien]. Page 37, on découvre « un dristez [une tristesse], dans une formulation de l’île de Groix. C’est juste inattendu.
  • Page 25 : les expressions « plac’higou » et (page 37) « plac’higed » [fillettes] peuvent s’entendre, alors que le double pluriel des suffixes aurait été préférable : « plac’hedigou ». On commence par mettre le mot « plac’h » au pluriel, soit « plac’hed », puis on ajoute le diminutif « ig » qui lui-même se met au pluriel, ce qui donne « plac’hedigou ».
  • Page 27 : et voilà qu’on retrouve le mot « kan » [chant]. C’est un nom masculin en breton comme en français. L’auteur active pourtant la mutation k/h après l’article, comme s’il avait été féminin ! Erreur : on devrait avoir « ur c’han ».

Un bretonnant approximatif

J’aurais aimé arrêter là ce recensement mais, sans vouloir tout inventorier, il me faut pointer diverses autres incongruités.

  • Page 37, l’emploi de l’adjectif « heñvel » [semblable] impliquait celui de la préposition « ouz » ou « ouzh » : « heñvel ouzh ur rod » [comme une roue]. Son absence signe un calque du français. L’ajout de « ebet » [aucun] à l’adverbe « biken » [jamais] n’a aucun sens.
  • Page 50 enfin, la phrase « Dont a rejont an tri evn… » pour « Les trois oiseaux vinrent… » est parfaitement incorrecte en breton. Selon Francis Favereau (Grammaire du breton contemporain, p. 221), c’est l’erreur que font couramment « les bretonnants approximatifs » : dans l’accord sujet-verbe, lorsque le sujet nominal est postposé, le verbe est à la troisième personne. On aurait donc dû avoir ici, et non pas d’ailleurs au pluriel, « Dond a reas an tri evn… »

Valérie Coïc, l’illustratrice luxuriante de l’album

L’illustration est signée de Valérie Coïc et les textes sont de Philippe Jouët. Il s’agit de leur première collaboration. Pour ce qui est de l’illustratrice, ne retrouvant aucune autre publicatjon à son nom, j'ai l'impression qu'il s'agit de son premier opus. Je reconnais qu’il lui a fallu une forte inspiration et un considérable travail de réalisation pour dessiner les soixante planches luxuriantes de l’album.

Le credo de Philippe Jouët : « ne perdre ni son pays ni son âme »

L’auteur d’« An tri evnig/Les trois oiselets », c’est lui. Ce n’est pas qu’un conte de fées, c’est aussi un livre à thèses. Vers la fin de l’album, il lance ainsi un appel à ses jeunes lecteurs à ne pas oublier la bonne parole des trois oiseaux « pour que n’aillent se perdre ni votre pays ni vos âmes » (traduit du breton par mes soins). En quelques lignes bien trop sommaires, il leur apprend que les Bretons sont venus de « la grande île » et qu’ils ont dû « se défendre contre les agresseurs étrangers ». On dirait un propos des temps présents. On leur apprend aussi que les Celtes se répartissent désormais en six nations, dont la Bretagne, bien sûr.

Le nom de Philippe Jouët n’est pas inconnu. Il a fait paraître aux éditions Skol Vreizh en 2007 un curieux « Atlas historique des pays et terroirs de Bretagne » dans lequel il se prononçait pour « le relèvement des pays », ceux d’avant la Révolution française, dont il prône la résurgence. Il admettait que les départements correspondent à une histoire vécue par les Bretons depuis plus de deux siècles, mais n’en dit pas un mot de plus, ni sur les cantons ni sur les régions. Comme si les territoires d’Ancien Régime étaient les seuls à pouvoir se prévaloir d’authenticité.

L’historien, qui réside à Paris, avait déjà publié chez Yoran embanner plusieurs ouvrages sur la mythologie celtique et autres sujets connexes. Il a collaboré aux travaux de l’Institut d’études indo-européennes de l’Université Lyon III (voir le site de l’IdRe et celui de Persée). Cet institut, qui cherchait à promouvoir l’enseignement « des langues rares » a été dans les années 1990 un foyer d’incubation de la Nouvelle Droite, laquelle est en réalité un courant d’extrême droite.

On retrouve Philippe Jouët comme co-auteur avec Jean de La Huberdière d’un ouvrage paru en 2011 chez Yoran embanner sur « L’Europe aux mille blasons », ceux-ci étant censés représenter « les appartenances fondamentales des Européens. » Mais savez-vous que Jean de La Huberdière n’est autre que l’un des pseudonymes de l’écrivain Jean Mabire (1927-2006), dont les convictions politiques se situaient également à l’extrême droite ? Le Mémorial de Caen, engagé pour la cause de la paix en Europe, a décidé de retirer les ouvrages de cet auteur du catalogue de sa librairie.

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  • Ci-dessus : Alan Le Cloarec (à gauche) et Yoran Delacour, au salon du livre de Carhaix,
  • le 28 octobre 2023. Photo : FB

L’éditeur Yoran embanner franchit un cap

Yoran comme le prénom de son fondateur, Y. Delacour, et « embanner » comme « éditeur » en breton.

J’en reviens à l’album « An tri evnig/Les trois oiselets » S’il a plutôt belle allure, il est d’une piètre écriture, comme je l’ai analysé plus haut. Il est inconcevable qu’aucune relecture du tapuscrit n’ait été assurée à cet égard ni par l’éditeur ni par qui que ce soit. C’est une question de crédibilité pour tout éditeur, encore plus lorsqu’on se présente comme « l’éditeur des peuples oubliés. »

Ceci étant, la maison d’édition (240 titres depuis 2003) vient de franchir un cap. Yoran Delacour a désormais un nouvel actionnaire (minoritaire) en la personne d’Alan Le Cloarec. Ce dernier, installé à Cléden-Poher, en est également devenu le gérant. Tous deux envisagent leur collaboration comme étant à la fois complémentaire et évolutive, avec au programme la publication de 28 nouveaux titres dès 2024. Comme ils sont l’un et l’autre des nationalistes (bretons) et indépendantistes, la ligne éditoriale ne devrait guère varier, si ce n’est sur les modalités. Ils seront donc toujours des éditeurs militants (ou des militants éditeurs). Il leur reste à gérer leur cohabitation.

Pour en savoir plus :

  • Valérie Coïc, Phlippe Jouët. An tri evnig. Les trois oiselets. Fouesnant, Yoran embanner, 2023, 64 pages, ill. Couverture reliée. Dimension 21 x 23,5 cm. Imprimé en Italie.

 

Commentaires
M
beau travail ! merci pour votre rigueur, votre absence de pathos , votre souci de l'exactitude et votre absence de nostalgie d'un temps idéalisé....et votre honnêteté... et votre courage de dire; espérant un jour peut être vous croiser, ma maman aurait aussi apprécié, une fille de Lambaol, elle qui s'est interdit de m'apprendre sa langue maternelle
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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