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Le blog "langue-bretonne.org"
24 décembre 2023

La disparition du chercheur Jean-Yves Monnat : hommages unanimes

J

Depuis plus de soixante ans, la Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne (SEPNB) est la principale association de protection de la nature et de la biodiversité en Bretagne. Elle s’appelle désormais Bretagne Vivante, soit très exactement le titre de l’ouvrage que le chercheur Jean-Yves Monnat avait publié en 1973 sur les milieux naturels bretons. C’était l’un des plus anciens membres de la société puisqu’il y avait adhéré dès sa création en 1959. Il est décédé à Goulien le 18 décembre à l’âge de 81 ans. Bretagne Vivante lui rend hommage sur son site internet.

  • Ci-dessus : Jean-Yves Monnat dans le Cap-Sizun. Photo DR.
  • Mis à jour le 25 decembre, à 18h08

Ar Vran 2023

Expert en ornithologie et dans l’étude des lichens

Ayant été recruté en 1965 comme assistant au laboratoire de biologie marine que dirigeait Albert Lucas à la Faculté des sciences de Brest, il séjourne sur une île du golfe du Morbihan pour étudier les bivalves (famille de mollusques, dont, par exemple, font partie les palourdes), qui feront l’objet de sa thèse. C’est parce qu’il savait escalader les rochers en varappe qu’on lui demanda ensuite de recenser les pingouins torda qui nichaient dans les falaises de Goulien, dans le Cap Sizun. À compter de ce moment, Jean-Yves Monnat ne s’arrêtera jamais d’inventorier les colonies d’oiseaux marins de Bretagne.

Au sein du laboratoire de zoologie de l’UBO (Université de Bretagne occidentale), il lance en 1968 une revue à laquelle il avait choisi de donner le nom breton d’« Ar Vran » [Le corbeau, La corneille]. Elle existe toujours, bien que paraissant moins régulièrement.

Maître de conférences à l’UBO, il devient l’un des meilleurs spécialistes de l’ornithologie bretonne, publiant en 1980 avec Yvon Guermeur une « Histoire et géographie des oiseaux nicheurs de Bretagne. » Il s’est en particulier intéressé aux mouettes tridactyles du Cap Sizun pendant une quarantaine d’années. À compter des années 2010, il s’oriente également vers l’étude des lichens et des champignons lichénicoles, dont il publiera un premier catalogue avec d’autres collègues en 2014, puis de multiples articles et ouvrages en français et en anglais jusqu’en 2022.

Dans un message qu’il a adressé aux étudiants et aux personnels de l’UBO, son président, Pascal Olivard, insiste sur la renommée internationale qu’avait acquise Jean-Yves Monnat, soulignant qu’il a été jusqu’en 2002

  • « un enseignant exceptionnel, passionné de didactique et de l’histoire des idées scientifiques. Il reste pour beaucoup un maître et un modèle. Il excellait dans l’enseignement de l’écologie et des concepts et mécanismes qui sous-tendent les processus évolutifs. »

Une envie de Bretagne

Jean-Yves Monnat est né en 1942 à Locmiquélic, soit à 2 km à vol d’oiseau de Lorient et 19 km par la route (d’après Wikipedia). Pour éviter les bombardements, sa famille se réfugie dès l’année suivante au village de Trélécan, en Pluvigner, ce qui va déclencher chez lui ce qu’il appellera plus tard son « envie de Bretagne ». Au lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient, il suit les cours de breton de Gweltaz Bernier. Étudiant à Rennes, il fréquente les bretonnants de la JEB (Jeunesse étudiante bretonne), et suit les stages de Loeiz Roparz, devenant lui-même chanteur, et.

Dans une superbe et passionnante interview qu’il avait accordée à Ifig Troadec, publiée dans le n° 222 de septembre-octobre 2010 de la revue Musique bretonne, il raconte qu’il s’est lancé dans le collectage en se rendant à Trélécan, le village de son enfance, où il n’y avait que « des routes de terre » : il y réalise ses premiers enregistrements, ce qui fut « déterminant dans [m]on attachement à ces choses-là… » Il fait la connaissance de l’ethnologue Donatien Laurent, qui lui demande de classer les 800 et quelques manuscrits d'Yves Le Diberder (1887-1959), un grand collecteur de contes et chansons dans le pays vannetais : : « cela a été un travail gigantesque. »

Monnat Jean-Yves en 2008

Ci-dessus : Jean-Yves Monnat en 2008. Photo DR.

Quand Jean-Yves Monnat devient lui-même un collecteur exceptionnel de chansons

Il mène de 1970 à 1979 un autre travail encore plus immense en collectant des centaines de chansons en breton auprès d’une centaine de chanteuses et de chanteurs. C’est ce que souligne l’association Dastum à l’annonce de sa disparition, évoquant

  • « Un collecteur hors pair de chansons en langue bretonne : par le volume collecté, plus de 900 chansons ; par la localisation de ses collectes, centrées sur le Vannetais et en particulier le pays Pourlet ; par la méticulosité de son travail, Jean-Yves en ayant assuré une transcription fidèle dans une orthographe volontairement proche de l’oral ».

Dastum propose d’ailleurs d’écouter sur sa page d’actualités la chanson « Droug Sant Iehann » interprétée par Louise Vally, une des informatrices marquantes de Jean-Yves Monnat.

De nouveaux interprètes s’emparent aujourd’hui du collectage de Jean-Yves Monnat en l’inscrivant à leur répertoire. C’est notamment le cas d’Élodie Jaffré qui a obtenu le prix du disque chanté en breton à l’occasion des Priziou de cette année 2023 pour « Kanour noz », après avoir découvert que ce « chanteur de nuit » n’était autre que son arrière-grand-oncle, Louis Le Hirez (1907-1983). C’est le surnom que les habitants du petit port de Kerroc’h, en Plœmeur, avaient donné à celui qui chantait en mer à l’occasion de ses sorties nocturnes.

Chercheur en sciences naturelles et en sciences humaines aussi

Yves Coativy, le directeur du Centre de recherche bretonne et celtique à Brest, souligne également que ce « naturaliste passionné par les oiseaux et les lichens [était aussi] au-delà de sa spécialité, un grand connaisseur de la culture bretonne, avec la complicité de Donatien Laurent. »

Jean-Yves Monnat a effectivement eu cette qualité de s’investir en parallèle dans les sciences naturelles et dans les sciences humaines. Il a suivi les séminaires d’ethnologie de Jean-Michel Guilcher à Brest. Il a collaboré avec le chercheur du CNRS Alan-Gwennog Berr qui, dans les années 1980, consacra sa thèse à l’ichthyonymie bretonne, l’étude des noms de poissons dans l’ensemble des ports de Basse-Bretagne. Il est l’un de ceux que Donatien Laurent remercie dans l’avant-propos de l’édition de la première partie de sa thèse sur les sources du Barzaz Breiz (aux éditions ArMen en 1989) pour son aide active et avisée et pour son efficace collaboration. . Il avait notamment contribué au déchiffrage des manuscrits de Théodore Hersart de la Villemarqué.

Je ne peux, pour conclure, que reprendre à mon compte le propos d’Ifig Troadec dans « Musique bretonne » : « On reste sidéré quand on l’entend énumérer toutes les activités et tous les projets auxquels il a été associé ou qu’il a menés lui-même ». Kenavo, Jean-Yves.

Commentaires
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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