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Le blog "langue-bretonne.org"
8 juillet 2019

Le championnat contrasté des chorales de Bretagne

Bro goz ma zadou-1

Le championnat des chorales de première catégorie se déroulait dimanche 7 juillet à Landerneau, dans le cadre du festival Kann al loar [Le clair de lune]. Car les chorales de Bretagne, du moins celles qui mettent le chant d’expression bretonne à leur répertoire, ont leur championnat, comme les bagadou ont le leur et, c’est bien connu, à peu près toutes les disciplines sportives, du football au beach volley. On se gardera bien cependant de comparer une performance artistique à une compétition sportive, même si l’une et l’autre impliquent compétence, persévérance et talent. Et c’est pourquoi je me demande si une compétition sous la forme d'un "championnat" convient réellement pour des chorales.

D’autant que l’édition 2019 de la première catégorie n’a pas été un si grand cru. Pour une raison bien simple au départ : seuls trois chœurs, sur les sept attendus, se sont présentés, les autres ayant dû faire défection. Par ailleurs, le jury s’est abstenu de décerner la mention spéciale d’usage pour la qualité du texte : est-ce un signe ? Sur le programme, je n’ai repéré que trois chants bénéficiant du label "création", sur un total de quatorze présentés pour le concours. Je ne sais pas s’il y en avait davantage les années précdentes. 

Paotred Pagan-1   Premel Yann-Ber-1

Un chœur de de dix-neuf chanteurs bretonnants

Toujours est-il que ce sont les "Paotred pagan", le chœur d’hommes du pays pagan qui obtiennent le trophée 2019 de la création pour leur interprétation de "Ar vered e-tal ar mor" [Le cimetière maritime], un traditionnel irlandais transposé en breton par Yann-Ber Premel, lequel assure aussi la direction de cette chorale constituée de dix-neuf chanteurs bretonnants, et c’est la seule avec ce profil. Je suis tenté de dire que cela se ressent fortement sur l’interprétation. 

Le groupe est composé de quatre pupitres et accompagné de trois musiciens. Leur répertoire raconte la vie de la mer en un pays de pêcheurs, de goémoniers et de marins. Les "Paotred pagan" ont obtenu la note de 14,76 points sur 20 — admirez la notation à la décimale près — ce qui leur vaut d’être classés 3e.

Le commentaire de Yann-Ber Premel

  • Nous avons débuté avec René Abjean pour un CD de chants de marins à trois voix, ténors, barytons et basses. On a réuni des chanteurs du pays pagan et jusqu'à Brest qui apprécient de chanter en breton. On utilise des partitions au début, puis on essaye de s'en passer. On n'est pas une chorale comme Mouezh paotred Breizh, juste un cercle de chanteurs.

Guy Pouliquen-1  Aber al Liger-1 

Une chorale bretonne de Loire-Atlantique

C’est de l’autre extrémité de la Bretagne (historique) que vient la chorale "Aber al Liger" [L’estuaire de la Loire], dont le nom traduit bien l’origine. Elle a été créée à la suite de la venue à La Baule en 2015 du Chœur gaélique d’Écosse. Sous la direction de Guy Pouliquen, elle se produit lors de festivals comme celui "Anne de Bretagne" à Nantes ou en partenariat avec l’École municipale de musique d’Indre pour un concert réunissant soixante choristes et quarante musiciens. À Landerneau, la chorale a présenté "Imran e Keltia", un périple à travers les pays celtiques. Elle obtient la note de 14,93 points, ce qui lui permet de juste surclasser les Pagan et de figurer à la 2eplace du classement.

Le commentaire de Guy Pouliquen

  • Nous chantons en breton en Loire-Atlantique parce qu'il existe un répertoire et que Nantes fait partie de l'âme bretonne. Il y a un public qui a l'envie de l'écouter. Nous n'avons pas énormément de bretonnants. Mais l'écho est plutôt bon et les concerts que nous donnons avec l'école de musique sont des moments magnifiques.

 

Airault Jean-Marie -1  Mouezh paotrred Breizh-1

Un sixième premier prix pour "le" chœur d'hommes breton

Les résultats précédents ayant été divulgués et comme il ne restait pas d’autres concurrents, il n’y avait aucun suspense pour le premier prix : comme l’a indiqué la présidente du jury, "Mouezh paotred Breizh" [Le chœur d’hommes de Bretagne] a encoregagné ! C’est effectivement son sixième titre de champion de Bretagne des chorales depuis 2008. Il l’emporte avec une note de 16,53 points pour une prestation intitulée "Amprestiñ a ra Breizh da sonerezh ar re all" [La Bretagne emprunte à la musique des autres". 

Le projet est explicite, puisque les musiques des cinq morceaux interprétés à Landerneau, tous sur des paroles bretonnes, ont été composées rien moins que par Schubert, Beethoven, Sibélius, l’estonien Arvo Pärt ou le russe Dimitri Bornianski !

Les chanteurs tout comme les musiciens de MPB viennent de toute la Bretagne, ce qui est forcément contraignant pour les répétitions, et en même temps un gage de motivation. Le groupe que dirige Jean-Marie Airault depuis ving-six ans se targue à juste titre d’être "une référence de qualité du chant breton".

Depuis sa création, il a donné plus de quatre cents concerts, en Bretagne bien sûr et ailleurs en France, y compris la capîtale, et à l’étranger : États-Unis, Angleterre, Italie, Pologne, les autres pays celtiques… Il met à son programme des chants traditionnels sacrés et profanes, mais aussi quantité d’auteurs, poètes et traducteurs. Il est juste curieux que leur site internet, par ailleurs perfectible, soit référencé comme "chœur d’hommes de Bretagne" et apparemment pas sous l’appellation "Mouezh paotred Breizh".

Le commentaire de Jean-Marie Airault

  • Le breton se chante comme toutes les langues. Je ne suis jamais tout seul. Les trois-quarts du groupe le comprennent, une bonne motié le parle de temps en temps. Les gens aiment bien qu'on leur apporte des chants et des choses originales qu'ils ne connaissent pas, ça marche. Ailleurs, les gens réclament aiment ça. Beaucoup de Bretons aiment bien exporter leur culture, mais pas chanter en breton.

Thomin Yann-Ber-1    Reén Abjean web-1

Quelques autres diverses notes

L’annonce du jour : Jean-Pierre Thomin, président de "Kanomp Breizh" [Chantons la Bretagne], la fédération organisatrice de l’événement, a présenté le premier livret de "Eostad René Abjean" [Le collectage de René Abjean], un recueil des airs collectés ou composés par lui-même. L’ouvrage entièrement en breton est accompagné d’un livret de traductions. On peut se le procurer sur le site de Kanomp Breizh. 

L’homme du jour : René Abjean justement, pour cet ouvrage (photo d'archives Kanomp Breizh, lors de Breizh a gan 2014, Pontivy). À Landerneau, cette année, il était discrètement assis dans l’assistance. Mais si mes observations sont exactes, c’est lui qui a composé ou harmonisé la moitié des chants interprétés lors du championnat, soit sept sur quatorze. C’est dire sa prééminence dans l’histoire récente et actuelle du chant choral d’expression bretonne.

Le répertoire : très souvent des cantiques, il reste très marqué par ses origines religieuses. Mais à part deux poèmes récents de Jean-Pierre Boulic traduits par Job an Irien ou un texte de Mari Kermareg, on entend surtout des paroles d’auteurs disparus. L’écriture serait-elle en panne ? D’autant que lors du concert qui a suivi la compétition, a été une nouvelle fois interprétée "Tridal a ra va c’halon" [Mon cœur frémit], adaptation d’un hymne protestant gallois, rigoriste au possible. J’en ai entendu se demander comment on pouvait toujours chanter de telles horribles paroles au XXIe siècle. Je me dis que chaque chorale choisit son répertoire en connaissance de cause, mais… 

Public-1   Public-2

Le public : chaleureux. Quelque cent trente personnes dans l’assistance, sans compter les choristes. Très peu de jeunes. L’église Saint Thomas dans laquelle se déroule le championnat des chorales est l’îlot de tranquillité du festival "Kann al loar". Mais aussi le plus discret. Ce n’est assurément pas la plus forte affluence. Il ne fait pas la une des journaux, comme le Celtic Social Club ou la fête maritime. La preuve, ce lundi, Ouest-France comme Le Télégramme ne consacrait chacun que deux petites lignes symboliques aux chorales bretonnes. "It's a long way to…" pour qu’on voie l’une d’entre elles en pleine page, comme pour Astropolis, le Festival de Cornouaille ou Les Vieilles Charrues… Sur ce plan, on est même très loin du modèle gallois originel.

Yann Goasdoué-1

Le final : ce fut inévitablement le "Bro goz ma zadou" [L’authentique pays de mes ancêtres], interprété par les trois chorales et l’assistance à l’unisson. Photo au début de ce post.

Le doyen : au premier plan de ce final, on ne pouvait que remarquer la vivacité sonore de Yann Goasdoué à la bombarde. Il fut, il y a longtemps, le fondateur du groupe de fest-noz "Diaouled ar Menez" [Les diables de la montagne]. Il accompagne volontiers la "Mouezh paotred Breizh". S’il ne l’est déjà, il sera bientôt le doyen des "talabarderien" [sonneurs de bombarde], non ?

La suggestion : au lieu de fonctionner en parallèle, la fédération Kanomp Breizh et le festival Kann al loar ne pourraient-ils pas s'associer pour sortir les chorales de la confidentialité et de l'église où elles sont confinées ? Pourquoi pas un grand concert en ville et en soirée de ce qui se fait le mieux en matière de chant choral, dans une scénographie dynamique, pour renouveler le genre et attirer un plus large public ? Ce serait un beau projet et ça vaudrait le coup.

La revue en langue bretonne Brud Nevez consacrera dans son prochain numéro un dossier au chant choral au Pays de Galles et en Bretagne.

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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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