Quand deux éminents interviewers se font eux-mêmes interviewer…
Cela se passait hier après-midi, à Brest, dans le cadre du festival "Longueur d'ondes", sur la scène de la mythique salle du Vauban. Ce festival de la radio et de l’écoute, qui se déroule chaque année depuis 17 ans, se présente comme une manifestation "unique en son genre" pour écouter de la radio dans le noir (plus exactement dans la pénombre) et rencontrer des grandes voix d’hier, d’aujourd’hui et de demain. D'après les déclarations de son président, Laurent Le Gall, à Steven Le Roy dans Le Télégramme de ce matin, c'est un festival éclectique, qui aura attiré cette année plus de 10 000 auditeurs, dont la moitié venant d'au-delà du Finistère (quand même !)
Une performance, dit le président de "Longueur d'ondes", qui "fait mentir celles et ceux qui pensent que l'on est régenté par le zapping." Le même ajoute avec un peu d'emphase que "la société d'écoute, celle qui est fascinante […] est composée des marathoniens de l'attention". Soit. Je n'ai pourtant pas eu l'impression que les auditeurs présents dans la salle ont produit un effort à ce point surhumain.
Des finistérités potentielles ? Mais oui…
Il est vrai que les deux "grandes voix" constituant le plateau du Vauban, à ce moment précis, n'étaient autres que Jean Lebrun et Emmanuel Laurentin. Le premier, vous le savez sûrement, présente ‘La marche de l’histoire’ tous les jours de la semaine à 13h30 sur France Inter. Et le second se retrouve tous les matins à 9h10 sur France Culture pour animer ‘La fabrique de l’histoire’.
Ils n'étaient pas seuls, car face à eux se trouvaient deux des voix d'Oufipo. Oulipo ? Non, j'ai bien dit Oufipo. Et vous ne connaissez pas Oufipo ? C'est l'ouvroir des finistérités potentielles. Tout un programme. Allez donc sur leur site : vous pourrez y écouter à satiété – je dis bien "écouter" et à satiété - des portraits, des entretiens, des rencontres, des conférences, des pépites, de la fiction… Oufipo est "une plateforme sonore locale", ce qu'ailleurs on qualifie de webradio. Mais dans le Finistère, on est au bout du monde, et on ne dit pas toujours les choses comme ailleurs.
Le passé, c'est toujours le présent
Entre Jean Lebrun et Emmanuel Laurentin, l’échange a été très sympa, d'autant que ces deux-là se connaissent bien puisqu'ils ont travaillé ensemble à Culture-matin. Et s'ils étaient au Vauban, c'est en fait pour l'enregistrement public d'un programme pour Oufipo – je ne sais pas lequel ni s'il se retrouvera dans la case 'entretien' ou dans une autre. L'émission était très bien préparée, avec insertions de surprenantes archives sonores. Le questionnement manquait peut-être d'un peu de spontanéité ou de réactivité, mais les interviewés savent jouer au ping-pong sonore.
Ils étaient invités, en fait, à s'exprimer sur leur parcours : anecdotes à l'appui, ils ont allègrement croisé leur biographie, aussi bien professionnelle qu'intellectuelle.
- Jean Lebrun, Breton de Saint-Malo et se revendiquant tel, a travaillé en presse écrite, à Combat et à La Croix, avant de rejoindre France Culture, puis France Inter.
- Emmanuel Laurentin, originaire de la Vienne, s'est très vite retrouvé à la radio, dans la matinale de Jean Lebrun.
S'ils ont une solide formation universitaire, ni l'un ni l'autre n'ont apparemment suivi de cursus pour devenir journalistes – j'en connais d'autres comme ça. Mais ils sont très fermes sur leur éthique de radio : ils ne visent pas à s'exprimer "au nom du peuple" (ce qui est un peu trop tendance en ce moment), mais à lui donner la parole, à être "avec le peuple". Et ils sont convaincus que parler d'histoire et du passé, c'est aussi beaucoup et de toute façon parler du temps présent. Ce qui, si j'en crois Le Monde "Idées" daté de samedi 4 février, est aussi la préoccupation des jeunes historiens d'aujourd'hui.