Quand Le Télégramme fait sa publicité en breton… à Rennes
Vous n’êtes peut-être pas de ceux qui transitent tous les jours par la gare de Rennes, moi non plus. Mais ça m’arrive de temps à autre. Quand j’y suis arrivé le 23 mai, je ne l’ai pas vue : on ne capte jamais tous les messages visuels ou autres qui vous sollicitent dans un lieu aussi immense. Quand j’ai voulu prendre le train du retour le lendemain, ça a fait tilt : une pub en breton à l’entrée de la gare de Rennes, je n’en avais jamais vu et, là, il y en avait une. Bilingue, certes, mais avec du breton. Et c’est le quotidien Le Télégramme qui fait ainsi son autopromotion. Du jamais vu de sa part.
- Photo ci-dessus : FB. Autres illustrations : DR.
La présence du breton dans la capitale régionale
Ça m’a donc surpris. Car, si l’on trouve Le Télégramme à acheter en gare de Rennes et peut-être ailleurs, il n’a pas d’édition rennaise à ma connaissance : Rennes est le territoire d’Ouest-France. Pour ce qui est du breton, je sais que 2 % des 15 ans et plus y parlent le breton (contre 4 % à Brest et 0 % à Nantes, sondage TMO Régions, 2018), que des institutions (université, enseignement, médias…) et que des associations ou des réseaux de plus ou moins forte notoriété sont basés dans la capitale régionale. Le département d’Ille-et-Vilaine prépare d’ailleurs son plan de politique linguistique en faveur du gallo et du breton, à l’instar de celui qu’a adopté le Finistère pour le breton. Serait-ce une raison suffisante pour y faire de la publicité bilingue ?
Je fais une petite digression qui n’est pas sans intérêt. Car ce qui avait marqué le Dr Gabriel Le Menn, un bretonnant originaire de Dinéault qui s’en alla du Finistère faire ses études de médecine à Rennes, c’est que personne n’y parlait le breton (témoignage personnel). Devenu médecin des hôpitaux toujours à Rennes, autour des années 1960, dans un nouveau service de neurochirurgie, il y était aussi interprète quand il le fallait, car il était… le seul bretonnant dans ce service « gallo ». Nommé à la Faculté de médecine de Brest en 1968, il en deviendra ensuite le doyen.
Rennes, porte d’entrée de la Bretagne
Je reviens à la publicité bretonne du Télégramme à l’entrée de la gare de Rennes. J’ai pu m’entretenir à ce sujet avec Jérôme Podevin, directeur Communication du Groupe Télégramme, au siège de Morlaix. « La raison pour laquelle on l’a fait ? Parce que c’est une porte d’entrée de la Bretagne. De plus, sur les portes d’entrée [de la gare], tous les panneaux sont déjà en français et en breton. On s’est dit : nous, on va faire comme la SNCF, en français et en breton ». Si ce n’est qu’il a fallu se mettre d’accord avec la SNCF et son afficheur, car en ce domaine tout est codifié.
Ceci étant, la campagne de promotion du Télégramme se veut à la fois innovante et humoristique tout en se positionnant à la fois sur l’actualité régionale et sur l’international. Le message nous est transmis par un texte concis et assez simple, qui s’impose d’emblée : « Les pieds en Bretagne, les yeux sur le monde ». Le Télégramme se positionne ainsi comme un média incontournable qu’aucun Breton ne devrait ignorer. Au lecteur potentiel de passer à l’acte d’achat et de se procurer le journal au quotidien, s'il a été convaincu.
Le visuel en adéquation avec le slogan écrit
Si ce n’est que le message est exprimé sur un mode binaire, qui conforte certes le lecteur sur sa double appartenance régionale et internationale, mais qui occulte du même coup l’échelon national. C’est un renversement de perspective par rapport à ce qui a longtemps été l’approche éditoriale du Télégramme dans l'après-guerre.
Le visuel vient renforcer le message. En gare de Rennes, ce sont des éoliennes qui semblent souffler sur l’invraisemblable coiffure jaune de Donald Trump : c’est presque surjoué. À côté d’une Bigoudène incontournable en coiffe, la photo d’un punk de festival, par exemple. L’authenticité supposée de la Bretagne côtoie une modernité très tendance en Bretagne même ou ailleurs dans le monde. Selon Jérôme Podevin, c’est le choc de photos qui se parlent entre elles dans une forme de jeu voulu entre celle de gauche et celle de droite.
Plus de breton dans Le Télégramme ?
Au vu de l’affichage bilingue à l’entrée de la gare de Rennes, je me suis demandé si cette campagne de promotion n’annonçait pas en même temps de nouvelles initiatives du journal en matière de langue bretonne. Jusqu’à présent et depuis de nombreuses années, Le Télégramme consacre une page entière au breton une fois par semaine, le jeudi, avec un rédactionnel conséquent intégralement en breton. Comme le journal est un quotidien, je me suis toujours demandé s’il ne pouvait pas proposer, non pas une page hebdomadaire, mais pourquoi pas une page quotidienne en breton. France 3 Bretagne tout comme France Bleu Breizh-Izel diffusent bien des journaux audiovisuels au quotidien.
Je crois comprendre que ce ne devrait pas être le cas. Déjà, l’affiche de la gare de Rennes est la seule à être bilingue, les autres étant uniquement en français : l’opération m’a été présentée comme étant un clin d’œil, sans plus, à l’égard de la SNCF (qui a des panneaux en breton dans la plupart des gares). Par ailleurs, cette campagne d’autopromotion paraît être en lien avec une autre opération conduite simultanément avec 50 autres titres de la presse quotidienne régionale pour mettre en avant les contours d’une France déjà en transition et en quête de demain, ce qui n’est pas sans intérêt par ailleurs.
Affaire à suivre ?