Le breton chez Larousse : c'est raté
1 000 mots pour se débrouiller dans toutes les situations : c’est ce qu’annonce fièrement un mini Larousse qui vient de paraître sous un titre tout aussi accrocheur : Le breton dans votre poche. Le concept est plutôt sympa et la réalisation graphique de bonne facture. Un assez joli petit livre, sous belle couverture cartonnée et pour un prix dérisoire.
La photo de couverture, par contre, fait cliché. Ça encore, ce n'est pas trop grave. Le contenu, c'est pire et c’est raté. Je dirais même plus : c'est tout à fait raté. Pas étonnant que ça fasse du reuz (le buzz en breton) : il n’y a quasiment aucune page sans bourde.
- Question d'accent (p. 5) : soi-disant les mots commençant par sant, comme Sant Brieg (Saint-Brieuc) prennent eux l’accent sur Sant > je n’ai pas l’impression…
- Néologie (p. 6) : le terme proposé pour l’e-mail est ar malad > je ne l’avais pas encore rencontré
- Syntaxe (p. 7) : hir vlev am eus : j’ai les cheveux longs > l’adjectif se place généralement après le substantif ; On devrait donc avoir : blev hir
- Nuance (p. 8) : lunedigoù, ce sont de petites lunettes, au lieu de lunedou pour lunettes
- Pur charabia (p. 10) : peseurt teodoù komz out ? déjà signalé par Christian Le Meut dans Le Télégramme : Larousse confond la langue qu'on a dans la bouche et celle qu'on parle (en breton ce ne sont pas des homonymes).
- Nombres (p. 11) : tri vugale au lieu de tri vugel (trois enfants) : le substantif reste au singulier après le nombre.
- Articles (p. 13) : confusion entre l'article défini an et l'indéfini eun (ou un), entre l'article indéfini "eun" ou "un" et le nombre "unan"
- Confusion (p. 13) : Pour traduire "Elle est en congé de maternité", on propose : Ehan mammelezh he deus graet. Ça fait assez bizarre, parce que si on retraduit ce breton en français, cela donne : "Je fais congé de maternité !"
- Néologie approximative (p. 15) : naturionez > terme non attesté supposé traduire [la] physique, alors que la racine natur laisse entendre qu'il s'agirait de sciences naturelles.
- Jolie coquille (p. 30) : "kigellerezh" (avec la racine "kig", viande) au lieu de "kizellerezh", sculpture. Ce n'est pas tout à fait la même chose.
- La totale ou la complèe, comme on voudra (p. 31) : la plupart des exemples de cette page pour dire "j'aime, je n'aime pas" sont fautifs.
C'est fou le nombre d'incongruités, de termes inappropriés, de phrases bancales, de désinences incorrectes, d'erreurs de syntaxe, d'inventions maladroites, de fautes d'accord, de confusions lexicales, de mutations erronées… Les expressions soi-disant indispensables sont plutôt grotesques…
Et je ne parle pas de la forme très particulière de transcription phonétique qui est proposée sous chaque expression bretonne et qui pourrait aisément ridiculiser celui qui tenterait de la reproduire à l’identique. Se débrouiller avec ce breton-là ? Mission impossible.
- Il y a quand même une exception. Page 73, on découvre l'expression "d'am sonj ez eus eur fazi". Traduction : "Je pense qu'il y a une erreur". En fait, vous l'avez compris : il y en a bien plus d'une. Donc, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Tout le monde crierait au scandale si quelque part était édité un manuel de français du même acabit. Il est assez incroyable que Larousse n'ait pas cherché un bretonnant compétent pour écrire ce mini-dictionnaire. On ne manque pas par ailleurs d'enseignants, d'auteurs, d'écrivains ou d'universitaires qui auraient pu donner (ou en l'occurrence refuser) leur imprimatur. Aux dernières nouvelles, l'Office aurait été saisi.
C'est un peu tard, puisque l'ouvrage est en librairie. On verra bien s'il y aura une nouvelle édition et à quoi elle ressemblera. J'espère que dans la même collection le grec ancien, le japonais ou encore le basque sont mieux faits.
Comme je l'ai expliqué dans l'interview que m'a demandée Valentine Boucq pour Tébéo, son seul intérêt pour l'instant est d'être collector. Le reportage est passé dans le journal de 19 h 30 de la chaîne locale jeudi dernier. Mais pour des raisons techniques, il n'est pas possible (momentanément ?) de revoir les journaux en replay depuis le 28 janvier.