Erasmus et le breton
L’Europe fête en ce moment les 25 ans du programme Erasmus, qui permet à tous les étudiants (et enseignants !) européens de poursuivre pendant quelque temps leurs études universitaires dans un autre pays que leur pays d’origine. Les universités vont marquer l’événement. La presse (que ce soit dans leur version papier ou sur leur site internet : voir celui de La Dépêche) et les médias audiovisuels en parlent. Les élus s’affichent. C’est sûr que c’est un très beau projet, et les étudiants qui en bénéficient sont le plus souvent ravis.
C’est donc très bien de parler du programme Erasmus. Vous n'avez sans doute aucune idée de ce que le mot veut dire ? En jargon européen, c'est : Programme d'Échange d'Étudiants et d'Enseignants entre les Universités et les grandes écoles Européennes. C'est assez simple, n'est-ce pas ?
Mais Erasmus, ce fut aussi un homme. Qui sait quelque chose de lui ? D’ailleurs, en français, on dit plutôt Erasme. Il est né en 1469 à Rotterdam et il est décédé en 1536 à Bâle. Moine de son état, il fut un théologien et un homme de lettres, le prince de l’humanisme. Sa devise était : "Nulli concedo" (Je ne fais de concessions à personne). C'était un pacifiste et un Européen convaincu.
Au tout début du XVIe siècle, avant Luther, Erasme a pris sa part dans le combat de ceux qui voulaient alors réformer l'Église et permettre aux peuples d'accéder en leur propre langue aux Écritures Saintes. Le débat faisait rage à ce moment-là entre ceux qui prétendaient qu'on ne devait lire l'Évangile qu'en latin et ceux qui affirmaient qu'il fallait le traduire dans toutes les langues.
Chose surprenante : Erasme cite le breton aux côtés du français, du germanique et de "l'indien" parmi les langues dans lesquelles il conviendrait de traduire l'Évangile. Voici ce qu'il en écrit :
- "Pourquoi paraît-il inconvenant que quelqu'un prononce l'Évangile dans cette langue, où il est né et qu'il comprend : le Français en français, le Breton en breton, le Germain en germanique, l'Indien en indien ? Ce qui me paraît bien plus inconvenant, ou mieux, ridicule, c'est que des gens sans instruction et des femmes, ainsi que des perroquets, marmottent leurs Psaumes et leur Oraison dominicale en latin, alors qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils prononcent" (cité par Ferdinand Brunot d'après ses Œuvres complètes, 1706).
Qui sait si Erasme n'avait pas eu connaissance des premières impressions du Catholicon ? Je ne formule qu'une pure hypothèse, bien évidemment. Mais ce Catholicon est à la fois le premier dictionnaire breton et le premier dictionnaire français. C'est en fait un dictionnaire trilingue : breton latin français, que rédige Jehan Lagadeuc à Tréguier en 1464 et dont la première édition imprimée paraît à Tréguier en 1499 et la seconde quelques années plus tard, au début du XVIe siècle.
La langue bretonne est en tout cas une langue connue des grands savants du XVIe siècle et devait avoir assez bonne réputation aux yeux d'Erasme ou Erasmus, puisqu'il la cite parmi des langues déjà de plus grande diffusion, mais aussi en compagnie des langues indiennes, dont les Européens ont alors la surprise de découvrir l'existence en même temps qu'ils découvrent l'Amérique.
Pour en savoir plus :
Ferdinand Brunot. Histoire de la langue française des origines à nos jours. Tome II. Le XVIe siècle. Paris : Armand Colin, 1967, p. 16-18.