L'actualisation de la politique linguistique : contribution au débat
Je suis intervenu dans le débat sur le nouveau plan de politique linguistique au cours de la séance plénière du Conseil Culturel de Bretagne qui s'est déroulé samedi 21 janvier. Il m'a été demandé si je pouvais mettre mon intervention en ligne. Le texte ci-dessous est celui sur lequel je me suis appuyé pour cette intervention.
Un événement
Le projet d’actualisation de la politique linguistique que nous est présenté est assez impressionnant puisqu’il compte 8 fois plus de pages que ne le faisait le premier plan qu’avait adopté le Conseil régional en 2004. L’actualisation d’un document de cette nature est forcément un événement. Il mérite d’autant plus notre attention qu’il suscite un certain nombre de questions.
Dans le nouveau document, la Région Bretagne affirme une nouvelle fois qu'elle "reconnaît officiellement, aux côtés de la langue française, l’existence du breton et du gallo comme langues de la Bretagne". Cette réaffirmation allait sans doute de soi, mais elle s'imposait. Le premier plan adopté en 2004 n’est donc pas tout à fait obsolète, puisque les principes en sont repris. À deux variations sémantiques près cependant :
- la première est qu'il n'y a plus à proprement parler de "bretonnants" dans le nouveau texte : désormais les locuteurs sont tous considérés - à 40 reprises - comme des "brittophones". Je ne suis pourtant pas sûr que les deux termes soient strictement équivalents
- la seconde est de la même manière la disparition du terme "populaire", alors que le plan de 2004 se fixait précisément comme objectif d'"assurer le maintien et la transmission du breton populaire." Ce n’est apparemment plus le cas.
Je note par ailleurs dans le nouveau plan une différence notable d'approche entre la langue bretonne et le gallo. La Région affirme certes ne pas opérer de "distinction qualitative" entre les deux langues. De toute évidence, le breton n'en apparaît pas moins aux yeux des porteurs du projet jouir d'un prestige bien plus considérable que celui du gallo. Le breton est une langue celtique, alors que le gallo est une langue d’oïl comme le français. Pour le breton, la demande sociale est présentée comme allant de soi. Pour le gallo, les mesures qui seront prises seront fonction de la demande sociale qui s’exprimera. Il y a enfin dans l'argumentaire développé notamment de la page 5 à la page 8 diverses formulations qui peuvent être considérés comme autant de prises de position et dont les présupposés à eux seuls justifieraient tout un échange.
66 engagements
Le document d'actualisation qui nous est soumis prévoit différents niveaux d'intervention de la part de la Région, et en premier lieu des "engagements" clairement identifiés comme tels, au nombre de 66. Un grand nombre de ces engagements vise à "obtenir" de diverses autres instances, et singulièrement de l'État ou de ses représentants locaux ou régionaux, l'adoption de diverses mesures en faveur des langues de France de manière générale, ou en faveur des langues de Bretagne plus spécifiquement. Le mot "obtenir" figure à 30 reprises dans le document d'actualisation.
Pour réunir les conditions du développement des langues de Bretagne, la Région veut ainsi "obtenir"
- une nouvelle modification de la Constitution en faveur des langues de France,
- la ratification de la charte européenne,
- le vote d'une loi-cadre,
- le droit à l'expérimentation en matière de politique linguistique…
À moins que le Président de la République ou le gouvernement décide qu’un sommet de crise soit tout à coup organisé concernant les langues de France, l'obtention de ces mesures ne pourra intervenir au mieux qu'après les prochaines échéances électorales. Ces mesures sont souhaitables. La question qui se pose est de savoir par quels moyens la Région Bretagne compte effectivement "obtenir" les transformations institutionnelles ou législatives qui sont espérées.
La région veut par ailleurs "obtenir" des mesures plus concrètes comme la contractualisation des nouvelles écoles Diwan dès leur ouverture (sans attendre le délai réglementaire de 5 ans), plus de postes de CAPES de breton, une agrégation de breton, un CAPES de gallo, une radio de service public en breton couvrant toute la Bretagne, etc. Plusieurs de ces mesures sont attendues depuis longtemps. Mais à défaut d'obtenir un droit à l'expérimentation en matière de politique linguistique, ces décisions relèvent de l'État ou de ses représentants locaux. Comment sera-t-il réellement possible de les "obtenir" dans un délai rapproché ?
23 des engagements listés dans le nouveau plan ont pour but de "soutenir" ou de "consolider" diverses initiatives. Certains relèvent spécifiquement de la Région, par exemple l'aide aux centres de formation longue en langue bretonne. D’autres ne peuvent se développer qu’en partenariat avec d’autres collectivités territoriales (départements ou communes), avec le réseau associatif, voire avec les entreprises. Cela va de l'initiation au breton ou au gallo dans le premier degré à l'apprentissage du breton sur internet, l'apprentissage du breton par les 16-30 ans… Ou encore l'accueil de la petite enfance en breton et l'ouverture de crèches immersives. Mais pour ces mesures de soutien ou de consolidation, on ne voit pas toujours bien si la Région joue le rôle de chef de file, ou si elle accompagne les initiatives prises par d’autres.
Transmettre les langues de Bretagne
Pour assurer la transmission des langues de Bretagne, l’enseignement est considéré dans le nouveau plan comme une question fondamentale. À juste titre, puisque la transmission intergénérationnelle n’est plus assurée, dans le cas du breton du moins, depuis deux générations au moins : de la même manière qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe c’est l’école qui a appris le français aux petits bretonnants, aujourd’hui c’est l’école surtout qui peut apprendre le breton aux enfants qui ne le savent pas. Les engagements du n° 7 au n° 24 du nouveau plan sont pour l’essentiel consacrés à cette question.
Même s’il n’a jamais été discuté dans cette enceinte, personne ici n’ignore sans doute que j’ai rédigé il y a quelques mois un rapport sur l’enseignement du et en breton. Je me félicite que le plan d’actualisation de la politique linguistique régionale reprenne à son compte, en tout ou en partie, une douzaine au moins des mesures que j'avais préconisées dans mon rapport. Elles concernent notamment celles à prendre pour favoriser la transition entre le CM2 bilingue et le collège bilingue. C’est un point capital, parce que si l’on ne parvient pas à résorber la déperdition des effectifs entre le primaire et le secondaire bilingue, cela pourrait signer à terme l’échec de l’enseignement bilingue. S’il n’y a pas beaucoup d’élèves au collège, il y en aura encore moins au lycée, et l’on pourra de moins en moins facilement résoudre la crise des vocations pour l’enseignement du breton. Le point concernant la formation aux métiers de l'enseignement bilingue est de la même manière un point crucial.
Par contre, le nouveau plan dont nous discutons voudrait établir pour l’enseignement public des seuils différenciés d’ouverture de classes en maternelle et en primaire en fonction de la densité démographique : 9 en zone rurale, 14 en zone urbaine (au lieu de 15 actuellement). Je m’interroge sur l’intérêt d’une telle mesure, pour des raisons complémentaires de celles qui sont avancées dans le projet d’avis du Conseil culturel, car ces classes bilingues à très faibles effectifs seraient nécessairement multiniveaux, et de tels seuils pourraient poser problème, à la fois sur un plan pédagogique et pour ce qui est de la charge de travail des enseignants, et par le fait même pour leur maintien sur site.
Plusieurs autres mesures que j'ai avancées dans mon rapport se retrouvent dans le nouveau plan, notamment dans le domaine de la communication. Sont notamment envisagés une communication ciblée sur l'intérêt et sur les métiers de l'enseignement bilingue (et ça ne suffira peut-être pas puisque les jeunes se détournent aujourd’hui des métiers de l’enseignement) ou le lancement d'une semaine d'information régionale sur la langue bretonne. Ces projets vont dans le bon sens.
Un arbre d'objectifs
Pour cet enseignement des langues de Bretagne, la Région veut "obtenir un développement de l'offre en fonction des dynamiques territoriales de croissance démographique." Contrairement à ce qui avait été formulé dans le premier plan, les objectifs quantitatifs ne sont pas définis cette fois-ci, et je crois qu’on peut le regretter. Mais on nous annonce que début 2013, la Région proposera "un arbre d'objectifs complets […] qui puisse devenir le référentiel partagé du développement de l’enseignement en breton." Si je peux me permettre un clin d'œil, je trouve cette expression remarquable : il me semble que la question de la langue bretonne vient quand même de franchir une étape, puisqu’on est capable désormais d’en traiter aussi joliment en langage technocratique.
Je me demande de la même manière pourquoi 7 des engagements figurant dans le projet d’actualisation se contentent d’annoncer qu’"une réflexion sera engagée" sur des questions aussi importantes que la diffusion du livre ou celle des musiques actuelles. Cette réflexion n’aurait-elle pas dû avoir lieu en amont ?
Un moment déterminant pour les langues de Bretagne
Je voudrais juste aborder rapidement deux derniers points en conclusion, quelle que soit leur importance.
Le premier concerne l’Office de la langue bretonne, dans la mesure où les missions de politique linguistique lui sont désormais déléguées par la Région. Cela donne une immense responsabilité à l’Office, qui devient une véritable administration à part entière, à laquelle est confié le soin de s’occuper d’à peu près tout ce qui concerne la langue bretonne. Je pense que dans l'histoire de la langue bretonne, si ce n’est peut-être l’Église du temps de sa splendeur, aucune structure ne s’est jamais vue confier autant d’objectifs prescripteurs. Je voudrais être certain que cela ne soit ne pas préjudiciable à l’éclosion d’autres initiatives.
Je m'associe aux interrogations que suscitent parmi les professionnels de l'enseignement ou des médias, mais aussi dans le secteur de l'édition, les contraintes qui pourraient leur être imposées et qui auraient pour effet d'instituer une sorte de contrôle à l'égard de la création intellectuelle, culturelle ou audiovisuelle. J’aimerais enfin savoir à qui en dehors de son Conseil d’administration et peut-être du conseil régional lui-même l’OPLB est appelé à rendre compte de son activité. Ne serait-il pas judicieux de mieux en assurer la transparence ?
Le 2e point concerne la question de l’orthographe du breton. Le terme lui-même est cité à 6 reprises dans le nouveau plan, mais c’est surtout dans un bordereau 413 que l’on découvre qu’une des orthographes en usage sera privilégiée dans un certain nombre de cas. Je partage l’inquiétude exprimée dans le projet d’avis élaboré par le bureeau du Conseil Culturel. Je pense qu’une telle question ne doit pas être réglée d’autorité et quelque peu en catimini, et qu’il vaudrait mieux sur un tel sujet rechercher le consensus et la concertation. Il y va de la responsabilité de la collectivité publique.
Le projet d’actualisation qui nous est présenté est un moment déterminant pour les langues de Bretagne, et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité contribuer à ce débat. Je vous remercie de votre attention.
Voir aussi sur ce même blog et sur le même sujet les messages du 13 janvier, du 19 janvier et du 24 janvier.