Au bistro du coin on parle aussi breton, hélas
Voilà typiquement le genre de film que je n'aurais jamais été voir s'il n'avait pas été projeté en breton. L'argument est sympa en apparence. L'idée du doublage se discute en l'occurrence. Et des conversations de bistro ne font vraiment pas un bon film.
L'argument ? Les clients du Chinon – c'est le nom du bistro - décident de monter un spectacle à la mémoire d'un SDF de leur quartier, récemment décédé. Ils ne sont évidemment pas d'accord pour savoir qui fait quoi. L'intendance a du mal à suivre. On entend de fausses engueulades. Le scénario ne réserve aucune surprise. Les scènes s'enchaînent un peu n'importe comment, pendant qu'imperturbable le même consommateur reste scotché au bar, répétant les mêmes phrases… Comme on leur fait jouer des rôles d'amateurs, les comédiens donnent l'impression de l'être eux-mêmes. Ceux qui s'en sortent le mieux, ce sont les seconds rôles : Eddy Mitchell, Hélène Seuzaret, et je ne vois vraiment pas qui d'autre.
Et c'est ce film de petits chiens écrasés et de trop bons sentiments, réalisé par Charles Nemes, "qui parle les langues régionales" (pour reprendre le titre d'un grand quotidien régional). Étrange formulation, quand on y réfléchit bien : on ne parle évidemment pas plusieurs langues en même temps dans le film, ça aurait été la cacophonie. Il s'agit en fait d'un film très classiquement tourné en français, qui a ensuite été doublé en six langues régionales, dont le breton.
Pourquoi donc ? L'idée serait venue du fait que le rôle principal, Fred Testot, aime beaucoup la Corse. Un peu court. Une interview du producteur, Sébastien Fechner, sur le site de "Films en Bretagne", en dit un peu plus : "Ce n’est pas du tout une démarche militante de défense des langues régionales à la base" et une telle démarche n'est pas critiquable en soi. Un article du journal "L'Alsace" révèle le pot aux roses. D'après l'un des comédiens, Guy Lecluyse, les versions du film "en langues régionales" sont tout simplement "une blague". Une blague pas tout à fait désintéressée quand même : "on ne va pas s’en cacher, le but était aussi de faire le buzz, de faire parler du film." Il ne s'agit donc que de ça ? Ça ne devrait quand même pas suffire pour le sauver du fiasco. Cet après-midi, à Brest, il y avait zéro spectateur à la première projection en VB (sous-titrée en français quand même), un à la 2e et cinq à la 3e… Ça ne va pas être facile de tenir plusieurs semaines.
Les diffuseurs ont investi pour le doublage du film, bien sûr, avec le concours des régions concernées et donc celui de la Bretagne aussi. Je ne sais pas si les décideurs ont pris la peine de le visionner avant de lui attribuer toutes ces subventions. Sur le principe, je ne suis pas contre, et les élus n’ont pas forcément vocation à intervenir sur les contenus. Mais doubler en breton un film sans intérêt n'en fait pas un chef-d'œuvre.
Il n’en reste pas moins que cette initiative constitue une première : c’est effectivement la première fois qu’un film sort en salle en version bretonne (mais aussi en version corse, occitane, alsacienne, ch’ti et créole) en même temps que la VF. Le doublage en breton a été maîtrisé par la seule structure ayant réellement une expérience en la matière, à savoir l’association Dizale. De nombreux comédiens bretonnants et non des moindres (Goulwena an Hénaff, Nolwenn Korbell, Corinne ar Mero, Klet Beyer…) ont prêté leur voix pour le doublage.
Encore un mot, car le doublage d’un film réserve toujours de belles surprises à qui connaît la langue source comme la langue cible. Dans le cas présent, tous ceux qui connaissent le breton savent aussi le français : ils peuvent donc suivre à la fois les dialogues en breton et la VF en sous-titrage. Comment dit-on « hachis parmentier » en breton ? Eh bien, c’est… « kig-ha-fars » ! Incroyable pour un Léonard, mais vrai dans le film.
Pour en savoir plus : http://www.filmsenbretagne.com/Actualites-849-295-0-0.html