Mona Ozouf à Plouha… et sur France Culture
Belle émission ce matin dans "La fabrique de l'histoire" d'Emmanuel Laurentin, sur France Culture. C'était le deuxième épisode d'une série intitulée "Egohistoire".
Les noms de Jacques et Mona Ozouf ont été donnés à une école de Plouha, dans les Côtes d'Armor, en septembre dernier. Et c'est précisément dans cette école publique que Mona Ozouf, fille de l'instituteur Yann Sohier, a fait ses études primaires. Elle y est donc retournée et y a rencontré ses anciennes camarades de classe.
Le documentaire, signé de Perrine Kervran et Anne Fleury, fait un aller-retour permanent entre les souvenirs des anciennes élèves et la lecture plus distancée de l'historienne, quelques mois après la parution de sa "Composition française". L'émission confronte astucieusement les représentations anciennes à celles d'aujourd'hui, concernant de nombreux thèmes comme la concurrence entre l'école laïque et l'école religieuse, le poids de la religion et celui de la modernité, les traditions politiques et… la question de la langue bretonne, incontournable en la circonstance.
Je ne vais pas raconter l'émission, puisqu'on peut la podcaster pendant une semaine, je crois, sur le site de France Culture, et ensuite l'écouter bien plus longtemps encore.
Parle-t-on breton à Plouha ?
Juste une remarque sur le fait que Plouha ait été situé pendant l'émission "dans ce pays gallo qui assez tôt s'est francisé". Cette formulation est ambiguë. Plouha s'exprime en français aujourd'hui, soit. Mais lorsque Coquebert de Monbret rédige son enquête sur la limite linguistique en 1806, il considère Plouha comme étant en zone bretonnante. En 1862, J. Gaultier du Mottay note également que la limite entre les deux langues, breton et gallo, part de Plouha. En 1886, Sébillot observe que "dans tout Plouha, on parle breton et souvent aussi le français". En 1890, on prêche en breton à Plouha. Jusqu'en 1949, la commune a été incluse par l'Évêché dans l'archidiaconé bretonnant de Tréguier.
La situation a commencé à évoluer au XXe siècle. Le linguiste Albert Dauzat rapporte en 1925 le témoignage du curé doyen, l'abbé Dagorn, selon lequel "il serait bientôt obligé de cesser les prédications en breton, sous peine de ne plus être compris". Les enfants ne suivent déjà plus le catéchisme en breton. Mais juste avant la dernière guerre, les enquêtes de l'Évêché signalent que l'une des messes à Plouha est toujours à prédication bretonne, l'autre à prédication française.
Ce que confirme un ancien vicaire de 1938, l'abbé Chalony, avec qui j'ai correspondu : ses dernières interventions régulières en breton à la messe du matin s'arrêtent cependant en 1939. Une autre enquête de terrain qu'effectue R. Panier révèle qu'à Plouha "seuls quelques rares vieillards parlent encore le breton et la plupart des adultes ne le connaissent pas" : c'était en 1942.
Aujourd'hui, l'association "Kalon Plouha" propose des cours et des stages de breton. Elle a même mis en ligne les six fascicules de l'Atlas Linguistique de la Basse-Bretagne de Pierre Le Roux.
J'en reviens à "La fabrique de l'histoire". Il est exact que l'usage du français s'est généralisé à Plouha dès la première moitié du XXe siècle, anticipant sur ce point ce qui se passera ultérieurement dans toute la Basse-Bretagne. Mais historiquement Plouha ne peut pas, me semble-t-il, être situé en pays gallo.
Le site de "La fabrique de l'histoire", sur France Culture : http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/fabriquenew/
Celui de l'association "Kalon Plouha" : http://www.kalon-plouha.bzh.bz/
Pour en savoir plus :
Fañch Broudic : A la recherche de la frontière. La limite linguistique entre Haute et Basse-Bretagne aux XIXe et XXe siècles. Brest : Emgleo Breiz, 1995, 179 p., cartes.