Identités et constructions identitaires : trois jours de colloque à Brest
Pour être complet, précisons que cette rencontre scientifique portait sur les constructions identitaires dans la langue et le discours. Comme il s’agissait d’un colloque international organisé par les anglicistes de l’UBO, il avait également une dénomination anglaise :
- Identities and Identity Constructions in Discourse and Language.
Il s’est déroulé du 18 au 20 octobre à la Faculté des lettres et sciences humaines de Brest.
Le rapport à l’autre construit l’identité
Selon la définition que proposait l’appel à communication, l’identité est indissociable de la notion d’altérité et se construit nécessairement par rapport à l’autre, dans un rapport conflictuel, ou non. Elle est donc au cœur d’enjeux politiques, sociétaux, académiques, médiatiques… Trois axes étaient privilégiés :
- Axe I : Identité individuelle, identité collective.
- Axe II : Dimensions linguistiques et discursives de l’identité
- Axe III : Identité, lutte pour la reconnaissance. Discours identitaires, communautarismes, nationalismes. Identité, émancipation, repli sur soi. Identités assignées, identités de combat. Identité, visibilisation (ou non), et lutte pour la reconnaissance.
Un colloque réellement international
Plus de 60 propositions de communication avaient été soumises aux organisateurs : une trentaine ont été retenues. Les intervenants venaient, par exemple, d’Algérie, de Turquie, de Tunisie, de Pologne, de Tchéquie, d’Irlande, du Canada, des États-Unis, des Philippines, de Hong-kong, du Pays basque, d’Alsace, de Lorraine, d’Orléans, Rennes, et bien sûr de Brest.
Ils se sont exprimés en présentiel ou en visioconférence : il est vrai que l’on peut ainsi bénéficier aisément désormais des connaissances et des analyses d’universitaires de l’autre bout du monde sur des questions qui nous importent ici aussi. Quinze sont intervenus en anglais et autant en français. Pour ma part, je n’ai été présent au colloque que la journée du jeudi, ce qui m’a tout de même permis d’entendre huit communications.
Je propose ci-après un focus sur quelques-unes d’entre elles, tout en précisant que j’ai trouvé aussi un réel intérêt à entendre par exemple Maelle Le Roux (Université de Galway) évoquer la reconstruction de la mémoire irlandaise à partir d’une revue publiée entre 1930 et 1977.
La présentation de Benatta Fatima Zohra (Université de Mustapha Stambouli) du technolecte des agriculteurs algériens illettrés était également passionnante : en se forgeant des emprunts au français, à l’arabe dialectal et à l’arabe classique, ils se positionnent dans une stratégie de transition d’une identité culturelle à une identité professionnelle.
Jade Newton : Une étude qualitative sur l’anglais vernaculaire des Afro-Américains
Venant de la Northeastern Illinois University, Jade Newton centre sa recherche sur les Afro-Américains instruits, très qualifiés et experts dans leur domaine professionnel. Elle s’est exprimée sur le code switching et l’identité langagière à propos de l’« African American Vernacular English » (AAVE), perçu pendant des décennies comme étant un anglais incorrect qu’utilisent les personnes sans instruction, un argot noir avec une grammaire illogique, autrement dit de l’anglais standard « avec des fautes ». C’est admis dans le parler des communautés afro-américaines, mais ça ne l’est pas toujours ni à l’école ni dans un contexte professionnel.
Myriam Dupouy & Adam Wilson : Constructions identitaires dans et par les langues
L’une enseigne à l’Université du Mans et l’autre à celle de Lorraine : ils mettent l’accent sur la légitimité. Leur problématique : quelle place occupe l’accent dans la construction fluctuante et dynamique de l’enseignant.e de langue, particulièrement chez ceux de FLR/S et d’anglais.
La construction identitaire s’élabore par et dans nos pratiques langagières. En apprenant une langue additionnelle, assurent-ils, l’on se confronte à l’apprentissage d’un nouveau système linguistique, à des éléments culturels, mais aussi à des enjeux identitaires. Et l’accent est « un élément particulièrement saillant de ces enjeux. » Les deux intervenants proposent de concevoir l’accent non en tant que problème, mais comme « une empreinte fluctuante » dans des processus de construction (et) plurilingues, voire pluriphones. Cette approche ne pourrait-elle pas être étendue tant aux enseignants qu’aux apprenants dans le cas de ceux qui font l’acquisition du breton dans le cadre de formations longues, par exemple ?
Guillaume Enguehard : Réflexions sur l’identité normande
Enseignant à l’Université d’Orléans, il se penche sur le cas de la Normandie pour questionner la pertinence du lien entre langue et identité en contexte d’hybridation culturelle ancienne. Comment les Normands peuvent-ils ainsi revendiquer une appartenance à la sphère culturelle scandinave ? De fait, la langue normande partage sa fonction de marqueur identitaire avec les langues scandinaves anciennes ou modernes, « en mettant en avant des aspects spécifiques, parfois exagérés ou anachroniques. »
Guillaume Enguehard souligne ainsi l’existence de ce qu’il en vient à appeler « une langue fantôme », soit un idéal linguistique en lien avec l’identité normande, mais dépourvu de propriétés intrinsèques. Il n’en estime pas moins qu’il existe dans le cas de la Normandie une cohérence entre le sentiment d’appartenance et l’idéal linguistique auquel on se réfère, même indirectement. Le chercheur a par ailleurs été surpris lorsque je lui ai signalé que l'écrivain de langue bretonne Mikael Madeg avait publié un ouvrage sur les surnoms normands !
Élisabeth Chatel : comment Joseph Loth a pu mettre la linguistique au service d’un récit national breton ?
Le titre de la communication de la doctorante brestoise Élisabeth Chatel n’est pas celui-là, mais plus précisément « Défendre sa thèse, défendre la Bretagne ? Joseph Loth dans les Annales de Bretagne (1886-1934) ». Ce dernier n’est sans doute plus guère connu que des spécialistes et de ceux qui fréquentent le lycée qui porte son nom à Pontivy, sans forcément savoir qui il fut. Né à Guéméné-sur-Scorff en 1847, il a été professeur de celtique à Rennes, avant d’être nommé au Collège de France. Sa thèse sur L’émigration bretonne en Armorique du Ve au VIIe siècle de notre ère avait été bien perçue tant — et paradoxalement — par les milieux scientifiques de l’époque que par les militants bretons.
Joseph Loth publiait déjà beaucoup dans la Revue celtique, mais il crée les Annales de Bretagne en 1886, peut-être pour contrer le monopole des monarchistes de la Revue de Bretagne et de Vendée. Élisabeth Chatel propose une analyse des Annales de Bretagne en vue de comprendre comment Loth a pu produire un discours permettant notamment de mettre la linguistique au service d’un récit national breton..
Gildas Grimault : Devenir bretonnant
Le cœur de la recherche du doctorant de Rennes 2 est, selon ses propres termes, de comprendre comment "s'inventer bretonnant.e" au terme d’une formation longue en six ou neuf mois dans une structure dédiée. Le réalisateur Ronan Hirrien a déjà consacré un intéressant 52’ à ce sujet il y a quelques années. Pour sa thèse, Gildas Grimault suit au long cours un panel de dix-huit stagiaires au moyen d’entretiens semi-directifs. Car apprendre une nouvelle langue, ce n’est pas seulement acquérir de nouvelles compétences linguistiques, c’est aussi se doter d’une nouvelle identité, qui relève d’une double dynamique.
Gildas Grimault perçoit ainsi les nouveaux locuteurs du breton comme un groupe social hétérogène, néanmoins organisé autour de codes sociaux et de normes linguistiques communs. « Devenir bretonnant est un apprentissage jalonné d’étapes propres à ce groupe social ». En même temps, la construction identitaire s’organise autour d’une transaction interne qui amène l’individu à remodeler sa nouvelle identité bretonnante à partir des identifications précédentes. Et cette nouvelle identité s’appuie sur un désir singulier d’apprentissage de la langue.
Les organisateurs du colloque "Identité et constructions identitaires dans la langue et le discours"
- Gaëlle Le Corre, maître de conférences en anglais à l’UBO et membre du CRBC (ci-contre)
- Mohamed Saki, angliciste du laboratoire HCTI (à droite ci-dessus, sur la photo d'Élisabeth Chatel)
- Élise Mathurin, également angliciste, ancienne de l’UBO en poste à Toulon depuis septembre.
Le colloque s’est déroulé sous les auspices de deux laboratoires de la Faculté des Lettres et Sciences humaines :
- Héritage et Création dans le Texte et l’Image — HCTI (EA 4249)
- Centre de Recherche Bretonne et Celtique — CRBC (EA 4451)
Pour lire l’appel à communication initial en version française ou anglaise : cliquer ici
Les présentations des interventions évoquées ci-dessus s’appuient sur les résumés remis aux participants. Toute approximation éventuelle dans la restitution de ces résumés ne saurait être que du fait du rédacteur de ce blog.
Toutes les photos de ce post, hormis le visuel du colloque : FB