Les obsèques de Jean Le Dû par un triste temps de déconfinement
C’est au son d’une chanson de Ferrat et à celui de la grande cornemuse écossaise d’un de ses amis qu’ont eu lieu les obsèques de Jean Le Dû au cimetière de Plougrescant, sous un ciel voilé, face à la mer. Selon sa fille Maï, il souhaitait depuis longtemps que pour son enterrement l’on écoute "Ma France" chantée par Jean Ferrat… Ce qui a été fait.
Une vingtaine de personnes a assisté mardi après-midi à la cérémonie : la famille, cela va de soi, à l’exception de son autre fille, Donaig, bloquée en Afrique, quelques universitaires, des proches et voisins de Plougrescant ou de Saint-Quay-Portrieux. Chacun tentait comme il le pouvait de se protéger aussi du vent glacial et tourbillonnant, ce qui en ajoutait à la tristesse du moment.
Deux prises de parole ont eu lieu avant qu’il soit procédé à l’inhumation des cendres dans le caveau familial.
Le professeur et l’homme
Ronan Calvez, le directeur du Centre de recherche bretonne et celtique à l’Université de Bretagne occidentale à Brest, a commencé par "saluer Jean, respectueusement, une dernière fois", mais aussi "le professeur et l’homme, fraternellement", se faisant le porte-parole d’Annie, de Mannaig, de Nelly, d’Yves et de tous ses collègues du CRBC. Il a rappelé par ailleurs que Jean Le Dû était "un très fin connaisseur du breton et de ses variétés" :
- "Son grand œuvre reste et restera le Nouvel Atlas Linguistique de la Basse-Bretagne, publié en 2001, fruit d’un long travail de collecte attentive et respectueuse auprès des bretonnants.
- De même, son dictionnaire du breton de Plougrescant, publié en 2012, témoigne de son amour pour le breton des siens — de sa mère notamment.
- Enfin, en 2019, il aura eu le plaisir de voir ses articles de sociolinguistique, coécrits avec Yves Le Berre, publiés sous le titre Métamorphoses".
C’est en compagnie de ce dernier qu’il avait fondé le GRELB (Groupe de recherche sur l’économie linguistique de la Bretagne) en 1984 et entrepris de publier La Bretagne linguistique. Ronan Calvez a annoncé que le prochain numéro de la revue, le n° 23, serait le tout premier mis en ligne sur OpenEdition Journals, et qu’il contiendra une contribution de Jean Le Dû. Ronan Calvez évoque le message qu’il nous transmet par son parcours :
- "Tisser des liens, échanger et faire des rencontres : c’est aussi cela que je garderai comme héritage de Jean. La nature n’existe pas et, seules, les cultures existent."
L’intime relation de Jean Le Dû à Plougrescant
Pour ma part, j’ai évoqué la douleur que nous avons ressentie en apprenant que Jean Le Dû nous avait quittés à l’improviste en faisant ce que nous faisons presque tous machinalement toute la journée sans même y penser, c’est-à-dire marcher, en faisant sa promenade habituelle en compagnie de son épouse, Françoise. Puis, j’ai tenté de cerner sa relation à la commune de Plougrescant. Il était connu de tous comme étant originaire de Plougrescant et son nom est invariablement associé à celui de la commune.
Il y est né effectivement en 1938. En 1978, il a soutenu à Brest la thèse d’État qu’il a consacrée au parler breton de la presqu’île de Plougrescant. Il y a une dizaine d’années, il en a extrait, et sans cesser de collecter du vocabulaire et d’autres expressions entre-temps, la matière d’un double dictionnaire d’un millier de pages du trégorrois de Plougrescant. Lors du congrès annuel de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne à Tréguier il y a deux ans, il avait présenté une communication, basée sur ses observations personnelles, sur l’imperceptible effacement de la langue bretonne à Plougrescant au cours du XXe siècle, en lien avec les mutations économiques et sociétales qu’avait connues la commune en l’espace de deux générations.
De Dieppe à Brest, via Rennes
Et pourtant, si l’on y pense bien, il n’a jamais beaucoup vécu à Plougrescant. Il quitte la Bretagne en 1946 à l’âge de huit ans, pour s’installer à Dieppe avec ses parents, où il fait pourtant le choix de ne leur parler que le breton. Puis, il fait des études supérieures d’anglais dans la seule université existant alors en Bretagne, celle de Rennes, tout en suivant à la section de celtique les cours de breton du seul homme d’Église enseignant alors dans l’université française, le célèbre chanoine Falc'hun, ce qui sera déterminant pour son avenir professionnel. Il séjourne deux ans en Irlande et en profite pour apprendre le gaélique. Il revient à Rennes comme assistant de celtique.
C’est à Brest qu’il aura passé finalement le plus grand nombre d’années de sa vie. Après le décès de Pierre Trépos en 1966, Jean Le Dû rejoint la section de celtique de la toute jeune Faculté des lettres, comme l’avait fait le Professeur Falc'hun. Il y fera dès lors toute sa carrière comme enseignant-chercheur. Membre du CRBC, il mène des recherches tous azimuts sur le breton, acquiert une réputation internationale du fait de ses travaux, voyage beaucoup, devenant même un expert du créole au point de co-diriger l’Atlas linguistique des Petites Antilles. Quand vient le moment de la retraite, il s’installe avec Françoise à Saint-Quay-Portrieux.
Je vous disais qu’il n’avait jamais beaucoup vécu à Plougrescant. Il reconnaît lui-même n’y avoir fait que des séjours épisodiques, mais ce furent des séjours qui ont compté. Il revenait voir ses parents. Sa mère, Anne-Marie Maguet a été pour lui une informatrice de premier ordre : on l'appelait pourtant Mai Mager en breton, de même que certains de ses frères et sœurs étaient bel et bien enregistrés en tant que Maguer à l'état-civil ! Il y revenait aussi pour ses enquêtes, mais aussi pour rencontrer et échanger avec ses amis, encore tout récemment. Et c’est ainsi que, d’une certaine manière, il aura fait connaître Plougrescant à quantité de gens qui n’en auraient jamais entendu parler autrement !
- Yann an Du n’am-eus ket bet jamez digarez da heulia tamm kelennadurez ebed gantañ. Med eun enor braz eo evidon e vije bet ma rener tezenn. Eun den desket e oa, eun den êzet, kaozeüz, joaiuz, goaper eun tamm bennag evel eun tregeriad. Al labour e-neus kaset da benn war dachenn ar brezoneg a dalvezo e-pad pell da gement hini e-neus eun interest bennag evid on yez. Kenavo, Jean.
- Photos : Annie Le Berre, FB.
- Merci à Gilles Goyat pour ses remarques.