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Le blog "langue-bretonne.org"
4 octobre 2019

La création du Centre de recherche bretonne et celtique : les origines

CRBC 50 ans-1  CRBC panneau-1

C’est très exactement à la rentrée universitaire de septembre 1969 qu’a été créé le CRBC, au sein de la Faculté des lettres de Brest, dans la toute jeune Université de Bretagne occidentale. C’est ce qui a motivé le laboratoire à fêter son 50e anniversaire tout au long de la présente année 2019 en organisant plus d'une vingtaine de manifestations. Et c’est la raison pour laquelle j’ai été invité, ainsi que Chantal Simon-Guillou, à intervenir jeudi dernier lors d’une "méridienne spéciale 50 ans" sur les origines et les premières années du centre de recherche. 

La méridienne est un espace de rencontre et d’échange jouxtant la bibliothèque du CRBC, qui peut accueillir quelques dizaines d’auditeurs. Nous avons été l’un et l’autre les documentalistes et les responsables administratifs du centre, moi pendant six ans et Chantal Guillou tout au long de sa carrière professionnelle.

CRBC origines FB CG-1

De gauche à droite : Fañch Broudic et Chantal Guillou, lors de la méridienne "spéciale 50 ans" du 26 septembre.

Pour ma part, j’ai d’abord tenu à souligner que la création du CRBC n’a été rendue possible que parce que deux conditions avaient été préalablement réunies. La première fut l’ouverture à Brest d’un Collège scientifique universitaire (CSU) en 1959, puis celle d’un Collège littéraire universitaire (CLU) en 1960, la même année que celui de… Nantes ! Les deux collèges brestois furent au début des succursales des facultés rennaises. Leur ouverture faisait suite à un rapport rédigé en 1957 par l’historien Yves Le Gallo, alors professeur de Lettres supérieures, avec le concours et le soutien de collègues comme Eugène Bérest, futur maire de Brest, Edmond Soufflet, un latiniste, et Robert Gravot, proche des milieux économiques. Le rapport avait été présenté notamment lors du congrès du CELIB à Carhaix. Son président, René Pléven, ancien Président du Conseil, le soutient, tout comme le maire de Brest de l’époque, Yves Jaouen.

Aux yeux d'Yves Le Gallo, il était indispensable de proposer des formations supérieures sur place aux cohortes de plus en plus nombreuses de bacheliers du Finistère, mais aussi de surmonter "les maléfices originels" de la Basse-Bretagne (absence d’équipements culturels de haut niveau), "aggravé par l’isolement d’une fin de continent". Il était inconcevable à ses yeux qu’il n’y eût pas d’université en Basse-Bretagne et que la seule chaire universitaire de breton soit située à Rennes. Il fallut surmonter bien des réticences du côté de Rennes, voire des oppositions, mais cela s’est fait. Le CLU a d’abord fonctionné dans des baraques et des préfabriqués (à l’emplacement de l’actuelle faculté Ségalen) que j’ai connus. Son rayonnement commence à s’élargir assez vite au-delà du Finistère : en 1964, nous sommes quelques-uns à venir nous y inscrire des Côtes-du-Nord de l’époque.

La création de l’UBO (Université de Bretagne occidentale) proprement dite interviendra plus tard, le 27 mars 1969. L’implantation de l’enseignement supérieur à Brest est décisive : elle s’impose comme un contrepoids à l’omniprésence séculaire de la Marine et a changé le visage de Brest et celui de la Bretagne occidentale (qui n’est peut-être pas tout à fait la Basse-Bretagne).

CRBC origines FB CG-2

Brest, au début, ce ne sont que quelques centaines d’étudiants, quelques milliers en 1968. Eux aussi participent aux mouvements de mai et de juin, j’en sais quelque chose, avec notamment la mise en place d’une commission paritaire étudiants-enseignants. L’important est ce qui s’en est suivi : la transformation et la mutation de l’université, à Brest comme ailleurs en France. Et c’est là le second préalable dont je parlais et qui a conduit à la création du CRBC.

Le fait remarquable est qu’elle intervient moins de dix ans après la création du CLU (1960). On crédite généralement Yves Le Gallo d’en avoir été le créateur. Mais lui-même raconte dans ses souvenirs d’un universitaire bas-breton que le projet en avait déjà été formulé dès avant 1966 par Pierre Trépos, professeur de celtique à Brest et premier directeur du CLU. Yves Le Gallo ajoute que 

  • "le cours des événements étant devenu favorable aux cultures régionales, il revint à Alice-Saunier-Seité d’en assurer la réalisation".

Cette dernière était professeure de géographie, spécialiste de l’Arctique. Elle a été directrice du CLU avant de devenir doyen de la Faculté des Lettres à sa création juste après mai 1968 (et première femme doyen de France). Elle sera plus tard secrétaire d’État aux universités, puis ministre des Universités jusqu’en 1981. J’ai l’impression qu’on tend aujourd’hui à occulter son implication pour la mise en route du CRBC et pour le développement de la Faculté des Lettres. Il est vrai qu’elle a quitté Brest assez rapidement après. Dans un texte inédit, Edmond Monange, ancien professeur d’histoire et assesseur du doyen, témoigne du rôle d’Alice (comme tout le monde l’appelait) dans cette affaire, d’autant qu’elle était l’épouse de Jérôme Seité, un promoteur de la modernisation de l'Université et de la pluridisciplinarité, en poste à ce moment-là au cabinet d’Edgar Faure, le ministre de l’Éducation nationale de l’après-68.

Alice-Saunier-Seité va réellement impulser la création du CRBC à la rentrée 1969. Au hasard d’une rencontre fortuite au milieu de l’été, le jour de clôture de l’avant-dernier Festival des cornemuses de Brest, elle m’annonce que le Centre allait être créé à la rentrée au sein de la Faculté des lettres, ce que j’ignorais. Je suis encore plus surpris qu’elle se propose de me recruter comme documentaliste au sein du nouveau laboratoire. Je commence à y travailler dès le 1er septembre 1969 dans un bureau (avec balcon, s’il vous plaît) au premier étage du bâtiment B de la Faculté des lettres, dont les locaux venaient d’être construits en dur avenue Le Gorgeu, sur le plateau du Bouguen. Le 29 septembre, Yves Le Gallo, qui avait manifesté quelque réticence au début sur le périmètre du nouveau centre, est élu directeur. Il le restera dix-huit ans, jusqu’en 1986, donnant d’emblée au CRBC une aura qu’il a su préserver et amplifier.

On doit tant à Alice Saunier-Seité et Jérôme Seité qu'à Yves Le Gallo l’inscription du centre, dès son lancement, dans une démarche originale de recherche réunissant linguistes, historiens, ethnologues et littéraires. Mais c'est Yves Le Gallo qui décide concrètement de créer la bibliothèque qui porte aujourd’hui son nom à la Faculté Victor Segalen. Il y avait bien, déjà, un fonds breton à la bibliothèque municipale de Brest, la plus proche bibliothèque spécialisée se trouvant quant à elle à plusieurs dizaines de kilomètres, à l’abbaye de Landévennec. Yves Le Gallo tenait à ce qu'une telle bibliothèque soit implantée au cœur du monde universitaire, tout en étant ouverte vers l'extérieur. 

Visite CRBC-1

Visite du CRBC le 1er octobre par une amicale d'anciens étudiants brestois, les BQD (Branle que dalle)

Si, de par l’intuition et la volonté de son premier directeur, cette bibliothèque du CRBC est devenue la référence incontournable que l’on sait pour les études bretonnes et celtiques en France, ses débuts ont été aussi modestes que discrets. Car c’était une bibliothèque sans le moindre livre à son lancement, avec juste une ou deux tables et quelques chaises. Il a fallu tout constituer ex nihilo. Un local lui avait cependant été attribué pour stocker et inventorier ses premières acquisitions : le sous-sol bétonné des murs au plafond du bâtiment B déjà évoqué, où la lumière du jour ne pénétrait qu’avec parcimonie par de simples vasistas. Dois-je rappeler que l’informatique n’avait pas encore été inventée ?

Une politique méthodique d’acquisitions avait été définie à l’instigation d’Yves Le Gallo et de l’ethnologue Jean-Michel Guilcher, le directeur adjoint, qui venait d’arriver à Brest avec sa réputation d’ethnologue. Deux bibliothèques entières de bibliophiles, celle du notaire Francis Even à Tréguier et celle de l’historien Daniel Bernard à Cléden-Cap-Sizun, ont été acquises par leur entremise. Je m’appliquais pour ma part à repérer les nouveautés de l’édition en rapport avec les thématiques du laboratoire, compulser les catalogues de bouquinistes et fréquenter les ventes aux enchères.

Mais là je me suis trouvé en concurrence frontale avec un autre acheteur, le fondateur d’une importante chaîne de supermarchés, qui constituait au même moment sa propre bibliothèque bretonne sous le pseudonyme de Saint-Louis, avec des moyens incomparablement supérieurs à ceux de l’université. Avec l’assentiment de l’évêché, j’ai pu aussi prospecter les presbytères à la recherche d’ouvrages anciens que nous n’aurions pas encore. J’ai par ailleurs commencé à élaborer et publier des outils de bibliographie, dont je pressentais l’utilité : celle de tout ce qui se publiait en breton d’une part, et celle des publications traitant du breton d’autre part. 

Faculté Lettres Victor Segalen Brest-1

Puis il a été prévu que le Centre de recherche bretonne et celtique, ses chercheurs et sa bibliothèque emménagent enfin dans des locaux plus adaptés et plus spacieux, au 3e étage du bâtiment C de la Faculté des Lettres (située alors avenue Le Gorgeu). Sur ce dossier aussi, l’implication d’Alice Saunier-Seité a été déterminante au démarrage du projet. 

Ce que je ne vous ai pas encore dit, c’est qu’une dizaine de jours à peine après avoir commencé à travailler à la Faculté des lettres en septembre 69, j’ai reçu la visite inopinée de Charles Le Gall, plus connu sous le nom de Charlez ar Gall, puisqu’il était le présentateur des émissions en breton de la radio et de la brève séquence du vendredi soir à la télévision régionale. J’avais fait sa connaissance dès mon arrivée à Brest. Il m’explique que sa femme, Chanig, qui le secondait à la radio, n’avait pas pu reprendre son émission quotidienne en breton après l’été pour raison de santé. 

Il me sollicite pour la remplacer. Je lui objecte que je ne le pouvais pas puisque je venais de m’engager au CRBC. Il était désemparé. J’ai donc fini par accepter. Il ne s’agissait, n’est-ce pas, que d’un remplacement de quelques semaines à temps partiel. En décembre 1975, j’ai finalement choisi de rejoindre le service public de l’audiovisuel à temps plein. Je ne me suis cependant pas définitivement éloigné du monde universitaire, puisque j’ai soutenu en 1993 ma thèse sur l’évolution de la pratique sociale du breton de l’Ancien Régime à nos jours et que je suis ensuite devenu chercheur associé au CRBC. Mais tout cela est une autre histoire.

 CRBC origines FB CG-3  CRBC origines FB CG-4

Photo de gauche : Chantal Guillou-Simon. Celle de droite : Philippe Lagadec, son successeur (au centre, en bleu).

Chantal Guillou-Simon aura été pendant trente et quelques années la grande coordinatrice du Centre de recherche bretonne et celtique. Après le remplacement qu’elle effectue en 1972, elle ne le quittera qu’à son départ à la retraite. Pendant tout ce temps, elle a secondé et accompagné les différents directeurs qui se sont succédé : Yves Le Gallo bien entendu, puis Donatien Laurent, Fañch Roudaut, Jean-François Simon, Philippe Jarnoux. Elle a joué un rôle éminent dans la gestion du laboratoire et dans son association avec le CNRS. 

Elle a également marqué de son empreinte le développement de la bibliothèque du CRBC et pour la réception des multiples fonds d’archives qui lui ont été transmis. Elle a constamment été à l’affût des ouvrages rares dont le CRBC a pu faire l’acquisition. Elle s’enthousiasme de tous ceux qui font qu’aujourd’hui la bibliothèque Yves Le Gallo est devenue la bibliothèque de référence en France concernant la matière bretonne et celtique en moins d’un demi-siècle. Elle raconte par exemple comment elle a sacrifié un week-end pour négocier l’acquisition des huit volumes d’un dictionnaire breton- français unique : le manuscrit de Pierre Joseph Jean chevalier de Coëtanlem de Rostiviec qui, sinon, risquait de partir aux États-Unis.

Elle souligne combien le concours des collectivités territoriales, que ce soit la ville de Brest ou le département du Finistère, a été et reste déterminant pour le développement de la bibliothèque du CRBC, qui a reçu par ailleurs le label du CNRS. Elle se félicite du fonctionnement de la bibliothèque, installée désormais à la proue de la Faculté Victor Segalen, avec vue imprenable sur la ville de Brest, aisément accessible à tout lecteur qui le souhaite, universitaire ou non. Pour Chantal Simon-Guillou, la bibliothèque du Centre de recherche bretonne et celtique a été une passion et une réalisation.

  • Merci à Jean-Baptiste pour les photos prises lors de la méridienne du 26 septembre.

Événements à venir

Du jeudi 10 au mercredi 23 octobre, salle d’exposition Les Abords, au rez-de-chaussée de la Faculté des Lettres et Sciences humaines.

  • Exposition "Le fin fonds du CRBC. Richesses d’une bibliothèque". Une institution universitaire reconnue par le CNRS et unique au monde dans ses domaines de recherche, conservant 68 000 ouvrages, 2 300 titres de revues et plus d’une centaine de fonds d’archives, dont ceux d’Anatole Le Braz et Pierre-Jakez Hélias. Le CRBC présente une centaine de documents qui sont autant de trésors.
  • Exposition photographique : "Figures du CRBC 2019".

Jeudi 21 novembre, salle C 219, UFR Lettres et Sciences humaines.

  • Journée d’étude : "Le CRBC : cinquante ans de recherche(s)". Déterminer ce qui a fait et ce qui fait l’identité du CRBC.
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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