Priziou 2019 : que dire des lauréats ?
Petit décryptage et d'autres photos du palmarès 2019, d'une catégorie à l'autre.
Dans la catégorie "association"
On pouvait s’attendre à ce que Radio Kerne soit primée, elle l’a été non pas pour les réalisations dont elle aurait pu faire état à l’occasion de ses vingt ans, mais pour un projet qui doit aboutir dans quelques semaines : celui de lancer une antenne 100 % en breton en Loire-Atlantique.
Dans la catégorie "livre de fiction"
Je remarque surtout le 3e prix attribué à Yann-Fulup Dupuis pour une pièce de théâtre en quatre actes (parue aux éditions An Alarc’h). Parce qu'il n’est pas courant qu’un texte de théâtre fasse l'objet d'une telle reconnaissance.
Dans la catégorie "collectivité"
La ville de Carhaix l’a emporté sur celle de Rennes. Les réalisations de la capitale bretonne ont été remarquées : signalétique bilingue, prochainement une crèche bilingue, mise à disposition de locaux pour Skol an Emsav. Le jury a dû considérer que celles de la capitale du Poher étaient plus conséquentes : livret de famille bilingue, classes bilingues dans toutes les écoles, présentation bilingue dans le centre archéologique Vorgium… Tout serait donc bilingue à Carhaix ? Pas encore, mais la ville aime à se présenter comme un modèle pour les autres.
Dans la catégorie "création audiovisuelle"
Sébastien Le Guillou n’a pas été très disert en recevant le premier prix pour un documentaire de 26’ sur un danseur de fisel qui s'est fracturé la jambe sous son tracteur, mais il est à l'aise et parle sans notes. Il a surtout fait état de son envie de réaliser bientôt d’autres films. Il s’exprimait plus longuement ce jeudi dans la page en breton du Télégramme, en répondant aux questions d’Anna Quéré : « que ferais-je, se demande-t-il, si je ne faisais pas de films ? » Ce qui fait la force d’un film, ajoute-t-il, c’est la complicité qu’il réussit à installer entre ceux qu’il filme et lui-même.
Dans la catégorie "entreprise"
Le premier prix est revenu à Lorcyber, une entreprise de cybersécurité basée à Vannes et qu’on ne s’attendait pas à retrouver à cette place. Que je sache, dans le monde de la cybersécurité, on fonctionne plus en anglais qu’en breton. Pierre Lorcy, le président de la société, s’est fait remarquer en sortant son smartphone de sa poche (quand les autres, certains du moins, sortent encore leur feuille de papier).
Il n’a prononcé que deux ou trois phrases basiques en breton, mais il affiche sa fierté « d’avoir enfin fait quelque chose pour le breton en le faisant entrer dans le monde de la cybersécurité et en faisant entrer de nouveaux mots dans notre langue ». Cela se voit sur le site internet de la société, même s’il n’est pas entièrement traduit en breton (pas plus qu’en anglais d’ailleurs).
Dans cette même catégorie, le second prix revient à la Fondation Crédit Agricole du Finistère, qui accompagne les initiatives permettant le développement de la langue bretonne dans le département. Et pourquoi pas ? Mais n'est-il pas quelque peu cocasse de remettre un chèque à une banque pour ses actions de mécénat ?
Dans la catégorie "disque chanté en breton"
Tout le monde aurait été interloqué si Denez (autrement dit, Denez Prigent) n’avait pas été primé. Les critères sont stricts : il faut non seulement chanter en breton, mais aussi que ce soit de nouveaux textes. Denez correspond parfaitement au profil puisqu’il compose la plupart de ses chansons (et pas n’importe quels textes !) avant de les interpréter. La chanteuse Morwenn Le Normand était chargée de lui remettre son trophée : comme il n'était pas présent, elle a assuré la prestation avec la fraîcheur et l’espièglerie qu’il faut dans ces cas-là.
"Le brittophone de l’année"
Arno Elegoed était nominé deux fois pour le livre-CD "Kan ar bed" [Le chant du monde] qu’il vient de publier avec sa maison d’édition "Bannou-Heol" et qui est un succès. Il a réussi le pari de réunir pour la première fois une centaine d’auteurs, de chanteurs et de musiciens de Bretagne et d'ailleurs pour, dit-il, effectuer le plus beau des voyages en musique. Il donne ainsi la possibilité à tous de découvrir les cultures du monde au travers de treize morceaux de différents pays qui se mêlent aux sonorités de la langue bretonne.
Eh bien, cette réalisation a reçu le 2e prix dans la catégorie "Disque chanté".
Arno Elegoed a été promu de surcroît "brittophone de l’année 2019". Son prix lui a été remis par la lauréate de l'an dernier, Stéphanie Stoll, la présidente de Diwan. Quelqu'un(e) a fait remarquer qu'aucune femme n'avait été nominée cette année dans cette catégorie. D'ailleurs, si je compte bien, il n'y en a qu'une seule (et encore n'était-elle pas… seule) à avoir obtenu cette année le premier prix, toutes catégories confondues. Je ne sais pas qui doit le faire, mais il y a du boulot…
Arno se dit très heureux de cette reconnaissance, qu’il partage avec ceux qui ont cru en son projet, mais ne peut cacher son amertume. Il regrette les multiples obstacles qu’il a trouvés sur sa route de la part de diverses structures et met les points sur les "i" :
- "il est temps que les élus et les hautes autorités de l’académie de Rennes par exemple comprennent qu’il n’y a pas de culture ni de langue inférieure ou au-dessous des autres."
C’est ce qu’il a exprimé fermement en pensant au breton. Attention, risque de mécompréhension : ne pas confondre "a-iz" et "a-uz" en breton ! Car le sous-titrage, lors de la diffusion, disait l’inverse :
- "il n’y a aucune culture, aucune langue au-dessus des autres."
Comment dit-on "errare humanum est" en langage armoricain ?
Pour voir ou revoir en replay l'intégralité de la remise des Priziou 2019, se rendre sur le site de Bali Breizh ou directement sur Youtube.