Nouveau sondage "langue bretonne" : stabilité apparente des locuteurs déclarés, diminution des locuteurs effectifs
Une nouvelle enquête par sondage a été menée au début de l'été 2018 sur la pratique sociale du breton et du gallo et les représentations liées aux langues de Bretagne. Elle se situe dans le prolongement de nombreuses autres menées depuis une trentaine d'années, notamment :
- Les sondages que j'ai pu mettre en œuvre successivement en 1990 et 1997 (en Basse-Bretagne) et en 2007 (en Bretagne historique) sur la langue bretonne, avec le concours de l'institut TMO Régions
- D'autres sondages menés entre-temps par une collectivité départementale, en l'occurrence le Conseil départemental du Finistère en 2014, ou à la fois sur le breton et le gallo, à l'initiative d'une structure telle que BCD (Bretagne Culture Diversité), en 2014 également
- Sans oublier l'enquête "familles" de l'INSEE à l'occasion du recensement de 1999
- Ni l'enquête d’initiative locale sur la pratique du breton à Carhaix, dans le cadre du recensement de la population de la ville, dans lequel pour la première fois avaient été intégrées des questions spécifiques à ce sujet avec le concours de l'OPLB (Office public de la langue bretonne).
- Enfin, de multiples enquêtes de terrain (le plus souvent dans un cadre universitaire) et d'études spécifiques (notamment de la part de l'Office public de la langue bretonne) ont contribué à une meilleure connaissance concrète des usages de langues en Bretagne.
Une initiative du Conseil régional de Bretagne
Les principaux résultats du nouveau sondage ont fait l'objet d'une présentation à la presse le 4 octobre dernier à Rennes, en présence de M. Loïg Chesnais-Girard, président du Conseil régional de Bretagne (photo DR). Les différents médias en ont abondamment traité.
La spécificité du nouveau sondage est qu'il s'agit de la première enquête d'une telle ampleur et aussi diversifiée concernant à la fois la langue bretonne et le gallo sur l'ensemble des cinq départements de la Bretagne historique. C'est le Conseil régional de Bretagne qui en a pris l'initiative et c'est à l'institut TMO Régions, basé à Rennes, qu'a été attribué le marché dans le cadre d'une procédure adaptée. La collectivité régionale a pu affecter à ce projet d'enquête des moyens bien plus conséquents que ceux qu'il avait été possible de réunir lors des sondages précédents.
L'enquête réalisée par TMO Régions porte en effet sur un panel de plus de 8 162 personnes interrogées auxquelles ont été posées jusqu'à plus de soixante questions pour ce qui est de son versant "locuteurs". L'objectif était également de recueillir des données exploitables pour chacun des pays de la région Bretagne et de Loire-Atlantique et d'établir ainsi pour la première fois une cartographie circonstanciée des usages de langues tant en Basse-Bretagne qu'en Haute-Bretagne. Les cartes obtenues sont particulièrement significatives à cet égard.
Un comité technique et un comité de pilotage avaient été constitués par la collectivité territoriale pour en assurer le suivi : ils se sont réunis à plusieurs reprises à Rennes depuis le mois de juin. Le Conseil régional m'a sollicité pour être le président du comité technique, dans lequel avaient été invités à siéger 24 universitaires et personnalités compétentes (titulaires et suppléants).
Une mise à jour essentielle
Au regard de la sociolinguistique, cette enquête constitue une mise à jour essentielle pour appréhender sous de multiples angles les usages que font les Bretonnes et les Bretons en 2018 de leurs langues propres ainsi que les représentations qui leur sont liées.
Le rapport d'enquête a été préparé par Pascale Wakeford, associée de TMO Régions, et moi-même, en tant que président du Comité technique. Il a été soumis à ce dernier, ainsi qu'au Comité de pilotage.
Vous pouvez visionner le diaporama qui restitue les principaux résultats de cette enquête 2018.
Focus sur le breton : un résultat inattendu, mais en trompe-l'œil
L'exposition à la langue bretonne est très nette en Basse-Bretagne, bien que moindre dans le sud-est de la zone bretonnante, et elle est plus forte en Haute-Bretagne que celle du gallo en Basse-Bretagne. Si 20 % des personnes interrogées entendent parler breton autour d’elles au moins une fois par mois, c'est que ce taux est forcément corrélé au nombre des locuteurs. Les taux sont particulièrement élevés dans tout l'ouest breton, frôlant les 50 % dans le Trégor, dépassant les 40 % dans les autres pays (excepté celui de Brest). Ils sont nettement moins élevés en Bretagne sud.
En Basse-Bretagne, 20 % de la population déclare comprendre le breton, et 2 % en Haute-Bretagne, en très légère baisse dans les deux cas par rapport à 2007. En moyenne régionale, le taux de connaissance passive est de 9 % sur l'ensemble des cinq départements.
Pour ce qui est de la pratique de la langue, on pouvait s'attendre à une nouvelle régression conséquente du taux de locuteurs comme du nombre de bretonnants, sur la base des projections démographiques effectuées en 2007. Il n'en est rien, et le résultat affiché en 2018 est tout à fait inattendu de ce point de vue. Sur les cinq départements, le pourcentage des locuteurs paraît stable à 5,5 %. Le nombre des locuteurs augmente très légèrement de 2 %, soit 207 000 personnes, sur l'ensemble de la Bretagne.
Comment expliquer ce résultat ? Il pourrait tenir à une visibilité plus forte que précédemment de la langue bretonne dans le paysage linguistique de la Bretagne, qui aurait pu conduire plus de personnes interrogées à répondre qu'elles la parlent très bien ou assez bien. En même temps, ce faible taux d'augmentation peut tenir tout aussi bien à la marge d'erreur.
C'est surtout en Basse-Bretagne qu'il faut bien évidemment observer l'évolution intervenue entre 2007 et 2018, puisque c'est là que se concentrent près de 90 % de la population locutrice et qu'elle est historiquement la zone traditionnelle de pratique du breton. De fait, le taux de locuteurs baisse d'un demi-point dans cette zone – ce qui est minime - à 12,5 %, correspondant à une population estimée de 176 000 bretonnants (au lieu de 172 000 en 2007) sur la zone concernée. En Haute-Bretagne le taux de locuteurs est stable, à 1 %, soit 23 500 personnes.
Le breton reste donc une langue fortement territorialisée, puisqu'il se pratique toujours beaucoup plus en Basse-Bretagne qu'en Haute-Bretagne. La représentation cartographique des taux de locuteurs par pays le montre nettement. Ils sont élevés dans un Trégor élargi au pays de Morlaix et au Centre-Ouest-Bretagne. Ils sont relativement faibles en pays vannetais, et singulièrement dans le pays de Vannes. En Haute-Bretagne, ils varient de 0 % (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas de locuteurs dans les pays concernés, mais qu'il y en a très peu) à 2 %, à l'exception du pays de Saint-Brieuc, où le taux s'élève à 3 %.
Cette stabilité apparente du taux et du nombre de locuteurs est cependant quelque peu en trompe-l'œil. Car pour ce qui est des usages concrets, le taux des locuteurs déclarés qui ne parlent jamais le breton a doublé depuis 2007, se situant désormais à hauteur de 21 % (soit 37 000 personnes), soit un locuteur sur cinq.
Le taux des locuteurs effectifs (c'est-à-dire de ceux qui s'expriment en breton au moins une fois par semaine) diminue en réalité de 8,5 % (à périmètre constant), soit un nombre estimé de 140 000 personnes utilisant effectivement le breton (au lieu de 153 000 en 2007, à périmètre constant). La diminution n'est pas aussi importante que celle envisagée il y a dix ans. Mais elle est réelle, et ce résultat est bien en phase avec la perception qu'en ont la plupart des observateurs sur le terrain.
Moins de 40 000 locuteurs parmi les 15-59 ans
Deux autres paramètres doivent être pris en compte à cet égard : l'âge et la profession des locuteurs. En Basse-Bretagne, le poids démographique des plus de 60 ans et celui des retraités se sont ànouveau renforcés par rapport aux enquêtes précédentes. Et ils sont plus imposants pour le breton que pour le gallo.
Pour le breton, le poids des 60 ans et plus a sensiblement augmenté entre 2007 et 2018 : alors qu'il était déjà de 70 % il y a dix ans, il est aujourd'hui de 79 % des locuteurs déclarés. Comme dans toutes les enquêtes précédentes, l'âge reste le principal caractère discriminant en matière de pratique du breton.
En d'autres termes, quatre bretonnants sur cinq se situent désormais dans les tranches d'âge les plus âgées, et il y en a que 21 % parmi les 15-59 ans. Ce qui veut dire qu'on n'en compte plus que 37 000 en tout et pour tout parmi eux, quand il y en a près de quatre fois plus parmi les 60 ans et plus, soit 140 000 environ. Les 70 ans et plus représentent à eux seuls plus de la moitié des locuteurs. La pyramide des âges de la population bretonnante est plus que jamais inversée par rapport à celle de population générale et le graphique de la répartition des locuteurs selon les tranches d'âge est tout à fait explicite sur ce point. L'âge moyen des bretonnants est désormais de 70 ans.
On ne sera pas surpris, dès lors de découvrir un résultat analogue en ce qui concerne la répartition par CSP, c'est-à-dire par catégories socioprofessionnelles. La catégorie la plus fortement représentée est celle des retraités, dont le pourcentage passe de 60 % en 2007 à 72 % en 2008, soit désormais près des trois quarts de la population locutrice. Si l'on retranche ces retraités ainsi que 8 % d'autres personnes sans activité professionnelle du total, on observe que les actifs (toutes catégories confondues) ne représentent que 20 % des locuteurs, soit à nouveau 40 000 locuteurs déclarés environ.
Les taux varient de 1 % (pour les artisans, commerçants, chefs d'entreprise) ou 2 % (pour les agriculteurs exploitants) à 4 % (pour les ouvriers) et 5 % (pour les professions intermédiaires comme pour les employés).
Notons enfin que le Finistère est le département le plus bretonnant de Bretagne et de France, puisqu'à lui seul il comptabilise 51 % des locuteurs, soit 88 000 personnes environ.
À suivre, prochainement : nouveau sondage "gallo" : un déficit de notoriété, des pratiques fondées sur l'oralité