Le tilde sur le n de Fañch : nouveau rebondissement
L'affaire du petit Fañch, né le 11 mai dernier à Quimper, revient à la une dans l'actualité, et Ouest-France l'annonce à la une (du moins dans ses éditions finistériennes) et par deux articles : une synthèse en page Bretagne et un article plus développé en page Finistère.
Ce que nous apprend Christian Gouerou, c'est que ses parents ont été convoqués il y a déjà plus de quinze jours, le 5 juillet, au TGI (Tribunal de grande instance) de Quimper en vue d'une "demande de rectificatif d'un acte d'état civil, ou des jugements déclaratifs ou supplétifs de l'état civil." Le délibéré sera prononcé le 13 septembre.
L'avocate du ministère public s'est appuyée sur divers articles de loi. Les parents de Fañch ont expliqué qu'ils voulaient garder le tilde sur le ñ. Ils avaient anticipé d'éventuelles complications à venir en faisant aussitôt établir une carte d'identité et un passeport au nom de leur fils : s'ils les ont obtenus, c'est que le tilde sur le ñ n'a pas dû poser de problème dans les services concernés.
Que dit la loi ?
Or, il apparaît qu'il y en a un. Du point de vue de l'administration, à tout le moins, et elle s'appuie pour cela sur la circulaire du 23 juillet 2014 selon laquelle on ne peut, sur ce sujet, déroger à une précédente loi du 2 Thermidor an II (soit le 20 juillet 1794, en pleine période de la Terreur et quelques jours seulement avant la chute de Robespierre) ni à un arrêté du 24 Prairial an XI (soit le 13 juin 1803, sous le Consulat de Napoléon Bonaparte).
Il n'est pas superflu en la matière de se reporter aux textes. La loi du 2 Thermidor actait la mise en œuvre d'une Terreur qui devient linguistique aussi et stipule que tout fonctionnaire rédigeant un acte
- "en idiomes ou langues autres que la française, sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa résidence, condamné à six mois d'emprisonnement et destitué."
L'arrêté du 24 Prairial concerne quant à lui tous les pays et départements et définit que là
- "où l'usage de dresser lesdits actes [publics] dans la langue de ces pays se serait maintenu, [ils] devront tous être écrits en langue française", la traduction en "idiome du pays" pouvant cependant être écrite "à mi-marge de la minute française."
Je ne suis pas expert en la matière, mais aucun de ces deux textes ne prévoit explicitement l'annulation en droit des actes rédigés en une autre langue que le français, si ce n'est qu'on doit pouvoir toujours l'interpréter comme implicite. Dans la loi du 2 Thermidor an II, c'est le fonctionnaire (par exemple, un officier d'état civil ?) qui prend le risque d'être condamné à de la prison et destitué (ce qui peut être dissuasif). Dans l'arrêté du 24 Prairial an XI, n'est formulée qu'une obligation relative de rédiger tout acte public en français.
Que dit la circulaire ?
Par contre, la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l'état civil est tout à fait explicite : elle réaffirme la liberté de choix du prénom de l'enfant par ses parents et stipule que
- Tout autre signe diacritique attaché à une lettre ou ligature [autre que ceux de la langue française] ne peut être retenu pour l’établissement d’un acte de l’état civil.
Et le tilde sur le ñ n'en fait évidemment pas partie.
Dans mon message du 19 mai dernier, je m'étonnais d'une certaine prudence de la ville de Quimper dans le communiqué qu'elle avait diffusé pour expliquer son choix d'admettre le prénom Fañch avec un tilde sur le ñ à l'état civil, comme si elle ne considérait pas elle-même son positionnement comme parfaitement imparable en droit.
"La maudite circulaire"
Dans le numéro 629 du 30 juin dernier de l'hebdomadaire "Ya !", Tangi Louarn, par ailleurs président de "Kevre Breizh", expliquait les raisons pour lesquelles il n'y a, semble-t-il, aucune difficulté à attribuer un prénom tel que Goulc'han à un nouveau-né puisqu'il ne contient aucun signe diacritique qui ne soit pas reconnu par la circulaire du 23 juillet 2014 et cela même si la le "c'h" n'est pas considéré en tant que tel comme une lettre de l'alphabet français.
D'autres villes pourraient certes suivre la voie ouverte par Quimper en admettant elles aussi le ñ. Mais, ajoutait Tangi Louarn en forme de mise en garde, "quand vous voudrez obtenir un document, une carte d'identité ou un passeport, il n'est pas certain que le n soit maintenu avec son tilde, tant que cette maudite circulaire ne sera pas abolie."
En déclarant à Ouest-France qu'ils ne veulent en aucun cas changer le prénom de leur enfant, les parents du petit Fañch Bernard manifestent leur volonté de ne pas céder. Le tribunal de grande instance de Quimper fera-t-il preuve de compréhension ou voudra-t-il appliquer la circulaire à la lettre ? Quel qu'il soit, le jugement du 13 septembre prochain pourrait faire jurisprudence, mais il pourra aussi être contesté par l'une ou l'autre des parties.
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