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Le blog "langue-bretonne.org"
20 septembre 2016

Une conférence chantée et un concert exceptionnels

Guillorel Eva-1   Vassallo Marthe-1

Au début du mois, s'est tenu à Quimperlé le congrès de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne (la SHAB). Au programme figurait une conférence publique à deux voix, dont l'originalité était qu'elle était assurée par une historienne, Eva Guillorel (maître de conférences d'histoire moderne à l'université de Caen), et par une interprète de chants traditionnels, en l'occurrence Marthe Vassallo.

Quand l'une présentait les éléments du dossier et développait son analyse du sujet, l'autre les illustrait d'extraits des gwerziou de son répertoire, en y introduisant son petit grain de sel et en témoignant de sa relation personnelle à ce type de chansons. La complicité entre les deux intervenantes était totale.  

Femmes victimes, femmes coupables ?

Mais de quoi donc était-il question ? Une thématique autour de la chanson collectée s'imposait au pays de La Villemarqué. L'intitulé retenu pour la conférence était le suivant :

  • Femmes victimes, femmes coupables ? La société bretonne d'Ancien Régime au prisme des complaintes de tradition orale (voir message du 28 août).

Eva Guillorel a mis en évidence dans sa thèse et dans ses travaux que les gwerziou (les complaintes de tradition orale en langue bretonne) pouvaient être une source documentaire remarquable pour l'étude de la société bretonne des XVIe et XVIIe siècles : elles permettent d'éclairer les comportements et les sensibilités d'individus et de groupes dont on retrouve moins de traces que pour d'autres dans les archives écrites. C'est notamment le cas des femmes, très présentes dans les gwerziou dans la mesure où elles en sont les protagonistes et qu'elles en ont été également les interprètes qui ont contribué aux collectages du XIXe siècle.

Des faits divers sanglants

Ce qui a longtemps laissé dubitatifs les historiens c'est que les complaintes rapportent des événements qui peuvent être précisément datés et qu'elles permettent de documenter les difficultés et les aspirations des femmes dans la Bretagne d'Ancien Régime. Elles décrivent des faits divers sanglants ou sordides, assez semblables à ceux dont nous entendons toujours parler à notre époque : infanticides, suicides, enlèvements, assassinats, meneuses de bandes… Dans ces récits, les femmes apparaissent parfois comme des coupables, le plus souvent comme des victimes.

Même s'il y avait peu de bretonnants dans la salle, l'historienne et la chanteuse – qui ne manquent pas d'humour, aussi difficile que soit le sujet - ont su partager avec leur auditoire leur passion et leurs connaissances tout comme l'émotion qu'engendre l'écoute de gwerziou. La dynamique de leur prestation a fait de ce moment un temps fort du congrès de la SHAB. Il ne reste qu'à formuler deux souhaits :

  • que les actes du congrès de Quimperlé de la SHAB, dans quelques mois, soient pour une fois accompagnés d'un CD
  • qu'Eva Guillorel et Marthe Vassallo puissent avoir l'opportunité de présenter leur conférence chantée en d'autres lieux et devant d'autres publics à l'avenir.

Blanchard Nelly Barzaz-1   Postic Fanch Barzaz-1

"(Ré)interpréter les chants du Barzaz Breiz" : un concert à la Faculté

Je ne pense pas que ce soit une première, mais celui qui a été donné jeudi dernier à la Faculté Victor Ségalen, à Brest, visait à marquer la sortie des actes d'un colloque qui s'est tenu il a près d'un an au manoir de Kernault, en Mellac, à l'occasion du 200e anniversaire de la naissance de Théodore Hersart de la Villemarqué, l'auteur du Barzaz Breiz. Ce sont les directeurs du volume, Nelly Blanchard et Fañch Postic, qui l'ont présenté.

On ne connaît vraiment de La Villemarqué que son Barzaz Breiz, lequel a contribué en raison de sa notoriété à forger "une Bretagne-image" qui survit jusqu'à aujourd'hui, et a réellement occulté par ailleurs la vie et l'œuvre de son auteur. Le colloque comme l'ouvrage qui en est issu se proposent donc de briser le miroir et de faire savoir que La Villemarqué n'est pas que le si fameux Barzaz Breiz. Onze contributions s'y attellent, et j'y reviendrai.

Pour autant, il était inconcevable de ne pas évoquer cette anthologie au moment du 200e anniversaire de sa naissance. Les organisateurs du colloque ont été astucieux : ils ont voulu donner à entendre ou à réentendre diverses interprétations des chants du Barzaz Breiz telles qu'elles ont été proposées depuis près de deux siècles, pour aller au-delà de celles que nous avons tous dans l'oreille (pour les avoir entendues à la radio, en concert ou sur CD). Le résultat est saisissant.

Nelly Blanchard et Fañch Postic étaient conscients que ces réinterprétations constantes des chants du Barzaz Breiz se caractérisent "par leur longévité, leur diversité et leur rayonnement international". Ils voulaient simultanément ouvrir une réflexion sur la réception de ces chants dans le milieu musical : les arrangements, la chronologie et la périodisation, l'esthétique, l'instrumentation, la production… On pourrait y ajouter une sorte de prosopographie des interprètes et des publics. Pour l'instant, ce projet qui s'annonce prometteur n'en est qu'au stade de la formulation.

Le concert donne déjà une idée de la diversité des réinterprétations successives. Il avait déjà été donné une première fois en l'église de Mellac en novembre 2015, lors du colloque. Si vous n'avez assisté ni à celui-ci ni à celui de jeudi à la Faculté, vous pouvez toujours l'écouter, puisqu'un CD est inclus dans le volume des actes du colloque. C'est déjà une bonne raison de se le procurer.

Vassalo Marthe Barzaz-1  Rivoalen Christian-1  Stephan Pierre-1

De quoi ce concert était-il donc fait ?

C'est, d'après Nelly Blanchard, "un chemin qui mène des réinterprétations du passé à la création contemporaine". Le programme est dense.

Marthe Vassallo au chant et au piano interprète deux des chants du Barzaz Breiz comme on ne les a jamais entendus, d'après les partitions de Friedrich Silcher publiées dans son édition allemande en 1841. On y détecte "l’influence du romantisme allemand sur l’œuvre et l’influence de l’œuvre de La Villemarqué sur des compositeurs allemands comme Wagner". Je n'avais jamais imaginé – et ne suis sans doute pas le seul – qu'on pouvait chanter des gwerz à la manière de lieder : c'est très surprenant et ça tranche réellement par rapport à l'idée qu'on s'en fait.

Christian Rivoalen, dans le rôle du chanteur "traditionnel", s'est chargé de nous le rappeler "à l'ancienne" en quelque sorte, avec trois airs du recueil fortement interprétés a capella.

Comme la harpe celtique n'existait pas en Bretagne à l'époque, c'est Anne Le Signor qui accompagne Marthe Vassallo à la grande harpe pour donner à entendre "La peste d'Elliant" d'après une partition parue dès avant la première édition du Barzaz Breiz en 1836.

Pierre Stéphan propose une curiosité : le montage sonore intitulé "Agencement" qu'il a réalisé à partir de 35 extraits sonores édités depuis les années 1930 jusqu'à nos jours de différents chants (et parfois les mêmes) du Barzaz Breiz. Assez bluffant, instructif aussi. À noter que ce montage ne figure pas sur le CD, mais on peut l'écouter en ligne.

Sillages-1

Inititiave assez rare de la part d'un laboratoire de recherche : le CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique) a passé commande auprès de Patrick Choquet d'une création contemporaine pour voix et quatuor à cordes à partir de cinq titres du Barzaz Breiz. Jeudi, il a assuré lui-même la direction musicale de cette pièce tout simplement intitulée "Cinq airs arrangés du Barzaz Breiz" et interprétée par Marthe Vassallo au chant et un quatuor à cordes de l’ensemble Sillages, dont la direction artistique est assurée par Philippe Arrii-Blachette. La salle a chaleureusement applaudi.

Pour en savoir plus :

Nelly Blanchard et Fañch Postic (dir.), Au-delà de Barzaz Breiz, Théodore Hersart de la Villemarqué. Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2016, 298 pages (CD inclus).  

Également présenté le même jour :

Jean-François Simon et Laurent Le Gall (dir.). Jalons pour une ethnologie du proche. Savoirs, institutions, pratiques. Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2016, 405 p.

Commentaires
F
Il n'est quand même pas trop difficile de comprendre ni de repérer le sens de "ci-devant" ! Pendant et après la Révolution, le terme désigne l'état de personnes ou de groupes ayant eu antérieurement un statut spécifique que la Révolution ne leur reconnaît plus : "les ci-devant" étaient, par exemple, les nobles. Les "ci-devant Bretons" sont donc ceux qui étaient auparavant Bretons et qui ne le sont plus puisqu'ils sont désormais Français comme les autres en raison des nouvelles dispositions votées par les assemblées révolutionnaires. L'une des deux traductions en langue bretonne du célèbre almanach du père Gérard, parue en avril 1792 et donc antérieure de plusieurs mois au rapport de Grégoire devant la Convention, comporte d'ailleurs un intéressant ajout qui ne figure absolument pas dans l'édition originale en français et qui témoigne – en breton, par conséquent - de l'adhésion des nouveaux citoyens en Bretagne au principe de l'unité nationale :<br /> <br /> Maes pa ê guir n'eus muy na Bretonet, na Gasconet, na Normantet, rag ma oump oll Francissien, criomp eta asambles e Gallec Franc : Vive la nation !" [Mais puiqu'il n'y a plus ni Bretons, ni Gascons, ni Normands, car nous sommes tous français, crions donc ensemble en bon français : Vive la nation !].<br /> <br /> Pour ce qui est du rapport de l'abbé Grégoire devant la Convention, le 16 prairial an II (soit le 6 juin 1794, en pleine période de la Terreur), son intitulé est explicite et il se veut programmatique. Mais il ne faut pas méconnaître que les élus de la Convention n'ont pas suivi Grégoire dans son réquisitoire ! Ils ne lui demandent en effet que de présenter… un nouveau rapport – tenez-vous bien - sur la rédaction d'une nouvelle grammaire et d'un vocabulaire nouveau de la langue française ! Par contre, le rapport a été adressé à toutes les communes de la République. Ce qui peut expliquer (mais ce n'est pas la seule raison) qu'en France il est généralement admis (selon l'expression de Josepha Laroche) "qu'une conscience nationale ne saurait s'exprimer en plusieurs idiomes". Par ailleurs, il faut bien considérer que le programme qu'avait conçu l'abbé Grégoire n'a pas été suivi d'effet : alors qu'il pronostiquait la disparition prochaine des idiomes et donc du breton, ils se parlent toujours deux cents ans plus tard !<br /> <br /> Cette discussion n'est pas sans intérêt, mais il ne faut pas tout confondre. Car on s'éloigne là beaucoup du Barzaz Breiz et du concert évoqué ci-dessus.
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H
Il faut remarquer que le "Barzaz Breiz" est totalement passé sous silence par le système scolaire français. Qui a entendu parler de ce texte à l'école ?<br /> <br /> <br /> <br /> Récemment, un livre de Goulc'han Kervella a été censuré (refusé de publication par une maison d'édition dépendant de l'Etat) parce que son livre mentionnait trois fois le nom de ... Roparz Hemon !<br /> <br /> <br /> <br /> Biskoazh kement-all !<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, si, c'est ce que pratiquaient les Romains sous l'expression "damnatio memoriæ",<br /> <br /> <br /> <br /> Notre disparition a été programmée par l'abbé Grégoire dans son "Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française", une 'oeuvre' elle aussi passé sous silence par le système scolaire ! Car elle expose en clair le programme jacobin.<br /> <br /> <br /> <br /> « … les vraies dénominations prévaudront même parmi les ci-devant Basques & Bretons, à qui le gouvernement aura prodigué ses moyens : & sans pouvoir assigner l’époque fixe à laquelle ces idiômes auront entièrement disparu, on peut augurer qu’elle est prochaine. »<br /> <br /> <br /> <br /> Qui sais ce que signifie "ci-devant" ?
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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