Polars bretons à succès en Allemagne
S'il est très facile de localiser la commune de Bannalec, près de Quimperlé, dans le sud du Finistère, il est quasiment impossible de repérer qui que soit aujourd'hui qui porte ce patronyme : le site généalogie.com ne recense qu'une seule naissance avec ce nom de famille en France entre 1891 et 1915, et c'est dans le Morbihan. Il n'y a pas plus breton que Bannalec pourtant, et Albert Deshayes en donne le sens dans son Dictionnaire des noms de famille bretons (éd. Le Chasse-Marée-Armen) : Bannalec correspond à une genêtaie, soit un champ de genêts.
Plus de deux millions d'exemplaires
C'est précisément ce patronyme rarissime qu'a choisi un écrivain de langue allemande, adossé à un prénom tout à fait ordinaire, celui de Jean-Luc, pour publier des romans policiers à succès dont l'action se déroule à chaque fois en Bretagne. Dans ces polars, le commissaire Dupin réussit très bien à dénouer les intrigues qui se présentent à lui.
Mais personne n'a encore réussi à identifier réellement l'auteur qui se cache sous le pseudonyme de Jean-Luc Bannalec. Quelques indices devraient pourtant faciliter la tâche d'un bon détective : il écrit en allemand, et il semble bien connaître la Bretagne, sa topographie, son climat et ses arcanes. Son éditeur français dit de lui qu'il a trouvé sa seconde patrie dans le Finistère sud. Il se dit et s'écrit cependant qu'il sollicite le Comité régional du tourisme en Bretagne pour se documenter – ce qui n'est pas critiquable en soi. En échange de quoi, le même comité consacre une page au commissaire Dupin sur la version en allemand de son site Tourisme Bretagne (photo ci-dessus) !
Quatre titres avaient déjà été publiés en Allemagne, où ils ont connu un succès phénoménal : il s'en serait vendu plus de deux millions d'exemplaires ! Trois ont été traduits en français :
- Étrange printemps aux Glénan
- Les marais sanglants de Guérande
- Un été à Pont-Aven.
Deux ont également été publiés en anglais. Il est un autre signe qui ne trompe pas : la chaîne allemande ARD est venue tourner en Bretagne des téléfilms adaptés des livres de Jean-Luc Bannalec. Les tournages ont eu lieu au printemps dernier entre Concarneau, Douarnenez et l'île de Sein, à partir des deux derniers titres publiés en allemand : Bretonischer Stolz [Fierté bretonne] et Bretonischer Flut [Marée bretonne].
Ce dernier titre est donc le cinquième. Georg Kremnitz m'a signalé depuis l'Autriche qu'il venait de le lire dans sa version originale en allemand et qu'à son avis ce policier est bien écrit, et avec beaucoup de sympathie pour la Bretagne. Du coup, je lui ai demandé s'il ne pouvait pas en rédiger un compte-rendu de lecture pour ce blog. Le voici donc en avant-première. Car, sous réserve de confirmation, le livre ne devrait pas paraître en traduction française avant 2017. Les lecteurs francophones devront donc patienter un moment, sauf à pouvoir lire l'allemand dans le texte.
La nouvelle Marée bretonne de Jean-Luc Bannalec
Au bon moment pour les vacances vient de paraître en Allemagne Bretonische Flut [Marée bretonne] sous la plume de Jean-Luc Bannalec. Il s'agit d'un roman policier qui se déroule en Bretagne et dont le héros est le commissaire Dupin. Muté de Paris, il a déjà résolu quatre affaires difficiles dans la région. Ce genre de roman, mettant en scène les régions françaises, semble être à la mode en Allemagne : j’en ai lu plusieurs, de qualité assez inégale d’ailleurs.
Ce qui fait le charme particulier de ce livre c’est que l’auteur connaît vraiment bien la Bretagne et que les divers épisodes fournissent au lecteur une bonne introduction aux particularités du pays, sur le plan culturel, historique et même politique : c’est presque une petite encyclopédie qui se lit agréablement.
Ni démenti ni aveu
C’est d’autant plus remarquable que l’auteur ne semble pas être Français. Dans les médias allemands, on pense en général qu’il s’agit de Jörg Bong, le directeur de la prestigieuse maison S. Fischer à Francfort, mais il n’y a ni démenti ni aveu. De toute façon, le texte original est allemand, avec des citations en breton.
Il va sans dire que le commissaire Dupin est un peu spécial : il se nourrit avant tout de café noir et il a peur des bateaux. Il ne travaille pas seul : il est entouré d’une équipe d'autochtones, tous des Bretons et Bretonnes convaincus, qui le mettent à l’abri des impairs qu’il pourrait commettre. Marée bretonne se déroule entre Douarnenez, l’île de Sein et Porspoder – normalement le commissaire est en poste à Concarneau.
Outre les acteurs humains du roman, ce sont les éléments qui tiennent les rôles principaux : l’Océan atlantique, les îles, la météorologie bretonne, sans oublier le versant culinaire. Le commissaire étant très sensible aux manifestations de la nature, l’auteur réussit des descriptions de phénomènes naturels extraordinaires, déterminantes pour le déroulement du roman.
Une publicité extraordinaire pour la Bretagne
Son enquête serre de près ses intuitions, suite à la survenue d'événements météorologiques par exemple. C’est en même temps une publicité extraordinaire pour la Bretagne, d’autant plus qu’elle renonce aux exagérations professionnelles qui rendent la lecture des prospectus touristiques en général si indigestes.
Le récit commence par un meurtre commis dans la criée du port de Douarnenez. L’intrigue se développe ensuite à l'occasion de nombreux déplacements entre la terre ferme et les différentes îles qui entourent la partie la plus occidentale de la côte atlantique. Le commissaire est entouré de pêcheurs, d'agents du Parc naturel marin d’Iroise, mais aussi d’un gamin très observateur… Les deux premières victimes sont des femmes : la première est l'une des rares femmes patron-pêcheur, l’autre est une spécialiste des dauphins qui évoluent au large des côtes.
L’enquête prend une première direction, qui sera suivie d’une autre et ainsi de suite. Le lecteur se familiarise ainsi avec les difficultés de vie des pêcheurs artisanaux, face aux grands groupes qui ne se soucient guère de préserver l’équilibre fragile des milieux naturels.
Le vrai plaisir de la lecture n’est pas l’intrigue policière : elle est solide et rondement menée, avec pas mal de critique sociale et surtout écologique, mais aussi avec une ironie qui rend la lecture agréable. Mais les forces de la nature, celles de l’océan surtout, sont constamment présentes et jouent un rôle décisif à plusieurs reprises. Cette beauté sauvage donne au roman un air particulier. On sent que l’écrivain est un amateur lucide de l’environnement.
À la fin, l’intrigue prend comme il se doit un tournant inattendu. Mais – et cela représente un autre atout du roman - elle se termine surtout par des questions qui restent en suspens et qui de cette façon ne suivent pas les règles « normales » du genre.
- Georg Kremnitz
- Oberwaltersdorf
- 17 juillet 2016
Georg Kremnitz (photo) est un éminent universitaire, professeur émérite de l'université de Vienne, où il a enseigné de 1986 à 2012. Ses recherches concernent notamment la sociologie de la communication, la sociolinguistique et la sociologie des langues dominées. L'Histoire sociale des langues de France (parue aux Presses universitaires de Rennes et dont il a été question sur ce blog) a été publiée sous sa direction. Il prépare en ce moment une contribution sur les langues en France pour un manuel qui devrait paraître sous le titre de "Weltsprache Französisch" (le français, langue mondiale). Et il lit donc aussi des polars.
Pour en savoir plus :
- Jean-Luc Bannalec, Bretonische Flut [Marée bretonne]. Cologne, Kiepenheuer & Witsch.
- Les trois romans de Jean-Luc Bannalec qui ont été traduits en français sont parus aux Presses de la Cité. Ils sont également disponibles en poche chez Pocket ou sous forme d'e-book.
- Voir, par exemple, le site de la librairie Dialogues en ligne.