Emgleo Breiz : le billet de Louis Grall
Louis Grall est un écrivain, un vrai. Comme la plupart, il a mené son travail d'écriture parallèlement à son activité professionnelle. Il est l'auteur de romans de bonne facture, tels que "Cargos noirs de nos âmes" ou "Le port de lassitude", ou encore "Le voleur d'étoiles". Cette année 2015, il a fait paraître, chez Emgleo Breiz, un recueil de poésies bilingues, en français et en breton, sous le titre explicite "Poèmes de la vie ordinaire / Barzonegou ar vuhez ordinal".
C'est que Louis Grall – Loeiz pour nous - s'est mis à l'étude du breton. Il a suivi les cours d'Andreo Merser, et il l'enseigne aujourd'hui. Depuis plusieurs années, il publie également dans la revue Brud Nevez des points de vue, des critiques argumentées de livres ou de films, voire de spectacles, des billets.
Le texte qui suit est celui qu'il a rédigé sur le vif, dès qu'il a compris que Emgleo Breiz allait devoir cesser toute activité. Depuis, la mise en liquidation a été actée. Voici le récit d'un compagnonnage et le témoignage d'un homme sensible.
Emgleo Breiz, c'est fini
J’ignore si ce billet sera publié, si même il intéressera, mais je me dois de l’écrire. Il y a quelques jours l’association d’édition de livres en langue bretonne Emgleo Breiz s’est déclarée en cessation des paiements, décision que le tribunal de commerce de Brest entérinera vraisemblablement par une procédure de liquidation judiciaire. Setu. Voilà. Echu eo. C’est fini.
Emgleo Breiz. Quel drôle de nom ! Cela veut dire « L'entente Bretonne ». Oui, cela vient de klevoud, kleved, entendre. Emglev, Emgleo, c’est l’entente. Mais pourquoi ce « em » en début de mot ? C’est tout simplement la particule réfléchie. Avez-vous remarqué comme elle adoucit le « k » ?
Le nom demeurera sans doute, peut-être aussi la revue qui lui est associée, Brud Nevez (Réputation nouvelle), et aussi les cours du soir, Ar Skol Vrezoneg (L'école de breton).
Emgleo, Brud, Ar Skol, combien de fois n’ai-je pas entendu, avec un brin de condescendance, que le breton était une langue dure, faisant songer à l’allemand, à l’arabe, que sais-je ? Je reviens du Perche, une région où les lieux-dits s’appellent « La Péjaunière », « La Malsautière », « La Goglinière ». Comme ces noms pourtant me semblent sans goût, si l’on veut aussi être critique vis-à-vis du français.
Emgleo Breiz, c’est fini. Deux employées « et demie » - deux assistantes d’édition, une comptable – vont rejoindre les rangs des chômeurs. Les bénévoles se disperseront dans leurs engagements respectifs. La source régulière a cessé de couler des livres composés avec tant de professionnalisme, d’amour aussi, je pense au tout dernier relatif à la poésie complète de Naig Rozmor (E donder va huñvre, Au cœur de mon rêve).
Ne reste que l’affreux mot du stock. Nous en avons fait le tour l’autre jour dans la cave. Bien classés dans leurs cartons, j’ai cru passer devant de petites tombes.
Écrire ce billet car je dois tant à cette association – qui fut créée officiellement en 1955 – qui a structuré mon apprentissage du breton tout en me donnant la possibilité de m’exprimer, que ce soit par l’oral ou l’écrit, et dans les deux langues.
Je dois tant à André Le Mercier, son ancien Président, à Fañch Broudig qui lui succéda, à Jean-Louis, François, Marcel, Marie, Naig, Jeannine, Gwenola, Maguy et Pascale, Jakez et Gilles et tous les autres.
Sans bruit, didrouz, sans déficit et les principaux fournisseurs et créanciers honorés, Emgleo Breiz a cessé son activité. En breton cela s’appelle faire freuz-stal, de freuz, destruction, et stal, boutique. Pourtant, lorsque le président proposa cette solution aux membres du bureau, l’émotion était palpable. Car une chaîne se rompait qu’avaient tenue de grands noms. Car une pièce importante du mouvement pour la langue bretonne disparaissait.
- Louis Grall
- membre du bureau d’Emgleo Breiz
- secrétaire de Ar Skol Vrezoneg
- Le 1er novembre 2015