Quand il était interdit de parler le breton à l'école…
Près de 500 personnes ont assisté hier après-midi à la conférence que j'ai donnée devant les membres de l'UTL de Brest (Université du temps libre), dans l'une des salles du multiplexe Liberté. D'après les responsables de l'association, c'est plus que d'habitude.
Ce sont Anne Le Bris-Quiniou, la présidente, et Maryvonne Le Meur, chargée des conférences, qui m'avaient proposé avant l'été de traiter ce sujet. De fait, plusieurs participants m'ont indiqué qu'ils ne le connaissaient pas et n'avaient jamais entendu parler du symbole. Quand j'ai demandé à mes auditeurs s'ils savaient le breton, seuls une vingtaine de personnes ont levé la main. Quand je leur ai demandé s'il leur avait été interdit de parler le breton à l'école, il n'y a eu que trois ou quatre à le faire.
Au cours de la discussion, Mme Félicie Le Meur, très alerte, a témoigné de son vécu : elle née à Plouguiel et parle très bien le breton du Trégor, mais elle n'a pas connu l'interdiction du breton à l'école. Par contre, son mari, qui était originaire du Cloître-Pleyben, a eu le symbole. La salle l'a applaudie lorsqu'elle a indiqué son âge : 94 ans ! Comme elle vient d'arriver de Paimpol à Brest, c'est la première fois qu'elle assistait à une conférence de l'UTL brestoise.
Résumé de la conférence
Voici les thèmes que j'ai abordés au cours de mon intervention, que j'ai présentée à l'aide d'un diaporama.
Pour la première fois, le nombre d'élèves scolarisés dans les écoles bilingues a dépassé le cap des 20 000 inscrits lors de la dernière rentrée : ils font donc leurs études à la fois en français et en breton. Il n'en a pas été toujours ainsi. Au XIXe siècle et jusqu'au milieu du XXe, il était généralement interdit de parler le breton à l'école. Ceux qui le faisaient se voyaient parfois attribuer le symbole – un objet en forme de sabot – et étaient punis à la fin de la journée. Ces pratiques d'un autre temps n'ont pas concerné tous les écoliers, mais elles sont attestées en Basse-Bretagne à partir des années 1830, et ailleurs : dans les pays occitans, au Pays basque, en Alsace…
Cette conférence fait le point sur une histoire mal connue et qui a suscité pas mal de débats et de polémiques : l'interdit de la langue première (autrement dit, la langue maternelle) à l'école. On peut aujourd'hui analyser l'ampleur d'un phénomène dont le lieu stratégique a été la cour de récréation bien plus que la classe. On peut aussi inventorier les objets symboliques qui ont été utilisés et les réprimandes qui ont été infligées aux enfants. On peut enfin analyser le comportement des inspecteurs et des instituteurs tout comme la réaction des élèves et celle de leurs parents.
Le plus surprenant de cette histoire est que ces pratiques remontent à l'université du Moyen-Âge (qui imposait de ne parler que le latin) et qu'elles perdurent aujourd'hui en diverses parties du monde.
Cette conférence s'appuie sur une étude que j'ai rédigée sur l'interdit de la langue première à l'école et qui est sans doute la première synthèse disponible sur ce sujet. Elle est parue dans l'Histoire sociale des langues de France, publiée récemment aux Presses universitaires de Rennes, sous la direction de Georg Kremnitz (de l'université de Vienne, Autriche).
La photo ci-dessus : collection de symboles du Musée de l'école rurale de Trégarvan, reconstituée d'après témoignages.
Pour connaître le programme de l'UTL de Brest : https://www.utlbrest.infini.fr