Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog "langue-bretonne.org"
18 février 2014

Pierre-Jakez Hélias, par son fils

Personne, à ce jour, n'avait pensé à les solliciter : pour la première fois, un média donne la parole aux enfants de Pierre-Jakez Hélias, Ifig et Claudette. La revue en langue bretonne Brud Nevez vient en effet de consacrer tout un dossier au centenaire de la naissance de l'écrivain breton (voir message précédent). Outre les contributions de Serge Le Roux sur son théâtre et de Mannaig Thomas sur sa poésie, Brud Nevez publie le témoignage d'Ifig et de Claudette Hélias sur leur vécu personnel et sur leur relation à leur père.

Le texte qui suit est la version en langue française de l'entretien que m'a accordé Ifig, le fils de Pierre-Jakez Hélias.

À suivre : le récit de Claudette, sa fille.

Ifig Hélias (1 sur 1)

Pierre-Jakez Hélias : la Bretagne dans l'univers

L'image principale qui me reste de Jakez est celle de quelqu'un d'affable et de doux. Pensif, un peu rêveur. C'était quelqu'un de gentil. Il ne se mettait jamais en colère.

Au cours de ma scolarité je n'ai pas toujours été très travailleur. Je me rappelle qu'une fois, sans doute sur l'injonction de Madeleine, ma mère (qu'on appelait Maddie et qui avait dû lui dire : écoute Pierre, fais quelque chose, car Ifig à l'école, il n'en fait pas une…), il était venu vers moi. Je voyais bien qu'il ne pouvait pas me frapper. Tout ce qu'il avait réussi à faire, c'est me donner quelques petits coups de pied ! Moi, sur ma chaise, je m'attendais à prendre une rouste, parce que ma mère m'en donnait, elle ! Mon père, non, il était très embêté. Il avait dû me dire quelques mots : Ifig, t'exagères ! Avant de retourner dans son bureau, d'où il sortait rarement. Il avait dû se dire : ouh la la, c'est pas trop mon rôle.

Il passait énormément de temps dans son bureau. Quand il rentrait, on le voyait peu. Maddie non plus, car ils travaillaient tous les deux. Une dame, Thérèse Bergot, s'occupait de nous quand on était gamins, à Quimper. Quand ils rentraient, on avait déjà mangé. Il mangeait rapidement, et puis hop : robe de chambre, bureau, machine à écrire, les livres.… Nous, on ne le voyait pas, on allait tout de suite se coucher.

Il passait son temps à écrire. Dans mes souvenirs d'enfance, il y a ça. À la maison : il écrivait à son bureau, devant sa bibliothèque, sa robe de chambre, sa pipe, son clavier de machine à écrire… Pour les vacances, il aimait bien la montagne, on allait marcher avec les amis Ropers. Là, je me rappelle Jakez avec son short tyrolien en cuir et un penn-baz.

Ifig Hélias (2 sur 1)

Le succès du Cheval d'orgueil ?

À l'époque du Cheval d'Orgueil, j'étais peut-être en formation de professeur, à l'université. Ma sœur était dans son coin, on ne se voyait pas tellement. Personnellement, j'avais mes activités, on m'a appris le succès du livre, les ventes, les traductions… On était content pour lui. Je ne peux pas dire fier, ce mot-là pour moi ne veut pas dire ça : il y a un côté un peu négatif dans "fier", en plus du côté positif . "Fier", ça veut dire que tu y es pour quelque chose, et moi, n'y étant pour rien… ! J'étais simplement heureux pour lui que Jakez ait cette notoriété. Car lui en était fier.

Il appréciait la notoriété, la reconnaissance. Il aimait beaucoup ça, il aimait beaucoup le monde et parler avec les gens. Je n'ai pas hérité de ça, je suis plutôt ours ! Il était très affable. Ça me faisait justement un peu sourire de voir qu'il aimait être reconnu. Il parlait parfois de "mon ami Jack Lang" !

Quand il était passé à Apostrophes, on ne l'avait pas regardé, seulement après, en cassette. Sa petite rixe avec Xavier Grall était plus ou moins une mise en scène… J'avais eu l'occasion, plus jeune, de le voir avec Xavier Grall. Ces gens-là, par rapport à Jakez, me paraissaient un peu sur une autre planète, décalés. Ils ont quelque chose d'artistique sans doute, mais d'exagérément artistique, à la limite de la normalité. Leur positionnement sur la Bretagne n'était pas celui de Jakez. Je n'ai jamais bien compris le côté intégriste breton. Ça m'a toujours un peu échappé.

Jakez ne l'était pas du tout. Heureusement. Après il y a eu ce livre sur lui, écrit par un universitaire, Pascal Rannou je crois. Il a très bien analysé Jakez, ses romans et sa poésie. J'étais d'accord avec lui : à part L'herbe d'or, que je trouve très réussi, et peut-être La colline des solitudes, les autres romans étaient un peu forcés, on l'avait poussé à les écrire. Par contre la préface de cette étude était absolument lamentable, quand il considérait le titre d'agrégé de Jakez comme "usurpé". Mais je n'étais pas très branché là-dessus.

Ces gens-là attaquent Jakez, qui était universaliste et qui englobe la Bretagne dans tout cet univers. Mais sans le français, ils n'en seraient pas là ! Jakez, toutes les cultures l'intéressaient, l'Afrique, le Pays Basque, l'Autriche, l'Allemagne, la Chine… Il aimait voyager, il était très curieux de tout. Je suis allé avec lui en Angleterre avec mon fils Elvin, son petit-fils. Quand on marchait dans les rues de Londres, il était toujours vingt mètres derrière : il s'arrêtait partout pour regarder, d'un air très sérieux, c'est incroyable ! Tout l'intéressait. Mais en Angleterre il ne pouvait pas s'arrêter pour parler aux gens… Il ne parlait pas du tout l'anglais ! Mais il parlait l'allemand.

Ifig Hélias (3 sur 1)

Le breton était son origine

Sa poésie, c'est ce que j'apprécie le plus chez lui, l'intégrale "D'un autre monde". Et ses pièces de théâtre. Il n'y a pas si longtemps, avec ma sœur, nous sommes allés à Rennes voir La femme de paille. C'est un théâtre qui fonctionne bien.

J'ai lu son œuvre en version française. Je ne lis pas le breton et je le parle très mal, à part des expressions comme : 'michañs 'vo ket glao 'benn arhoaz ! [J'espère qu'il ne pleuvra pas demain !] C'est une langue que j'aimais bien entendre parler par mes grands-parents ou les gens de la campagne, que j'ai vus ou rencontrés quand on allait se balader à cheval dans les Monts d'Arrée, mais j'ai toujours eu horreur des universitaires bretons.

Ça a dû commencer avec les étudiants bretonnants de la faculté de Rennes : au restaurant universitaire, ils se mettaient à une table et tu n'avais pas le droit de te joindre à eux parce qu'ils ne parlaient que breton. S'il n'y avait de place qu'à leur table, ils te disaient en breton que tu ne pouvais pas t'asseoir. C'était la table des bretonnants. Ça te refroidit un peu déjà sur la gent universitaire bretonne ! Quand j'entends du breton à la radio, pour moi ça ne sonne pas. C'est du breton, certes, mais ça ne sonne pas, musicalement, ce n'est pas ce que j'ai dans l'oreille.

Je ne peux pas définir exactement comment je perçois, en dehors de ses écrits, l'image que se faisait Jakez du breton. C'était très important pour lui. Ça avait une importance assez vitale, c'était son origine. Il s'intéressait à des tas d'autres cultures que la sienne, mais il était Breton et il y tenait beaucoup.

Jakez aurait tout fait pour devenir écrivain. Sa poésie, il l'écrivait en breton d'abord et c'est d'abord une poésie bretonne. Il était bon en littérature française, son style français était bon, il a donc réussi à se traduire lui-même, et ça fonctionne très bien en français, même dans les parties chantées. Ça sonne bien. Il maîtrisait l'affaire ! Quand il écrit la Cantate du bout du monde en breton et en français avec Jef Le Penven, il maîtrise. Aurait-il écrit sa poésie de la même façon s'il ne l'avait pas d'abord composée en breton ?

Une image de Jakez assez réservée, pour ne pas dire critique, s'est imposée dans une certaine opinion vers la fin de sa vie, voire au-delà. Je ne pense pas qu'il en ait été très affecté. Être sujet à critique suppose déjà de la notoriété ! Tous ceux qui ont été engagés ont été critiqués. Il était très tranquille, à la fin. Je le revois encore avec son petit-fils, souriant, décontracté.

Mon dernier souvenir, c'est l'hôpital. Il allait mourir. Il était affaibli, mais quand son médecin, une femme remarquable, entrait, il avait un sursaut de fierté, il se resaisissait, il avait le contact, le sourire, les yeux pétillaient avec humour, toujours pour faire bonne figure. À la fin, il nous a dit : là j'en ai marre, il faut que je sorte d'ici, debout ou les pieds devant. Il était très lucide.

Propos receuillis par Fañch Broudic

Commentaires
A
Bonne idée d'interview. Une analyse mesurée par son fils, et quelques anecdotes éclairantes. Il est toujours étonnant de constater que des auteurs reconnus et influents ont été absents pour leurs propres enfants, ce qui semble ressortir de ce témoignage pourtant affectueux.
Répondre
F
Marre de ces gens qui critiquent sans arrêt les néo-bretonnants. La frustration de ne pas parler cette langue est est-elle la cause ? Si cette langue "ne sonne pas" toujours, c'est bien parce que des gens comme PJH ne l'ont pas transmise à leurs enfants qui ont bien du se débrouiller par eux-mêmes. Ca me fait doucement sourire d'entre des gens qui ne maîtrisent pas cette langue de se permettre de critiquer ceux qui ont fait l'effort de l'apprendre. C'est aussi une forme de snobisme, ainsi que l'expression peu glorieuse d'une forme d'aigreur malsaine.
Répondre
M
La "table des bretonnants" des années 1970 a permis à de nombreux francophones d'apprendre le breton, avec Bernez Rous, Jorj Belz, et Yann Gwilhamot, entre autres, On aurait difficilement pu trouver mieux. En tous cas, c'est là que Makoto Noguchi, étudiant japonais, passé à l'émission de fanch broudig, a lui ausi appris le breton.
Répondre
Le blog "langue-bretonne.org"
Le blog "langue-bretonne.org"

Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 762 883
Derniers commentaires
Archives