Le prix de la nouvelle en breton
Muriel Le Morvan n'envisage absolument pas de choisir entre sa profession de journaliste télé et sa passion de l'écriture. C'est du moins ce qu'elle déclarait il y a deux mois à Carhaix, en présence d'autres journalistes devenus écrivains, lorsque lui a été remis le prix de la meilleure nouvelle en breton que décerne la ville de Carhaix depuis deux ans, à l'occasion du Festival du livre. Elle n'en est pourtant pas à son premier essai littéraire.
Le texte qui lui a valu ce prix s'intitule "Un nozvezh oranjez-fluo" (Une nuit orange fluo). L'auteur a beau préciser qu'elle rapporte à quelques détails près une histoire vécue, elle paraît assez incroyable. C'est l'histoire d'une jeune femme qui ne parvient pas à s'endormir, alors que son mari ronfle à ses côtés. Elle se lève pour regarder la mer, la nuit. Et aperçoit tout à coup au loin une fusée rouge dans le ciel. Elle alerte le Cross-Corsen, qui alerte la SNSM, qui réveille ses marins de garde…
C'est dans ces parages que tout un équipage de la SNSM avait déjà péri en mer il y a quelques années : Arnaud Maisonneuve avait alors écrit une très belle chanson à leur mémoire. Je laisse bien entendu au lecteur le soin de découvrir le dénouement inattendu de ce sauvetage nocturne. Le récit de Muriel Le Morvan, bien enlevé, aurait pourtant gagné en intensité s'il avait été construit sur un rythme un peu plus haletant. On pressent par ailleurs que toute cette histoire n'a pas été vécue en breton.
Une nuit de feu et de glace
Son texte a été publié dans un recueil d'une dizaine de nouvelles, intitulé "Tan ha skorn an noz" (Une nuit de feu et de glace). J'ignore si toutes concourraient pour le prix de la ville de Carhaix. Sur ce thème imposé, chacun des auteurs a tenté d'ouvrir à sa manière les portes de la nuit. Les textes sont inégaux, et la thématique tout comme l'écriture diffèrent beaucoup d'une nouvelle à l'autre.
Meriadeg (dont le patronyme n'est pas précisé) entraîne ses lecteurs en boîte de nuit pour y vivre l'histoire émouvante et éphémère d'un jeune homme qui n'a rien d'un séducteur. Goulwena (an Hénaff ?) met en scène quatre jeunes femmes qui se donnent rendez-vous une fois par mois dans un lieu insolite. Yann ar Brug (un pseudonyme ?) joue comme elle sur l'imprévisible mais son récit d'une nuit du 4 mai est bien trop chargé pour paraître crédible.
Un des textes le mieux abouti et en même temps le plus troublant de ce recueil est assurément celui d'Annaig Renault, déjà connue comme écrivain de langue bretonne. Il apparaît à la fois comme un chassé-croisé entre présent, vécu et mémoire, et comme l'impossible tentative pour surmonter le non-dit d'une douleur dans laquelle on n'est pour rien. En revenant d'outre-Atlantique revoir son père à Saint-Brieuc, une femme revit ses années d'enfance "dans le monde de la nuit" : elle n'avait jamais vraiment pu savoir pourquoi il avait été emprisonné. Quand elle découvre qu'il a fait partie du Bezen Perrot, il est trop tard pour nouer un dialogue avec lui et il ne lui reste plus qu'à se procurer tout ce qui s'est écrit sur la dernière guerre en Bretagne. Le mot "teñval" en breton rend compte à la fois de ce qui est obscur et de ce qui est sombre : "l'obscurité, dit le personnage, va continuer à me tarauder le cœur."
Le tout se lit aisément. Mais il est dommage que nombre de coquilles parsèment le texte, ainsi que, me semble-t-il, des fautes de mutation. On se demande enfin pourquoi ce prix de la ville de Carhaix est réservé aux auteurs ayant fait le choix de l'orthographe unifiée et exclut les autres.
Pour en savoir plus :
Le recueil de nouvelles "Tan ha skorn an noz" est paru aux éditions An Alarc'h. 107 p., 9 €.
Une version en langue bretonne de ce post paraîtra en janvier dans la revue Brud Nevez.