Le drapeau du Bezen Perrot en vente sur Amazon
On peut acheter de tout sur Amazon. La preuve : on peut même y dénicher le drapeau en forme de croix noire sur fond blanc qu'avait adopté le Bezen Perrot à la fin de la dernière guerre.
Ce drapeau est souvent présenté comme ayant été celui des ducs de Bretagne depuis le XIIIe siècle. Mais il ne figure pas en tant que tel sur le site de l'Association vexillologique et héraldique de Bretagne. Le drapeau des ducs était quant à lui essentiellement constitué de mouchetures d'hermines. Sur Wikipedia, le drapeau de la province de Bretagne en 1532 (ci-contre) ne contient que de telles mouchetures d'hermines.
Sur le site des vexillologues, on découvre cependant une oriflamme à croix noire sur fond blanc qui aurait été brandi lors du combat des Trente en 1351 et une variante que faisait flotter la marine bretonne au XVe siècle. De fait, les couleurs sont les mêmes que celles des armoiries de la ville de Rennes et de l'actuel drapeau gwenn ha du, tel qu'il a été dessiné il y a quatre-vingt-dix ans par Morvan Marchal.
Collaborateurs des SS
Ce qui est avéré, c'est que le Bezen Perrot, initialement le Bezen Cadoudal, est intégré en novembre 1943 dans le SD, le Sicherheitsdienst, autrement dit le service de sécurité allemand. Les soldats bretons du Bezen y sont reconnus comme la Bretonische Waffenvervand der S.S. À compter de mars 1944, ils sont enrôlés sous l'uniforme des Waffen SS et gardent l'immeuble de la Gestapo à Rennes.
Ils participent également aux interrogatoires et aux exécutions de prisonniers, ainsi qu'à des attaques et autres exactions contre les résistants et les maquis. Le 1er août 1944, ils s'enfuient de Rennes en direction de Paris, puis de l'Allemagne, en compagnie de personnalités bretonnes connues. Ils suivent leur chef, Célestin Lainé, jusqu'à la capitulation du Reich.
Dans son livre sur le Bezen Perrot, Kristian Hamon raconte qu'à défaut d'avoir obtenu de l'Occupant la possibilité de porter un uniforme spécifique, le groupe, "maigre consolation, peut déployer le Kroaz Du, son drapeau blanc à croix noire, sur lequel fut cousu un morceau de tissu maculé du sang de l'abbé Perrot."
Des milliers de drapeaux
Et c'est donc ce Kroaz Du que l'on trouve en vente sur le site d'Amazon. Lequel précise que le drapeau provient de chez Diplomat-Flags. Et ajoute - sans rire - que "Le drapeau Bezen Perrot au format paysage est un produit de qualité Allemande (sic). Fabriqué en polyester brillant (110 g/m2), [il] est résistant au vent et aux intempéries et est très durable."
Il est vrai que le fabricant est d'origine allemande : ceci explique cela. Sur son propre site, on apprend que magFlags GmbH est une entreprise familiale installée à Winterbach et que son CEO, autrement dit son directeur général, réside à Stuttgart. Il s'agit de toute évidence d'une entreprise spécialisée dans la commercialisation de milliers de drapeaux et fanions de tous les pays du monde, mais aussi d'unités militaires, d'organismes internationaux, etc.
On peut également dénicher sur son catalogue des drapeaux de provinces ou de régions, par exemple celui du Saintongeais ou du Dauphiné. Le drapeau breton y figure aussi, mais il n'est pas facile de le repérer, puisqu'il est uniquement présenté sous l'appellation anglaise de "Brittany", le terme "Bretagne" n'apparaissant que dans un pop-up. Inutile de préciser que les drapeaux sont proposés en différents formats pouvant aller jusqu'au… 2 x 3,35 mètres ! Le fabricant prend soin de préciser – et le site Amazon fait de même – que "de par la qualité de ce drapeau, vous témoignerez tout votre attachement au pays représenté."
À retirer de la vente
Qui donc peut être "réellement" attaché au drapeau Bezen Perrot ? On ne peut pas dire que celui qui est en vente sur le site d'Amazon et sur celui du fabricant représente un pays, puisqu'il n'a été que celui d'une faction. De fait, rien dans sa présentation ne permet de l'identifier à la Bretagne. Il faut réellement connaître l'histoire de la collaboration bretonne de la dernière guerre pour avoir idée de le rechercher et pour pouvoir le repérer sur les deux sites. Il ne peut donc en tant que tel intéresser que quelques identitaires nostalgiques. On voit cependant quelques Bonnets Rouges le brandir ces temps-ci dans certaines manifestations.
Il n'empêche qu'au moment où l'on vient de retirer un exemplaire de "Mein Kampf" d'une vente aux enchères, la présence de ce drapeau de sinistre mémoire sur ces deux sites est choquante. Un commentaire récent vient d'ailleurs d'être posté à ce sujet sur la page de l'entreprise de vente en ligne : "Le retrouver sous ce nom [drapeau Bezen Perrot] sur Amazon est une honte pour ce site ! J'espère qu'il s'agit d'une erreur et qu'il sera retiré de la vente."
Ce serait effectivement la meilleure initiative que pourrait prendre Amazon, mais aussi le fabricant magFlags. Ils ne vendent pas le drapeau du 3e Reich, c'est proscrit par la loi. Pourquoi donc celui-ci ?
Pour en savoir plus :
- Kristian Hamon. Le Bezen Perrot. 1944 : des nationalistes bretons sous l'uniforme allemand. Ed. Yoran embanner, 2008.
- La page "Bezen Perrot" sur Wikipedia