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Le blog "langue-bretonne.org"
4 novembre 2011

Festival du livre de Carhaix : quelques échos

Carhaix 2011-1Tous ceux qui le voulaient ont pu passer deux jours au Festival du Livre de Carhaix. D'après les organisateurs, ce sont 10 000 personnes qui l'ont fréquenté samedi et dimanche derniers : l'entrée étant gratuite, il s'agit forcément d'une estimation. C'est le rendez-vous annuel des lecteurs, mais aussi celui des éditeurs de Bretagne.
C'est à Nathalie de Broc (en bleu sur la photo), qui vient de publier son 10e ouvrage sous le titre de "L'Adieu à la rivière" aux Presses de la Cité, qu'il avait été demandé de présider la 22e édition du Festival. Lors de l'inauguration, elle a tenu à utiliser le mot "passerelle" à propos du breton qu'elle ne parle pas :

  • J’imaginais une passerelle à double sens. Que les non-bretonnants épaulent les bretonnants dans leur « combat » pour que cette langue s’inscrive vraiment dans une démarche officielle (je pense à la charte des langues) et que dans le même temps les bretonnants mettent de côté leur tentation de repli élitiste… afin que les non-bretonnants ne ressentent pas à leur tour une inutile exclusion. L’idée serait qu’ils ne se retrouvent jamais sans traduction. La notion de partage est là et essentielle.

Le concept de passerelle entre langues est séduisant, mais la traduction systématique dans l'une ou l'autre langue fera peut-être débat. Toujours est-il que la présidente du festival a voulu montrer l'exemple : ses propos (que tout le monde avait déjà compris…) ont été traduits en breton sur le champ par Joan Bizien. Mais pourquoi donc le Festival du livre, qui se veut à la pointe du combat pour la langue bretonne, ne met-il pas la traduction simultanée et des casques à la disposition de ses invités, comme le font désormais diverses manifestations ?
Le Festival du livre de Carhaix avait choisi cette année de mettre "un coup de projecteur" sur deux écrivains bretons :

  • Anjela Duval, à l'occasion du 30e anniversaire de sa disparition
  • et Armand Robin, cinquante ans après sa mort.


Anjela Duval
En ce qui concerne Anjela Duval, les focus étaient multiples. Toute une page lui était consacrée dans le journal du festival, pour expliquer qu'elle est "toujours d'actualité". L'article, non signé, mais qui cite abondamment Ronan Le Coadic, la présente comme une écologiste avant l'heure et comme une femme d'une grande curiosité intellectuelle. Il la décrit en outre comme un écrivain qui "a toujours eu le courage de dire et d'écrire ce qu'elle croyait, quoiqu'en pense la majorité de la population" : elle était effectivement d'une grande spontanéité et d'une très grande sincérité. Alors que les attentats ne sont heureusement plus d'actualité, le journal reproduit le fac-similé d'une lettre (non traduite) qu'elle avait adressée en janvier 1981 "à un jeune breton embastillé dans la région parisienne" : elle apportait sans hésiter son soutien aux militants du FLB qu'elle considérait comme ses propres petits-enfants.
Ce n'est pas du tout l'écrivain engagé qui transparaît dans le film que lui a consacré André Voisin dans la mythique série des Conteurs sur TF1 en 1971. Anjela s'exprime avec beaucoup de douceur, même si les mots lui manquent parfois pour réagir au questionnement du réalisateur. Il n'est pas surprenant que ce film en noir et blanc (la télé ne connaissait pas encore la couleur à l'époque) ait plu et si fortement contribué à sa notoriété. On regrettera qu'aucun film en breton n'ait été prévu dans la programmation carhaisienne : plusieurs ont pourtant été tournés de son vivant ou depuis, à sa mémoire, ne serait-ce que la très belle animation de 2'54 de Fabienne Collet à partir de son poème "Bennozh dit". Au Vieux-Marché, dimanche 6 novembre, à l'occasion de l'inauguration de la statue d'Anjela, on pourra voir ou revoir le film d'André Voisin. Et des films en breton.
Carhaix 2011-3Le Festival du livre avait également programmé une conférence sur Anjela Duval. Le conférencier initialement annoncé devait être un universitaire et poète trégorrois reconnu. Le comité du Festival a finalement préféré faire appel à Yann Talbot. Le conférencier, avec quelques approximations dans la chronologie, a fait état de sa proximité de longue date avec la poétesse de Traoñ an dour, chez qui il se rendait fréquemment célébrer une messe privée le dimanche en sa cuisine. Inévitablement, le propos a très vite été décliné sur le mode de l'hagiographie, l'abbé Talbot centrant son homélie sur la foi et sur l'inspiration religieuse d'Anjela Duval, une approche qui au demeurant se comprend aisément. Sans citer aucun nom, il a juste fait allusion à "certains qui font d'Anjela Duval une femme du passé, incapable de faire le deuil de ce qui n'est plus." On décrypte facilement qu'il évoque le livre que Marcel Diouris vient de publier sous le titre "Anjela Duval, une histoire de deuils impossibles" (éd. Emgleo Breiz) et il reconnaît que "c'était assez vrai, d'une certaine manière" (traduit du breton par mes soins). Mais pourquoi donc les organisateurs n'ont-ils pas osé prendre en compte toutes les nouveautés de l'édition pour proposer un débat à plusieurs voix sur l'actualité d'Anjela Duval ? Si un festival du livre n'a pas vocation à débattre…

Bescond RobinArmand Robin
En ce qui concerne Armand Robin, "le coup de projecteur" était encore plus blafard. Une page de bibliographie, bien documentée, de Jean Bescond dans le journal du Festival. Juste un tout petit stand tenu par le même Jean Bescond, et quelques livres éparpillés chez d'autres éditeurs, comme "La part commune". Mais ni exposition ni film ni la moindre causerie. Or, il existe dans les archives de France 3 Bretagne à l'INA un très beau film de Paul-André Picton et Laurent Desprez sur Armand Robin…On aurait même pu penser à un spectacle à partir des poèmes de Robin : les interprètes ne manquent pas…
Étant donné le contentieux entre certains militants bretons et l'auteur du "Monde comme si", on ne s'attendait Lilti Robinpas trop à ce que Françoise Morvan ait été invitée à Carhaix pour parler d'un écrivain auquel elle a pourtant consacré plusieurs ouvrages de référence. Mais pourquoi ne pas avoir sollicité Anne-Marie Lilti, qui est tout de même originaire de Carhaix et qui a publié au Cercle des Poètes disparus (aux éditions Aden) une bien belle biographie de Robin ? Pourquoi tout simplement ne pas avoir demandé sur place à Jean Bescond d'évoquer le "combat libertaire" de l'écrivain ? Le volume qu'il a publié il y a deux ans (aux éditions Jean-Paul Rocher) et qui rassemble des textes ignorés ou méprisés d'Armand Robin permet pourtant de bien suivre la constance de son engagement tout au long de sa vie…
Tant qu'à faire si peu, il aurait aussi bien valu ne rien faire. Armand Robin n'a décidément pas beaucoup de chance avec ses livres. Il n'en a pas eu de son vivant. Et cinquante ans après sa mort, il n'en a toujours pas. Quand on sait qu'il était originaire de Rostrenen, cet anniversaire aura été une belle occasion ratée.
Enfin, ne désespérons pas. 2012 sera le centième anniversaire de sa naissance. Armand Robin est un écrivain breton à part entière… Il serait peut-être temps d'afficher qu'il n'est pas poète indésirable en son pays.

Carhaix 2011-2Les prix de Carhaix
Trois prix littéraires ont été décernés à l'occasion du festival. Deux récompensent des œuvres en langue bretonne et le troisième un roman en français :

  • le prix Xavier de Langlais a été attribué à un recueil de poèmes de Bernez Tangi, sa 3e œuvre en tant que barde : "Ar saouzanenn" (que l'on peut peut-être traduire par "L'égarement" ou "L'hypnose" ?), édité par Skrid.
  • le prix de la meilleure nouvelle en breton est revenu à Muriel Le Morvan pour "Un nozvezh oranjez fluo" (Une nuit orange fluo). Le texte en est paru dans un recueil intitulé "Tan ha skorn en noz" (Feu et glace dans la nuit), aux éditions An Alarc'h.
  • enfin, Gaël Brunet a reçu le Prix du roman de la ville de Carhaix pour son premier roman, "Tous les trois", publié aux Éditions du Rouergue.
Commentaires
M
Bonjour,<br /> <br /> J'ai un souvenir amer de la conférence sur Anjela Duval.<br /> <br /> Yann Talbot s'est exclusivement exprimé en Breton, et je n'ai pas assez d'année de pratique pour le comprendre.<br /> <br /> J'étais un peu honteuse, un peu en colère, aussi. Des sentiments bien connus de mes grands-parents bretonnants.<br /> <br /> Une "inutile exclusion", au final.<br /> <br /> Amicalement.
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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