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Le blog "langue-bretonne.org"
21 avril 2010

Une nouvelle histoire de la langue bretonne

Pl_nier215Serge Plénier donne des cours de breton à Paris et se pose un peu les mêmes questions que tout le monde : "qu'est-ce que le breton ?" Il y apporte des réponses dans "La langue bretonne des origines à nos jours" qu'il vient de publier. Le livre est de lecture agréable. Le récit se décline linéairement, depuis l'époque du vieux-breton jusqu'à la période actuelle où la langue est décrite comme étant exposée "au risque de la modernité".
Une autre qualité de l'ouvrage tient à son illustration : sur chaque double page, sont proposées des cartes, reproductions, photographies, le plus souvent en quadrichromie, avec un savoir-faire bien maîtrisé par l'éditeur. Et ce n'est pas parce que ces documents sont déjà connus pour la plupart qu'il n'était pas judicieux de les reproduire. L'iconographie a dès lors autant d'importance que le texte. Mais le choix des illustrations pose parfois problème et peut paraître déphasé par rapport au texte. D'une part, leur rapport à la langue bretonne n'est pas toujours évident. Est-il historiquement pertinent, d'autre part, de reproduire un dessin du XIXe siècle ou des photographies du XXe siècle pour traiter de l'enseignement ou du théâtre au Moyen-Âge ?
Pour chaque période, Serge Plénier fournit un certain nombre de données linguistiques de base, par exemple et dès le début du livre, un comparatif entre le breton et les autres langues celtiques ou la description du système des mutations consonantiques (qu'il présente de manière peu encourageante comme "le cauchemar du débutant" !). Il fait appel aux acquis de la sociolinguistique, de l'ethnologie ou de l'histoire. Il est au fait des analyses développées ces dernières années concernant les états de langue et en particulier le badume, autrement dit le breton de proximité. Il relativise avec un réel bon sens la querelle des orthographes : "la plupart de ceux qui le lisent [le breton] ou l'écrivent [dont lui-même] passent allègrement, dit-il, d'une orthographe à un autre au fil de leurs lectures".
Étant aussi journaliste, l'auteur a un sens certain de la formule : il présente ainsi le breton moderne (qu'il ne différencie d'ailleurs pas du breton prémoderne) comme "une langue dans la tourmente". Ce qui surprend, c'est la contradiction qu'il ne parvient pas à surmonter entre un affichage péremptoire et l'analyse généralement nuancée qui suit. Dire de la Révolution française qu'elle a été "un véritable cataclysme" n'est pas anodin : pour autant, S. Plénier reconnaît que le discours des Jacobins ne va "affecter que faiblement la vitalité du breton au XIXe siècle". On a un peu l'impression qu'il est tiraillé en permanence entre titre choc et analyse de fond. "La révolution du Barzaz Breiz" est traitée sur huit pages et lui apparaît comme "une véritable bombe" : il n'en considère pas moins le breton de La Villemarqué comme une langue "de bric et de broc" et que son anthologie ne fait qu'exalter "une Bretagne mythologisée à forte teneur en nostalgie".
L'évolution sociolinguistique de la Basse-Bretagne sur le long terme est décrite avec trop d'approximations. Prétendre (p. 55) que le français pénètre peu à peu les villes moyennes et les gros bourgs dès l'époque du Père Maunoir au XVIIe siècle est prématuré, et je ne suis pas certain qu'on puisse alors considérer la langue bretonne comme "socialement dévalorisée" : dans la noblesse, Pascal de Kerenveyer compose encore un opéra-comique et des poèmes libertins en breton à la veille de la Révolution. Affirmer une seconde fois (p. 64) que "les villes de Basse-Bretagne sont passées au français" au XIXe siècle cette fois n'est pas davantage exact : c'est seulement après la première guerre mondiale que les villes moyennes et les chefs-lieux de cantons optent pour la prédication en français. Écrire (p. 96) que dans la première moitié du XXe siècle "on ne parle plus breton au marché ou aux pardons les plus importants" n'est pas réaliste : un enquêteur rapporte qu'en 1946 à Saint-Pol-de-Léon "tous les cultivateurs parlent uniquement le breton durant leur travail et dans leurs conversations courantes". Il est juste de noter que "le français apparaît de plus en plus comme la langue de la réussite sociale". Mais c'est après la dernière guerre que les parents ont cessé d'élever leurs enfants en breton et c'est dans la seconde moitié du siècle dernier que son usage a ensuite régressé massivement.
D'autres propos de l'auteur pourraient sans doute donner lieu à commentaires. On relèvera dans son livre diverses imprécisions. Quand il se félicite que le Parlement de Bretagne ait pris en charge l'édition du Dictionnaire breton de Grégoire de Rostrenen en 1732, il omet de dire que c'est parce que l'éditeur Vatar n'avait recueilli que trop peu de souscriptions en Basse-Bretagne. Le nombre de recteurs qu'Émile Combes suspend de traitement en 1902 pour usage abusif du breton n'est pas d'une cinquantaine, mais de 127. Il fait toujours référence à la phrase d'Anatole de Monzie selon laquelle "pour l'unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître" : Georges Cadiou a pourtant démontré dans "Le Peuple breton" de septembre 2005 qu'elle n'est pas authentique.
Les légendes ne sont pas toujours suffisamment explicites : comment ne pas avoir identifié F. Falc'hun sur les photos de la mission de collectage du Musée des Arts et Traditions Populaires en 1939 ? Les données chiffrées les plus récentes ne sont pas actualisées : cela fait déjà plusieurs années que les écoles Diwan ont dépassé le cap des 2 600 élèves et que les classes bilingues en accueillent plus de 11 000 au total. Le nombre de bretonnants indiqué par l'auteur ne tient pas compte des résultats du dernier sondage de TMO Régions, que j'ai pourtant publiés au début 2009.
"La langue bretonne des origines à nos jours" a l'apparence d'un ouvrage attrayant de vulgarisation, et il trouvera pour cela un public. Il aurait été plus convaincant s'il avait été mieux étayé. Des éléments de bibliographie auraient également été bienvenus.
Serge Plénier. La langue bretonne des origines à nos jours. Ed. Ouest-France, 128 p., ill., 17,90 €.
Ce compte-rendu paraîtra en septembre prochain dans les Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne. Site internet de la Société : www.shabretagne.com

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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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