Télérama entend des voix
J'ai profité d'un jour de Noël (relativement) tranquille pour lire le dossier que consacre Télarama à un sujet dont ne traite pas souvent la presse magazine : la voix. Disons de suite que ce numéro double de fin d'année n'est pas facile à tenir en main et que la lecture de la 3e colonne sur la page de gauche est assez malaisée. Mais le sujet est fort intéressant.
L'approche de Télérama est multiple. Le magazine propose un reportage sur la manière dont "trouver sa voie et sa voix" au Conservatoire d'art dramatique ou au Centre de formation des journalistes. Une séquence un peu critique sur la manière dont on assure (ou pas…) la prise de son aujourd'hui au cinéma. Un petit tour du côté de Liverpool pour traiter des parlers locaux et de l'accent dans le nord de l'Angleterre…
En France aussi se pose la question de la façon de parler, beaucoup moins figée qu'on ne le croit. L'analyse d'un chercheur du CNRS, Pierre-Marc de Biasi, nous fait comprendre qu'avec les radios d'infos en continu, le radio ne laisse plus de temps à l'auditeur pour une réflexion personnelle. Le style du "9-3" s'étend et s'entend, y compris chez nos hommes politiques. La voix de la pub déteint sur les journalistes, celle des journalistes sur celle des auditeurs… "Le silence est ratatiné", dit P.M. de Biasi d'une belle formule. Gilles Heuré (dont je connais le portrait du Brestois "Gustave Hervé", publié il y a une douzaine d'années) pointe toutes les différences qu'il y a entre le discours politique d'un Jaurès et celui de… Nicolas Sarkozy.
Il y a aussi les collecteurs de voix et Télérama ne les a pas oubliés. Francesc Queixalós travaille ainsi depuis quinze ans sur le sikuani, une langue qui se parle dans un territoire situé entre Venezuela et Colombie : "si je me rendais chez les Sikuani en quête de textes écrits, je repartirais bredouille : il n'y en a pas". Mais Télérama ne s'intéresse qu'aux langues lointaines, alors qu'un gros travail de collectage et d'analyse se fait aussi ici sur les langues de France et sur les parlers locaux, que ce soit dans un cadre universitaire (par exemple le Nouvel Atlas Linguistique de Basse-Bretagne de Jean Le Dû) ou non (la magnétothèque de Dastum).
Je ne connaissais pas les travaux d''Arlette Farge sur une histoire des voix au XVIIIe siècle. Alors qu'on ne dispose évidemment pas d'enregistrements pour cette période, elle parvient à décrypter les traces "minuscules" de la voix qu'elle retrouve dans les archives et les textes d'époque : "aucun écrit n'est seulement écrit", dit-elle en parlant par exemple des affiches placardées sur les murs. Ayant moi-même travaillé sur la langue utilisée dans le cadre des procédures judiciaires du XIXe siècle, j’ai moi-même relevé plus que "des traces" de voix en Basse-Bretagne, puisque l’on y faisait alors couramment appel à un interprète devant les tribunaux par exemple, “attendu que l’accusé et plusieurs des témoins ne parlent que la langue bretonne”. D'autres approches existent cependant, notamment celle de Michel Poizat dans son livre "Vox populi, Vox Dei. Voix et pouvoir" (paru aux éditions Métailié) : il s'intéresse à la fonction de la voix dans la constitution du lien social, ainsi qu'au lien qui peut se jouer entre voix, politique et sacré dans l'histoire du XXe siècle européen.
Pour revenir à Arlette Farge, elle fait allusion à "la hiérarchie [qui existe] entre le présentateur du journal de 20 heures de France 2 et celui de France 3 régions un jour férié". J'admire la précision "un jour férié", ce qui doit être lourdement porteur de sens, et on aurait donc aimé en savoir plus. Mais quand on lit plus loin sous la plume d'Hélène Marzolf que sur France 3 les sujets locaux qui sont repris au national sont souvent recommentés depuis Paris (pratique que je n'ai que trop bien connu), on comprend vite. Mais n'est-il pas contradictoire d'observer simultanément que les journaux locaux de la chaîne n'ont plus une identité "très marquée" ? Il doit y avoir un problème quelque part…
Télérama, n° 3127-3128, du 19 décembre 2009 au 1er janvier 2010 : Numéro spécial "La voix."