Le Roman de la Bretagne
Les Bretons de Paris sont formidables. Quelques-uns, en tout cas. On avait déjà entendu Patrick Le Lay, du temps où il était le PDG de la plus importante chaîne de télévision française, proclamer qu’il n’est pas Français. Gilles Martin-Chauffier est le rédacteur en chef de l’un des principaux hebdomadaires de France, à savoir “Paris-Match” : lui nous affirme qu’il y aura à nouveau demain une Bretagne libre et indépendante. Cela, dit-il, n’aurait “rien d’outrecuidant” : d’ailleurs Bruxelles en est d’accord, même si Paris ne l’est pas trop. Au fait, les Bretons auront-ils au moins leur mot à dire dans cette affaire ?
Les temps à venir
Je n’avais pas encore lu “Le Roman de la Bretagne” que G. Martin-Chauffier a publié fin 2008 et dans lequel il a tenté ce qu’il définit comme “un exercice de journalisme historique et citoyen”. Mais ce n’est ni du journalisme ni de l’histoire. Le livre n’est pas non plus un essai. On ne dira pourtant pas qu’il n’est pas un peu politique, ni que l’auteur n’a pas un point de vue. Il l’expose dans un prologue et dans un épilogue, qui d’ailleurs se répètent. Comme les autorités européennes “ont d’ores et déjà programmé la sécession bretonne” (vous le saviez, vous ?), il veut rappeler aux Bretons la grandeur et la singularité de leur histoire, pour qu’ils puissent être prêts au moment opportun. L’auteur se campe en grand annonciateur des temps à venir.
Il est très fier, G. Martin-Chauffier, que la Bretagne puisse “se prévaloir de six cent quatre-vingt-sept ans d’existence prouvée, archivée et incarnée par des souverains”, et du coup plutôt méprisant pour les pays africains qui selon lui ne peuvent pas en dire autant. En même temps, il ne peut pas occulter six siècles de vie commune entre la France et la Bretagne. “Un vieux couple”, reconnaît-il. Son livre, ce c’était déjà pas de l’histoire, ce n’est plus un roman (le titre est trompeur), c’est une romance.
Et les romances qui durent, c’est délicieux. G. Martin-Chauffier, qui n’en est pas à une contradiction près, ne veut surtout pas “traîner la France dans la boue”, car il l’aime avec passion et ne veut pas de conflit brutal. Il n’est finalement pas si pressé de décréter la séparation : “ça n’est probablement pas pour demain”. Il ajoute même : "rien d'urgentissime" ! Mais que ce doit être chic et excitant de disserter sur un tel sujet depuis les salons de Paris.
La fille du roi Gralon
On l’a compris, G. Martin-Chauffier raconte des histoires, celle de Nominoé, d’Anne de Bretagne et, plus inattendu, celle de Le Chapelier en révolutionnaire de 1789… Mais la recherche historique lui paraît si austère qu’il n’a même pas voulu consulter les “archives poussiéreuses trop complexes à décrypter”. Il aurait tant aimé réécrire l’histoire de sa Bretagne idéale, la décrire comme un Portugal, l’entrevoir comme une Slovénie d’aujourd’hui. Tout ce qu’il fait dans son livre, reconnaît-il lui-même, c’est accabler les élites bretonnes du passé : "nos ancêtres n'ont pas été à la hauteur", paraît-il. Finalement, G. Martin-Chauffier est un grand déçu de la Bretagne et des Bretons. Je me demande bien pourquoi tenait-il tant à présenter l'histoire du Duché comme source d'inspiration pour l'avenir.
On ne va donc relever ni les approximations, ni les anachronismes ni les fantasmes qui s’y accumulent en nombre. Il a parfois le sens de la formule, mais ne récuse les clichés que pour mieux les amplifier. Il prétend écrire sur le mode épique, mais abuse des métaphores, et le ton est souvent populiste, sinon pire. Vous avez déjà entendu parler de Dahud ? G. Martin-Chauffier assure que le roi Gralon l’avait eue “d’une sirène, créature à queue comme chacun sait et comme Dahud le prouva en manifestant très tôt une véritable passion pour celles des beaux marins qui déchargeaient torse nu leurs cargaisons sous les fenêtres du palais royal” de la ville d'Ys (sic).
Une langue morte
Deux ou trois paragraphes sont consacrés à la langue bretonne, dont l’auteur considère que, déjà placée dans le caveau de famille, elle est bel et bien une langue morte. “Notre pauvre petite langue”, comme il la présente avec autant de condescendance que ses amis journalistes parisiens (qu’il prétend critiquer). Sa différence est qu’il n’use pas tout à fait des mêmes clichés. Encore que… Pour lui, c’est “une langue extrêmement difficile” ! Dès lors, pourquoi les gamins iraient-ils “s’épuiser” à l’apprendre “alors qu’ils s’amusent parfaitement en français” ? Alors que “nos grands auteurs […] ont presque tous uniquement écrit en français” ? Chacun fera la part des choses entre les représentations et les situations concrètes.
Il défend quand même le breton, Gilles Martin-Chauffier, et plus particulièrement les écoles Diwan. Il sait qu’on y enseigne le breton académique que des érudits ont "réinventé en 1920" et qu’il présente sans y connaître grand'chose comme un “modèle de virtuosité linguistique” (sic). Il ne comprend surtout pas qu’on puisse leur chercher des poux, “à croire qu’étudier le breton est aussi dangereux que partir en stage dans une école coranique de Peshawar”. Je ne suis pas sûr que les responsables de Diwan trouvent la comparaison à leur goût. Mais ceci est une autre histoire.
Gilles Martin-Chauffier. - Le Roman de la Bretagne. - Editions du Rocher, 2008. - 217 p., ill.