La toponymie bretonne relève-t-elle réellement du sacré ?
C’est la thèse étonnante que défend Daniel Cueff, Vice-président de la région Bretagne chargé de la mer et du littoral, dans une tribune parue dans Le Télégramme du 31 juillet. Il s’exprime dans le contexte des débats liés au nommage des voies, à la suite de l’adoption de la loi « 3DS » du 21 février 2022.
Post mis à jour 11/08/2024 13 h 11.
Si vous ne le savez pas, ce mystérieux acronyme veut dire : différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification de l’action publique locale. Ou comment ne pas dire les choses de manière aisément compréhensible. Daniel Cueff reconnaît que la loi a été votée « pour d’excellentes raisons » : il s’agit de mettre en place un adressage généralisé de l’ensemble des voies, y compris dans les communes de moins de 2 000 habitants, pour faciliter l’organisation des secours et les commodités de la vie quotidienne.
Panneau de signalisation de villages de la commune de Laz.
Ce n’est pas la première tentative
L’affaire n’est pas nouvelle : déjà, en janvier 2009, à La Poste, un éphémère directeur du courrier pour l’Ouest Bretagne avait adressé à toutes les communes une circulaire les invitant à choisir le français plutôt que le breton pour les dénominations de voies. L’initiative avait suscité un tollé. Il n’y a pas besoin d’y réfléchir longtemps pour se rendre compte qu’à l’inverse de son objet le changement de dénomination de tous les lieux-dits bretons auraient généré une belle pagaille.
Le Vice-président régional, sensible à la rugueuse beauté (sic) des noms de quartiers où il a vécu, assure que la toponymie relève « pour ainsi dire du sacré » et qu’elle est à ses yeux « immuable. » Ce qui induit qu’on lui devrait un respect absolu. Le propos contredit pourtant notre histoire récente.
Panneau de signalisation de deux lieux-dits à Plozévet.
Un effet induit du remembrement
Personne n’ignore que des opérations de remembrement des exploitations agricoles ont été menées à grande échelle en Bretagne comme ailleurs en France entre les années 1960 et 1980. Je ne parlerai pas des effets qu’elles ont eus pour l’agriculture ou l’environnement. Mais il est une transformation majeure dont on ne parle pas et qu’a bien mise en évidence Gilles Goyat dans son livre sur la microtopnoymie de la commune de Plozévet (éd. Skol Vreizh) : les nouvelles parcelles du cadastre sont en effet désormais dotées d’un numéro.
Rien ne sert d’en avoir la nostalgie : les champs n’ont plus de nom et leurs anciens noms ont disparu de l’usage des paysans même si nombre de ces microtoponymes restent présents dans la mémoire collective locale. Ils sont enfouis dans les registres du cadastre « napoléonien » du début du 19e siècle, rénovés à compter de la loi du 16 avril 1930 et jusque dans les années d’après-guerre, soit peu de temps avant le remembrement, mais que personne ne va consulter désormais, ou si peu.
An taol lagad, magasin d'optique à Pleyber-Christ, a fermé ses portes en 2017.
Préserver les noms des villages habités
Seuls se sont donc maintenus les noms bretons des villages habités, généralement signalés par des panneaux. Mais pas que : les noms de reliefs particuliers, de phares, de plages ou de rochers plus ou moins proches du littoral restent connus, sinon de tous, du moins de ceux qui les côtoient, même quand ils ne connaissent plus le breton et alors qu’aucun panneau ne les signale.
Nevez-amzer, immatriculé à Nantes, dans le port de Molène en. 2009.
Et puis, combien d’enseignes de magasin, de noms de maison, de bateaux, d’associations diverses et variées ne portent-ils pas un nom breton ? C’est un choix. Les mairies elles-mêmes s’affichent en breton et affichent également le nom breton de la commune à l'entrée de la localité. Nos noms de famille, le plus souvent, sont bretons, nos prénoms aussi. On ne nous propose évidemment pas de les franciser, même si cela fut évoqué en Alsace sous la Révolution.
Le bureau de poste de Cavan en 2009.
Au regard de la loi 3DS, ce sont les noms des villages habités qu’il s’agit aujourd’hui de préserver. Des associations bretonnes redoutent la débretonisation, sonnent le branle-bas et en appellent à l’UNESCO. La loi 3DS impose-t-elle de les changer ? Apparemment pas. Selon son délégué pour le Morbihan, La Poste « ne recommande pas de franciser. Le breton n’est pas une difficulté pour nos machines de tri. » Elle demande juste qu’il y ait un nom et un numéro pour chaque habitation. Il reste à savoir si l’approche est la même dans tous les départements.
Panneau à l'entrée du bourg de Plouégat-Guerrand. Photo DR.
L’exemple de la commune de Plouégat-Guérrand
La question du nommage ou plus exactement d’un renommage éventuel des toponymes est ultra-sensible. Daniel Cueff reconnaît que la Région n’a aucun pouvoir en la matière. Ce sont donc les communes qui ont la main. Il semble bien qu’elles peuvent pérenniser les appellations de toujours de leurs lieux-dits. Faut-il ajouter les termes « route », « rue » ou « impasse » devant le toponyme breton ?
La commune de Plouégat-Guérand a refusé de le faire tout en numérotant chacune des habitations de chaque lieu-dit : cela m’a été confirmé par la mairie. C’est le bon sens. Mais combien de communes vont suivre son exemple ?