Les Priziou 2023 à l’Opéra de Rennes : des échos et des photos. Épisode 2
Je poursuis ma restitution de l’événement dont l’idée originale a été proposée en 1997 par le service des émissions en langue bretonne de France 3 Ouest (aujourd’hui France 3 Bretagne) et auquel, depuis, se sont associés l’Office public de la langue bretonne (OPLB) et la région Bretagne. Mael Le Guennec, responsable des émissions en langue bretonne de la chaîne, et Paul Molac, en sa qualité de président de l’OPLB ont d’ailleurs pris la parole le 31 mars pour se féliciter que la cérémonie se déroule cette année dans la capitale [administrative] de la Bretagne, à Rennes, et annoncer d’ores et déjà avec une pointe d’humour qu’elle se déroulerait à nouveau l’an prochain dans la capitale [historique] de la Bretagne, à Nantes cette fois.
- Comme dans le précédent messsage, toutes les photos de ce post sont de ©Didier Echelard.
Se reporter à ce précédent message pour connaître les premiers lauréats :
- « Associations » : « Bannou-Heol » et Arno Elegoët pour la réédition hors pair de la cantate « Ar marc’h dall » [Le cheval aveugle].
- « Livre de fiction » : séquence émotion pour Yannig Audran
- « Collectivité » : le breton dans la presqu’île de Plougastel-Daoulas
- « Entreprise » : le plurilinguisme de « Breizh Odyssée »
Et voici les trois autres lauréats.
« Œuvre audiovisuelle » : la stature de Martial Ménard
Ce n’est pas la réalisatrice du documentaire primé l’an dernier qui a dévoilé le lauréat de cette année, mais Elen Kloareg (ci-dessus, à gauche), la jeune femme à qui l’on avait découvert un cancer du sein et qui fut le personnage central du film « Dañsal dindan ar glao » [Danser sous la pluie]. L’an dernier, raconte-t-elle, elle se trouvait sur son lit d’hôpital quand elle a su que ce film obtenait le premier prix. Rayonnante cette année, elle a été applaudie quand elle est montée sur scène pour annoncer que le choix du jury s’était porté sur « E jardrin ur stourmer » [Dans le jardin d’un militant], un documentaire de Mikael Baudu (ci-dessus, à droite), produit par Gwengolo Filmoù, consacré à Martial Ménard.
C’était prévisible, pour plusieurs raisons. Parce qu’il s’agit d’un 52’ (mais ça peut ne pas suffire), alors que les deux autres nominés sont des formats courts. C’est donc en raison de la réalisation, mais aussi de la stature de Martial Ménard comme de son aura, forcément, que le film qui lui a été consacré a été primé. En recevant son prix, le réalisateur, Mikael Baudu, n’a d’ailleurs pas eu besoin de citer son patronyme. Il lui a suffi d’évoquer « Martial » comme s’il était de la famille, je veux dire de la grande famille bretonne.
Martial Ménard a en outre pour qualité d’avoir consacré « toute sa vie » à la lutte pour le breton, au point, dixit le réalisateur, d’avoir été « ur skouer » et qu’il le restera : un modèle, voire un géant. Enseignant, éditeur, écrivain, linguiste, lexicographe, chroniqueur et militant à plus d’un titre, il est le maître d’œuvre de multiples ouvrages et notamment de « Geriadur brezhoneg an Here » [Le dictionnaire breton des éditions An Here], premier dictionnaire unilingue de toute l’histoire des dictionnaires bretons, tous bilingues jusque là.
- Deuxième prix : « Disoñjal » [Oublier], court-métrage de fiction de Madeleine Guillo-Leal, produit par All In One Production et Abordage Films, 2021, d’une durée de 18’, tourné en français et en breton, avec Janig Bodiou dans le rôle principal. Le film évoque la perte de la langue bretonne à travers une relation renouée entre une mère et son fils.
- Troisième prix : « Buhez ar Sant » [La vie du saint], une série de sujets courts de Riwal Kermarrec et Yann-Herle Gourves qui traite de la vie des saints bretons sur un ton croquant, pour ne pas dire sarcastique.
« Disque chanté en breton » : le CD plaisant et séduisant d’Élodie Jaffré
Pour révéler le nom de la gagnante de cette année, celui de l’an dernier, Youn Kamm, déjà présent sur la scène des Priziou avec son groupe TREIZ [H], n’a eu à se déplacer que de quelques pas jusqu’au pupitre : c’est « Kanour noz » [Le chanteur de nuit], le CD d’Élodie Jaffré, Awena Lucas et Yann Le Bozec, produit par Selaou et diffusé par Coop Breizh. J’ai eu l’opportunité de l’écouter, je l’ai trouvé séduisant.
« Kanour noz » est une très belle histoire de transmission indirecte. Au départ, c’était le surnom que les habitants du petit port de Kerroc’h donnaient à un pêcheur qui chantait la nuit lors de ses sorties en mer. Jean-Yves Monnat, ornithologue réputé par ailleurs, mais aussi ethnologue proche de Donatien Laurent, avait collecté les chansons en 1974 et 1976 auprès du chanteur de nuit, Louis Le Hirez (1907-1983), puis les avait retranscrites.
Quand Élodie Jaffré découvre que cet homme était son arrière-grand-oncle, cela lui a donné l’envie de créer un spectacle autour du personnage, de sa vie et de son expression. La création a eu lieu dans le cadre d’une résidence au centre Amzer nevez de Plœmeur. Avec sa voix, la chanteuse, accompagnée à la harpe celtique par Awena Lucas et à la contrebasse par Yann Le Bozec, a imaginé un univers autour de lui, seul en mer sur son bateau. La création est devenue un spectacle et un CD, un objet bien plaisant, aujourd’hui primée. Le résultat est tout à fait concluant.
- Deuxième prix : Modkozmik, pour Volume 1. Ce groupe de fest-noz est très actif depuis 2017 sur la scène musicale bretonne.
- Troisième prix : Startijenn, pour Talm ur galon [Le battement d’un cœur]. Les membres de ce groupe se présentent comme les maîtres incontestés du dancefloor breton.
« Les brittophones de l’année » : Alvan & Ahez, de l’art de transmuer un insuccès en triomphe
En 2022, France 3 s’était fait doubler par France 2 en sélectionnant un groupe breton alors inconnu pour représenter la France à l’Eurovision de Turin. Il est vrai qu’Alvan & Ahez avaient terminé avant-derniers : leur manque de notoriété à l’international explique sans doute leur contre-performance. Ils avaient tout de même fait le buzz en Bretagne et bien au-delà : ils peuvent se targuer de 12 millions de vues sur YouTube et de 9 millions d’écoutes sur Spotify — ce qu’aucun autre chanteur ou musicien breton n’a jamais fait. Ce qui leur a valu d’avoir leur page Wikipedia et de recevoir quelques médailles et autres distinctions.
Les Priziou se définissent certes comme les Prix de l’avenir du breton. Comme les Victoires de la musique, ils ne peuvent cependant récompenser que des réalisations de l’année écoulée.
Et voilà que la chanson « Fulenn » [Étincelle] vaut à Alvan & Ahez d’être honorés comme brittophones de l’année pour avoir braqué une deuxième fois les projecteurs de l’Eurovision sur la langue bretonne, Dan ar Braz l’ayant déjà fait en 1996.
Les trois chanteuses Sterenn Le Guillou, Sterenn Diridollou et Marine Lavigne, en l’absence d’Alexis Morvan Rosius qui fut leur compagnon dans cette aventure, sont montées sur la scène des Priziou pour décrire l’émotion qui fut la leur en moment de monter sur celle de l’Eurovision : c’est la France qu’elles représentaient tout de même avec une chanson en breton devant des millions et des millions de téléspectateurs. Ce fut aussi pour elles l’occasion d’honorer les générations passées de bretonnants qui furent, selon leurs propres termes, humiliées et opprimées parce qu’elles parlaient leur langue.
En contrepoint, elles ont remercié ceux qui ont lutté pour qu’elle ne disparaisse pas et qu’elle puisse se diffuser grâce aux artistes au-delà des frontières. Elles ont enfin témoigné de leur reconnaissance aux élèves, collégiens et lycéens de Diwan et des autres filières bilingues qui les ont accompagnées lors de l’Eurovision pour que « l’étincelle devienne un feu de joie ».
Et ce fut le mot de la fin, avant la photo de groupe.
La composition du jury
- Nolwenn Horellou-Lagadec, karget eus ar c’hehentiñ e Diwan / chargée de communication à Diwan.
- Paskal an Intañv, skrivagner / écrivain.
- Damien Mattheyses, soner / musicien.
- Ingrid Audoire, Ofis Publik Ar Brezhoneg / Office public de la langue bretonne.
- Mannaig le Dortz, kenurzhierez sevenadurel Ti ar Vro Bro Pondi/coordinatrice culturelle Ti ar Vro Bro Pondi.
- Régine Guillemot, stummerez war ar brezhoneg / formatrice en langue bretonne.
- Florian Ebel, soner/musicien.
Le lauréat de chaque catégorie s’est vu remettre en direct un trophée réalisé par le designer Owen Poho pour le compte de France 3 Bretagne. Au nom de la région Bretagne, l’Office public de la langue bretonne remet également des chèques de 1 500 € au premier prix et de 500 € et un diplôme aux deuxièmes et troisièmes prix.
L’émission a été réalisée par Avel Corre, avec le concours des équipes techniques de France 3 Bretagne.
En raison de divers aléas de calendrier et de la retransmission en direct du marathon de Paris sur France 3, la cérémonie des Priziou n’a pas pu être diffusée à l’horaire habituel du magazine Bali Breizh, le dimanche 2 avril. Elle l’a été dès la veille, samedi 1er avril, à 20 h 30 sur le site bretagne.france3.fr, puis à 0 h 20 sur l’antenne de France 3 Bretagne.
Selon mes informations, l’audience fut supérieure à ce qu’elle est habituellement à cet horaire tardif, correspondant à 60 000 téléspectateurs cumulés. Sur le net, elle a été modeste.
Pour voir ou revoir la cérémonie des Priziou : cliquer ici.
L’Office public de la langue bretonne assure le service après-vente et annonce un point presse mercredi 26 avril à 10 h 30 à Quimper pour échanger avec les lauréats des Priziou dans le sud Finistère et à 18 h à Plougastel-Daoulas pour ceux du nord Finistère. Nul doute qu’il fera de même dans chacun des autres départements concernés. S’il faut comptabiliser par département, le Finistère est le champion : il a trusté 10 des 21 prix attribués.