Politique culturelle régionale : un discours offensif de Jean-Michel Le Boulanger
Le Vice-président de la région Bretagne a fait escale cette semaine à la Maison du Théâtre de Brest, après avoir fait halte auparavant à Chartres-de-Bretagne, Saint-Avé et Langueux. Comme lors de son premier mandat, il tenait à présenter aux acteurs culturels de chaque département un bilan de la politique de la région et à évoquer les perspectives d'évolution qui seront mises en œuvre au cours des prochaines années. Son intervention avait attiré plus de 150 personnes, dont quelques Morbihannais et Costarmoricains venus en voisins.
La liberté de l'artiste en jeu
D'emblée, J.-M. Le Boulanger s'est calé sur le contexte du moment : on ne peut pas faire, a-t-il déclaré, comme si l'attaque du Bataclan n'avait pas eu lieu ni comme si "le divers" devait être désormais interdit. Lui-même se dit alerté depuis que des œuvres d'art ont fait l'objet de destruction ici même en Bretagne, à Lanrivain en juillet 2015 et en de nombreux autres endroits depuis, ce qui marque une banalisation nouvelle sous le prétexte que telle ou telle création ne plaît pas.
C'est précisément l'argument qu'ont avancé les élus du Front national lors de la Commission permanente du Conseil régional de Bretagne, le 26 septembre : ils ont voté contre les budgets de la culture parce qu'un certain nombre de projets "ne leur plaisent pas". Mais, rétorque J.-M. Le Boulanger, là n'est pas la question : il s'agit de faire sens.
"La liberté de l'artiste ne va pas de soi, ajoute-t-il : il faut combattre pour elle ! Il faut s'opposer à la privation du geste artistique, qui est aussi une privation de liberté."
Pas de fatalité des chiffres
Les budgets de la culture diminuent un peu partout, mais celui de la région Bretagne augmente de 3 % en 2016, alors que le budget global de la région est en repli de –0,75 %. Thierry Le Nédic, le directeur de la culture au Conseil régional, et Jean-François Bertrand, son adjoint, ont présenté les chiffres et les data :
- un budget annuel renforcé à hauteur de 25,56 M€
- une vision globale des projets par territoire
- sept chantiers menés de front, concernant notamment le patrimoine culturel immatériel, la jeunesse, le cinéma…
Appelant Victor Hugo et André Malraux à la rescousse, le Vice-président de la région le martèle fermement : "il n'y a pas de fatalité des chiffres", car de petites économies font toujours de gros dégâts. Il ne supporte pas le consumérisme des écrans (de télévision) ni l'individualisme à tout va, et rejette ce qu'il appelle "l'excellisation du monde". Je n'avais pas encore entendu ce néologisme, et je ne l'ai guère trouvé sur internet. Je comprends qu'il s'agit d'un refus que le monde ne soit géré que par des tableaux Excel.
La diversité culturelle est centrale
Autrement dit, et Jean-Michel Le Boulanger le répète : il faut faire sens. Ce sera l'un des axes de la politique culturelle qu’ il entend mettre en œuvre à la région Bretagne entre 2016 et 2021 et qu'il va entreprendre de "toiletter" de manière à faire société et à faire humanité ensemble. Il insiste beaucoup sur ce mot "ensemble" : s'il veut aussi entretenir le doute, c'est – affirme-t-il - pour mieux assurer le vivre ensemble. Il souhaite enfin développer l'attractivité des territoires autour de grands projets culturels.
Ces postulats l'amènent à considérer la diversité culturelle comme centrale. Convaincu de l'égale dignité des cultures – et, tient-il à préciser, "ici en particulier en Basse-Bretagne" – il n'établit pas de hiérarchie entre la culture universelle et la culture populaire.
Il veut à partir de là tenter d'abattre les murs de l'entre-soi si confortable des sachants : "on a besoin d'air", dit-il en faisant allusion à un Parlement bien trop endogène. Il préconise de faire face aux crispations de haine et de s'enrichir des ailleurs. Il invoque une histoire enracinée venant de loin :
- les sept saints de la chapelle du Vieux-Marché qu'on retrouve dans une gwerz bretonne et dans la sourate 18 du Coran
- l'organiste Dallam migrant d'Angleterre en Bretagne au XVIIe siècle pour échapper à la persécution religieuse
- les 22 000 réfugiés espagnols arrivés ici à la veille de la Deuxième Guerre mondiale et qui prendront une part décisive à la Résistance.
Bref, et ce sera (presque) la conclusion de J.-M. Le Boulanger, il est nécessaire de lutter contre le "ça ne me plaît pas". Il faut, insiste-t-il, placer l'interculturel au cœur du culturel.
Voilà, c'est la restitution que je tente d'un exposé bien dense. Comme il est d'usage, il a fourni des éclaircissements par rapport aux questions qui lui ont été posées. Il est revenu sur des pointes d'humour moyennement appréciées. Mais il n'a pas été question de politique linguistique au cours de cette rencontre brestoise, contrairement à ce qui s'est apparemment passé ailleurs. Les applaudissements de la salle ont clairement montré que dans le Finistère les acteurs de la culture se sont retrouvés dans ces propos.