Des interventions d'intérêt sur le breton et le gallo au congrès de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne à Carhaix
Plus de cent cinquante personnes ont participé en trois jours, du 8 au 10 septembre, à ce congrès consacré cette année aux langues de Bretagne d’une part et à l’histoire du Poher d’autre part (voir messages précédents). Les congressistes ne se sont pas contentés de suivre les vingt et quelques communications prévues au programme : ils se sont aussi déplacés sur le terrain, notamment à Cléden-Poher pour une visite commentée de l’église et de l’enclos paroissial. Le congrès se déroulait par ailleurs dans la salle de cinéma Le grand bleu, au sein de l’espace Glenmor. (Photos ci-dessus).
Nota bene. Dans les présentations qui suivent, les titres tout comme les résumés de communication ont été adaptés par le rédacteur de ce blog en vue de leur mise en ligne. Que les auteurs veuillent bien excuser toute erreur ou approximation éventuelle. Photos : FB
Thématique 1. Les langues de Bretagne dans l’histoire
Changements linguistiques au début du Moyen-Âge dans l’est de la Bretagne
Le premier intervenant, Antoine Châtelier, docteur en breton et celtique, chargé de cours à Rennes 2, a abordé une question ardue et maintes fois débattue dans le passé à partir de recherches sur la toponymie : quelles étaient les langues parlées dans la péninsule armoricaine à l’arrivée des Bretons autour du Ve siècle de notre ère, en particulier dans l’est de la région ? Le chercheur a repéré des toponymes pouvant montrer un passage par le latin vulgaire avant la brittonisation. D’autres noms de lieux témoigneraient à l’inverse d’un passage direct du gaulois au breton. À l’ouest de la ligne Le Moing (là où il y a au minimum 5 % de toponymes bretons), peu de changements linguistiques sont à signaler, car la langue bretonne y était déjà implantée.
Quel sens donner au mot malade en moyen breton ?
Myrzinn Boucher-Durand (photo ci-dessus), doctorante au département de celtique de l’Université de Harvard aux États-Unis, s’est exrprimée avec entrain sur le sens à donner à claff, claf ou clam, soit le mot "malade" en moyen breton, en faisant appel à l’éclairage des autres langues celtiques. Abordant le contexte tant historique que linguistique, elle donne du relief aux facteurs sociaux influant sur l’évolution de la langue.
Parler breton en Nouvelle-France au XVIIIe siècle
Éva Guillorel mène une recherche sur ce que représentait le fait de parler breton en Nouvelle-France au XVIIIe siècle. Tous les migrants installés dans la colonie ne provenaient pas de la région parisienne ou de la France de l’Ouest : ce fut aussi le cas de Bretons de Basse-Bretagne. Mais ils n’ont laissé presque aucune trace archivistique. Éva Guillorel, actuellement maîtresse de conférences en histoire moderne à l’Université Rennes 2, dresse un état de la présence de la langue bretonne en Amérique francophone au XVIIIe siècle.
Une tragédie bretonne du XVIIIe siècle adaptée d’un conte des Mille et un jours
Ronan Calvez, professeur de langue et littérature bretonnes à l’Université de Brest, a travaillé sur un manuscrit conservé dans le fonds celtique et basque de la Bibliothèque nationale de France et qui détonne. Il s’agit du Mystère du prince Fadlala, une tragédie adaptée en alexandrins bretons d’un conte en prose extrait des Mille et un jours. Le chercheur analyse ce que nous dit cette création de la production manuscrite bretonne du XVIIIe siècle.
Nouvelles perspectives sur le passé de la Bretagne à partir d’une analyse du Nouvel atlas linguistique de la Basse-Bretagne (NALBB)
Pour les besoins de sa thèse soutenue en 2021, Tanguy Solliec (photo ci-dessus) a effectué une analyse dialectométrique innovante de cet atlas, dans une approche visant à quantifier la distance linguistique qui sépare des ensembles de données appartenant à différentes localités. En phonétique, cette distance linguistique s’organise sur un plan spatial. Elle présente en outre une forte correspondance avec des mutations du gène CFTR, responsable de la mucoviscidose. Cette corrélation suggère, du point de vue de l’auteur, une série d’effets fondateurs rémontant à la période des migrations bretonnes aux Ve-VIIe siècles.
L'emploiu officiel du breton depuis la Révolution française
Fañch Broudic est un journaliste bilingue, ancien responsable des émissions en langue bretonne à France 3 Ouest. Docteur ès lettres, il est chercheur associé au CRBC. Selon lui, l’une des idées les mieux reçues relatives à langue bretonne est celle de son interdit, en particulier dans le cadre scolaire. Dès les débuts de la Révolution pourtant se met en place une politique de traduction, tant et si bien que le breton devient alors pour la première fois langue de la politique. Près de 70 affiches et placards imprimés ont été répertoriés pour cette période, et il y en a eu d’autres tout au long du XIXe siècle et au XXe. En 2002, le breton n’a plus qu’une présence symbolique sur les documents électoraux.
Le breton juridique
Les travaux de Thierry Hamon (photo ci-dessus), maître de conférences HDR à Rennes 2, portent sur les institutions et le droit breton. Sa communication brosse un panorama du vocabulaire juridique présent dans la langue bretonne. En dépit du fameux article 11 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, elle ne disparaît du monde du droit, dans la mesure où ce dernier est, par nature, au cœur des interactions humaines et que l’immense majorité de la population de l’ouest de la Bretagne n’a parlé longtemps que cette langue. Sous l’Ancien Régime et au-delà, un rôle important est dévolu aux "interprètes ordinaires assermentés".
L’usage de la langue bretonne dans l’Église : l’exemple des obsèques de Marc'harid Gourlaouen à Douarnenez en 1987
Maïna Sicard-Cras (photo ci-dessus) est journaliste bilingue à France Télévisions et doctorante au CRBC. Sa communication aurait plutôt dû s’intituler "le contre-exemple" puisque le breton n’est utilisé qu’a minima lors de la cérémonie dont il s’agit, générant stupéfaction et horreur parmi les amis et connaissances de la défunte, cheville ouvrière pendant des décennies du cours par correspondance de langue bretonne "Skol Ober" [L’école 'Ober', le verbe 'ober' étant 'faire' en breton]. Une pétition et des centaines de lettres sont adressées au curé de Douarnenez et à l’Évêché de Quimper et Léon qui s’agace de la médiatisation de l’affaire. Il n’est pas contre le breton, mais considère que "la langue est au service de la liturgie et non la liturgie au service de la langue". Cette communication sur un fait d’histoire récente est de celles qui ont suscité le plus de réactions dans la salle. Preuve sans doute de la permanence de cette actualité.
Écrire en gallo dans les journaux avant la Seconde Guerre mondiale
Michel Chalopin, docteur en histoire, fait remarquer qu’il n’existe aucune étude historique d’importance sur les écrits en gallo avant le milieu du XXe siècle. Il présente donc une forme d’inventaire de ceux parus dans la presse locale. Les auteurs, dans un premier temps, sont des érudits s’intéressant aux traditions populaires. Les textes publiés ensuite sont des paysanneries, récits comiques mettant en scène des gens de la campagne. On trouve enfin des récits pamphlétaires à destination des paysans. M. Chalopin suggère la réalisation d’une enquête exhaustive d’ampleur régionale sur les articles de presse écrits en gallo, qui reste donc à mener.
Le chant de tradition orale en Haute-Bretagne : du français ou du gallo ?
Vincent Morel (photo ci-dessus) est responsable des fonds et publications pour la Haute-Bretagne au sein de Dastum. Selon lui, l’expression chant "en gallo" désigne en réalité l’ensemble des chants de tradition orale recueillis en pays gallo, alors qu’ils sont en majorité en français. L’abondance des collectes du XIXe siècle, puis celles réalisées à compter des années 1960 permettent désormais d’envisager un état des lieux conséquent, pouvant contribuer de surcroît l’étude de l’évolution des langues de Bretagne.
L’art de conter en breton : contribution par l’étude de cinq contes merveilleux collectés par Luzel.
C’était le titre de la conférence publique donnée à l’occasion du congrès par deux universitaires brestois, Nelly Blanchard et Yves Le Berre. Il semble que peu de Carhaisiens se sont déplacés pour en profiter. Un militant breton bien connu croisé par hasard dans la rue ce soir-là m’a déclaré qu’il n’en savait rien. Il est vrai que Le Poher, hebdomadaire du centre ouest Bretagne, n’a curieusement fait aucun écho à cette manifestation. La conférence, pourtant passionnante, proposait une toute nouvelle approche de la compréhension des contes (voir message précédent).
À lire prochainement sur ce blog : Carhaix et le Poher dans l’histoire au Congrès de la SHAB.