L’art de conter en breton : la conférence publique du Congrès de la SHAB à Carhaix
Elle sera donnée sous la forme d’une contribution par l’étude de cinq contes merveilleux collectés par Luzel. Elle aura lieu jeudi 8 septembre, à 17 h à l’Espace Glenmor.
Avec les complaintes (gwerziou) et autres chansons (soniou), avec les tragédies des siècles modernes, le troisième grand pôle des collectes de François-Marie Luzel consiste en contes populaires, surtout merveilleux. Soigneusement transcrits par lui, ces contes (plus de 150) sont pour la plupart déposés aux archives départementales du Finistère, dont il fut le conservateur de 1881 à sa mort en 1895.
Aucune étude scientifique jusqu’à présent concernant leur forme, leur contenu et la langue
À quelques exceptions près, ils n’ont jusqu’à présent été publiés sous leur forme originale qu’en traduction française et ils n’ont donné lieu à aucune étude scientifique concernant leur forme, leur contenu et la langue dans laquelle ils ont été recueillis. Dans la seconde moitié du xixe siècle, la pensée allemande exerçait une très forte influence sur la science française.
Selon les théories du Saxon Max Müller, devenu professeur à Oxford, les contes merveilleux étaient les formes dégradées de récits mythologiques indo-européens très anciens, dans lesquels les personnages sont les allégories de phénomènes naturels. Luzel adhérant parfaitement à cette explication, tout semblait être dit et ses contes paraîtront désormais dans de jolies éditions populaires sans ambition scientifique.
Le conte : procurer du plaisir à ceux qui le partagent
Mais nos conteuses, nos conteurs et leurs auditeurs n’étaient en 1870 ni des animistes ni des mythologues.
Notre interrogation sera donc toute différente : partant du principe qu’un genre littéraire, fût-il oral, ne continue à vivre que s’il procure du plaisir à ceux qui le partagent (auteurs, interprètes, récepteurs), nous nous demanderons en quoi a consisté, jusqu’à nous, l’art de conter en breton. C’est-à-dire l’art de construire des récits
- qui captivent (je veux connaître la fin),
- qui étonnent (comment une princesse peut-elle être enfermée dans le corps d’un crapaud ?),
- qui assoupissent la raison, le bon sens et la vraisemblance, le temps d’une délicieuse parenthèse.
Et cela, rien d’autre que le texte lui-même, à condition qu’il soit fidèle, ne peut nous l’expliquer.
Les deux intervenants
Nelly Blanchard, professeure de langue et littérature bretonnes à Brest (UBO, CRBC). Elle travaille en particulier sur la littérature bretonne du xixe siècle, à la fois celle écrite par les élites (Barzaz-Breiz. Une fiction pour s’inventer, 2006 ; Au-delà du Baraz-Breiz, Théodore Hersart de La Villemarqué, 2016 : valorisation en ligne du fonds La Villemarqué, 2018-2021) et celle, bien plus rare, écrite par des paysans (Herve Burel, Histor eur famill eus Breïz-Izel, 2011 ; Envorennou ar barz Juluen Godest, 2020). En plus des approches sociolittéraires (Des littératures périphériques, 2014), ses recherches sur les collecteurs (Émile Souvestre, 2007 ; Jean-Marie de Penguern, 2008 ; mise en ligne des carnets de collecte de La Villemarqué, 2018) et leurs collectes nourrissent entre autres ce projet par lequel elle cherche à comprendre les croisements de regards entre diverses catégories écrivantes-publiantes et le peuple.
Yves Le Berre, professeur émérite de Celtique à Brest. Il a longtemps travaillé sur les textes bretons du xixe siècle (Emgann Kergidu – La bataille de Kerguidu, 1977, 2014 ; Kastel Ker iann Koatanskour – Le château de Kerjean-Coatanscour, 2004, etc.). Il a concomitamment exploré l’univers sociolinguistique avec son collègue et ami Jean Le Dû (Métamorphoses, trente ans de sociolinguistique à Brest, 2019). Depuis sa libération de la vie active, il s’efforce de proposer une lecture nouvelle des textes bretons renaissants et baroques (La Passion et la Résurrection bretonnes de 1530, suivies de trois poèmes, 2011 ; Entre le riche et le pauvre – La littérature du breton entre 1450 et 1650, 2012) ; La Vie bretonne de sainte Barbe, 2018 ; Bue sant Antoen – La Vie de saint Antoine (à paraître) etc.). Ouvert depuis 2018 avec Nelly Blanchard, le chantier consacré à la littérature orale, et en particulier aux contes merveilleux bretons, commence à produire quelques résultats concrets.