Le breton en six mois : la genèse d’un film
Mise à jour : 11 septembre 2020.
Ce documentaire de Ronan Hirrien n’avait jamais été rediffusé depuis sa première diffusion en octobre 2005 sur l’antenne de France 3 Ouest. Il le sera samedi prochain 12 septembre à 10 h 45 dans le magazine en langue bretonne Bali Breizh, sur France 3 Bretagne. Ça tombe bien, car les organismes de formation à la langue bretonne tout comme les universités font leur rentrée ces temps-ci.
Le film suit cinq stagiaires de différents profils inscrits à Stumdi, qui vient alors de s’installer au manoir de Keranden à Landerneau (photo de droite ci-dessus), pour apprendre le breton tant à l’oral qu’à l’écrit en six mois.
Dans le texte qui suit, Ronan Hirrien raconte la genèse de ce film : la version française de son récit ci-après a été traduite par mes soins.. La version originale en langue bretonne est accessible ici.
Avertissement : les photos illustrant ce message ne sont pas celles des protagonistes du film. Celle à gauche ci-dessus est ainsi celle du mur d’accueil dans les nouveaux locaux de Stumdi à Landerneau. Les autres photos ci-après seront légendées.
Ronan Hirrien : Mon premier documentaire
Merci pour la confiance que tu as eue en Soazig Daniellou, la productrice du film, et en moi-même ! Ce fut mon premier documentaire de 52'. Le premier est une rude épreuve à surmonter.
Après avoir suivi une formation de deux mois pour apprendre le gallois, au cours de l’été 2001, j’avais pensé à ce documentaire, "le breton en six mois". C’était l’époque de la téléréalité d'apprentissage : la Star Academy sur TF1, le cours Florent sur Canal+… Mon projet n’était pas de suivre de près la manière des adultes apprennent le breton, mais plutôt d’observer comment cet apprentissage pouvait les transformer. Le livre d'Huigues Pentecouteau, "Devenir bretonnant" a beaucoup compté dans ma réflexion sur mon projet de film.
Photo : Stagiaires pour apprendre le breton en six mois en octobre 2017 dans les nouveaux locaux de Stumdi à Landerneau.
Rédiger le synopsis du film
Le cadre dramatique serait fourni par une formation de six mois. Je suis allé à Stumdi plusieurs fois questionner Brieg ar Menn sur la progression de la formation… J’ai demandé à des stagiaires et à d’anciens stagiaires (Carola, Kristen, Geraint, Clément…) quels étaient leurs aspirations et leur ressenti tout au long de la formation : leurs effort pour bien assimiler, pour bien s’exprimer, leur avis sur l’usage qu’ils feraient du breton, leurs collègues de stage, leur évolution personnelle en fonction de leur progression.
En septembre 2001, je suis allé voir Soazig Daniellou de Kalanna production, car j’avais vu "Brezhoneg leizh o fenn" [Du breton plein la tête] et d’autres documentaires qu’elle avait réalisés. Elle m’a accompagné patiemment pour écrire ce projet de film jusqu’à l’été 2003 : déterminer quels types de stagiaires je souhaitais filmer, dans quelles circonstances, à quelle fréquence, de quelle manière…
Elle m’a conseillé de rédiger le synopsis du film que je voulais tourner comme si j’allais raconter une fiction, avec les cinq stagiaires dont j’avais imaginé le profil d’après les différents parcours que j’avais observés : leurs connaissances préalables en breton, leur pays d’origine, leur origine sociale, leurs motivations principales, leur projet professionnel à l’issue de la formation, leurs échanges en breton…
Photo : Stagiaires de Stumdi en stage de découverte à l'extérieur, à Lampaul-Plouarzel, en juin 2015.
Vingt jours de tournage répartis sur plusieurs mois
À l’été 2003 je savais ce que je voulais filmer et comment je le ferais. Soazig maîtrisait la recherche de financements. Pour gagner la confiance de stagiaires que je ne connaissais pas encore, j’avais précisé à Soazig que je préférais assurer le tournage avec la même équipe tout au long des six mois et qu’il ne me déplairait pas de me trouver à la caméra.
Du début octobre 2003 à avril 2004, j’ai tourné vingt jours. Dès le début de la formation, j’ai fait le choix de suivre Marie-Josée, Mari, Daniel, Matthieu, Charline et Annie… En dehors des jours de tournage, je me rendais souvent au manoir de Keranden pour mieux faire connaissance avec mes personnages et organiser les journées de tournage à suivre.
Une série en cinq épisodes de 15'
Puis vient le temps du montage. Comme tu le sais, mon projet initial n’était pas un documentaire de 52', mais une série de 5 sujets de 15', qui ont été diffusés dans le magazine en langue bretonne "Red an amzer". Suivre les mêmes personnes tout au long de leur formation en un lieu ou sur une thématique différente par épisode :
- 1 Retour en formation (au manoir de Keranden)
- 2 À chacun son chez-soi de breton (à domicile)
- 3 Leurs acquis (en stage)
- 4 Le résultat de leur implication (à l’extérieur)
- 5 À chacun son avenir (un an plus tard).
Il aurait été impossible de trouver les financements pour tourner une telle série, et c’est la raison pour laquelle j’ai réalisé un 52' en plus. Mais concevoir un 52' ne consiste pas à mettre bout à bout cinq épisodes qui ont chacun leur unité, leur dynamique (la longueur des plans…)
Soazig et le monteur Claude Le Gloux m’ont beaucoup aidé à définir le synopsis d’un 52'. C’était la première fois que je me trouvais dans une salle de montage avec une trentaine d’heures de rushes, ça me faisait peur. J’avais beau très bien connaître les contenus par cœur et leur localisation précise, je ne voyais pas comment gérer le temps qu’on me donnait pour le montage d’un documentaire sur cinq semaines.
Claude Le Gloux qui avait déjà une très belle expérience professionnelle a géré ce temps à la perfection : il a su m’aider à lutter contre le récit que j’avais mis par écrit, et contre ce que j’avais filmé pour que le récit se dévoile progressivement du montage sous nos yeux. Il a su m’amener à faire des choix difficiles sur un premier documentaire long et mieux caractériser chaque personnage. Puis le mixage et l’étalonnage…
Toux ceux qui savent raconter des histoires savent tout cela aussi bien et mieux que moi… Mais qui ne se souvient pas de la première fois ?
Ronan Hirrien
Traduction de Fañch Broudic
Photo : Ronan Hirrien, président de Stumdi, lors de l'inauguration des nouveaux locaux à Landerneau,
en compagnie de la chanteuse Clarisse Lavarant et des élus.
Deux questions à propos de ce documentaire
1 "Le breton en six mois" est-il un film en langue bretonne ?
Il faudrait plutôt le considérer comme un film bilingue, mais pas dans le sens classique de ce dernier terme. Concrètement, les stagiaires sont dans l’impossibilité de s’exprimer en breton à leur arrivée en stage, donc au début du film, puisqu’ils sont précisément venus pour l’apprendre : ils parlent alors le français. On ne les entendra échanger en breton que progressivement, au fur et à mesure de la progression de leur apprentissage. À la fin du film, ils ne parleront que breton, plus ou moins facilement.
Il va de soi que tout ce qui est énoncé en breton est sous-titré en français : c’est depuis 1997 que les programmes en breton, sur France 3, font l’objet d’un sous-titrage, de même que désormais les journaux "An taol-lagad" plus récemment
2. Que sont-ils devenus ?
Et question subsidiaire : continuent-ils à parler le breton ? Ronan Hirrien est resté en contact avec la plupart des "personnages" de son film. Marie est installée comme agricultrice bio à Saint-Goazec, dans le centre Finistère : elle ne produit du lait et du beurre bio ainsi que désormais de la viande en circuit court : elle continue de parler breton. Marie-Jo fréquente les "kafe brezoneg" de Lannilis et Daniel, déménageur de profession, a l’occasion d’échanger en breton au bagad de Landerneau. Matthieu est actuellement professeur associé de littérature à la Fairleigh Dickinson University, une université privée située à Madison dans le New Jersey aux États-Unis : il a appris de nombreuses autres langues depuis.
Quant à Ronan Hirrien lui-même, il a reçu le prix du meilleur film en 2006 pour son documentaire à l’occasion des Priziou à Saint-Malo à bord du ferry Bretagne. Il est désormais en poste au service des émissions en langue bretonne de France 3 Bretagne, à Rennes. Et vous savez quoi ? Il a été sollicité en 2009 pour devenir le président de l’association Stumdi (photo). Et il l’est toujours !