Quand les BTS s'interrogent sur mémoire et identité
Initiative originale que celle pour laquelle peuvent opter les étudiants en BTS du lycée Lesven-Jacquard de Brest, cette semaine : Jacques Keryell, qui leur enseigne la culture générale, leur propose depuis un an ou deux quatre demi-journées sous forme d'ateliers dont la thématique cette année tourne autour de mémoire et identité. Les filières BTS sont des filières professionnelles de qualité, au même titre que les écoles d’ingénieurs et de commerce, bien que n'en ayant pas le prestige.
Ces ateliers à dominante culturelle visent à développer l’esprit critique, favoriser la curiosité, voire pratiquer une certaine forme d’érudition dans une filière où la professionnalisation liée à l’utile, l’efficace, l’immédiat et le contemporain l’emporte. Cette semaine est en lien avec le thème inscrit en 2016/2017 et pour deux ans au programme de ces étudiants de BTS, à savoir la mémoire et l'oubli.
Huit intervenants traitent donc tour à tour de patrimoine breton en ateliers : architecture, peinture, photographie, costume, langue et chant, littérature, politique éditoriale avec, associées à chacun de ces thèmes, des problématiques chargées de mettre de la richesse et de la complexité là où d’habitude on simplifie.
Pourquoi le syndrome de Walt Disney n'a-t-il atteint la Bretagne que si tardivement ?
J'ai délibérément choisi cet intitulé intrigant et peut-être osé pour mon intervention d'hier après-midi. L'idée m'en est venue à la lecture dans Le Monde des Livres du 8 décembre 2016 d'un article de Samuel Blumenfled rendant compte de la parution aux éditions Taschen d'un beau livre sur "The Walt Disney Archives". Disney avait apparemment le souci de la conservation de ses créations, faisait enregistrer et retranscrire ses réunions de travail par ses secrétaires de manière à ce que "les spectateurs puissent comprendre un jour la fabrication minutieuse et frustrante d'un long-métrage". On est dans une démarche de construction d'une mémoire, qui demandera à être analysée par la suite.
Je me suis donc demandé ce qui se passait en Bretagne en matière d'audiovisuel et de création durant les années 1921-1966 qui ont été celles de la vie professionnelle de Walt Disney, et au-delà. J'ai commencé par fournir aux étudiants des repères sur le paysage linguistique et sur la pratique sociale du breton en Basse-Bretagne au XXe siècle. C'était d'autant plus nécessaire que seuls deux ou trois d'entre eux savent juste quelques mots de breton. Ils connaissent plus ou moins le nom d'Alan Stivell, mais ni celui de Denez Prigent ni celui de Nolwenn Korbell. Ils ont été attentifs et pris des notes, mais n'ont pas vraiment posé de questions.
Le très lent développement de l'audiovisuel en (Basse)-Bretagne
Puis, il a été question d'audiovisuel et de création. Dès les années 1930, la TSF (Téléphonie sans fil) fait son apparition dans la région : on compte 16 000 récepteurs en Finistère en 1936, et le chiffre ne fera qu'augmenter les années suivantes, surtout dans les secteurs où l'on dispose de l'électricité. L'écoute de la radio s'est d'abord développée en Basse-Bretagne, alors que les seules émissions que l'on pouvait y recevoir étaient toutes diffusées en français.
La diffusion d'un programme régional spécifique démarre avec l'implantation d'un studio à Rennes, le 1er juin 1927. Mais les émetteurs ne sont pas assez puissants pour qu'on puisse le capter en Basse-Bretagne : il en sera toujours ainsi lorsque des émissions en breton seront diffusées depuis Rennes sous l'Occupation. Pour ce qui est de la réception des programmes régionaux, la Basse-Bretagne reste "un désert radiophonique" jusqu'à la construction d'un émetteur-relais à Quimerc'h et sa mise en service à la Libération, et jusqu'à l'ouverture à Brest du premier studio radio de Basse-Bretagne le 16 décembre 1962.
Le schéma est identique à l'arrivée de la télévision régionale, à compter du lancement par le ministre de l'Information en personne, Alain Peyrefitte, du journal régional de Télé-Bretagne depuis les studios de Rennes en 1964. Il ne voulait pas qu'il y eût du breton à la télé : avec la complicité de Louis Le Cunff et avec le concours de Charles Le Gall, il y en a eu quand même. C'est en 1971 qu'intervient ensuite l'affectation à Brest d'une première équipe de reportage, avant l'aménagement d'un studio en 1982.
La mémoire audiovisuelle d'une région
Radios et télévisions diffusent leurs programmes à l'intention du public qui les suit ou non au moment de leur diffusion, et ce sont ces programmes qui constituent progressivement la mémoire audiovisuelle d'une région. Les archives du service public sont gérées à Rennes par l'INA-Atlantique.
Une Cinémathèque de Bretagne a par ailleurs été créée en 1986 à Ploërmel, avant qu'elle ne s'installe à Brest : elle a collecté depuis plus de 25 000 films amateurs en une trentaine d'années ! Ce qui contribue aussi à la mémoire filmée de la région. Et ceci me permet de revenir à l'époque de Walt Disney.
Car on peut y visionner, par exemple, le premier long-métrage dialogué en breton (et je l'ai d'ailleurs fait passer sur France 3) : il s'agit de "Chanson d'Armor", tourné par le réalisateur Jean Epstein en 1934 et produit par le journal l'Ouest-Éclair, le prédécesseur d'Ouest-France. J'ignore si c'est réellement le seul film qu'a produit le quotidien régional, et on n'est pas de toute évidence dans une configuration à la Walt Disney. Mais s'il n'en a pas produit d'autres, je suis tenté de me dire que c'est dommage : qui sait si, en plus de devenir le premier quotidien de France et tout un groupe de presse, il n'aurait pas pu devenir aussi un grand producteur de films ? Le seul problème, c'est qu'on ne refait pas l'histoire…