Identités en Bretagne
On dit volontiers de la Bretagne qu'elle est une région à identité forte. Ce qui laisse entendre qu'il y en aurait d'autres dont l'identité serait tout simplement banale ou blafarde. Indépendamment du fait que tous les territoires mettent désormais en avant les marqueurs qui les valorisent ou qui contribuent à leur identification, je me demande si ce concept d'identité forte, abondamment utilisé ici comme une évidence, voire comme une idée reçue, a ou non déjà fait l'objet d'une explicitation ou d'une analyse un peu fouillée. Qui sait s'il existe quelque publication à ce sujet ?
Je ne me souviens pas que cette expression "identité forte" a été réellement utilisée lors de la journée d'étude organisée sur le thème des "identités en Bretagne" (au pluriel) par le Conseil culturel de Bretagne, vendredi 9 novembre, au Tambour de Rennes 2. Mais divers équivalents l'ont été. Michel Nicolas "revisitait" ainsi ce jour-là le concept en faisant référence à "une identité hypertonique", quand Jean Ollivro concluait son intervention en exposant que l'identité bretonne "n'est pas un questionnement : elle est un élément de compétitivité".
Le succès du mot "identité"
Dans son exposé introductif, Ronan Le Coadic reconnaît que traiter de la problématique de l'identité ou des identités, c'est s'avancer en terrain miné. Le terme a connu un succès croissant depuis les années 1970, mais il est, dit-il, trop employé, jusqu'à la nausée : dans la presse, il est associé à des croyances, à l'étranger, aux provinciaux (dont les Bretons), au point de susciter la crainte du communautarisme, un autre mot polémique fréquemment employé à propos "des autres".
Sa conception de l'identité, explique l'universitaire rennais, ne se fonde pas seulement sur des représentations, mais aussi sur des éléments concrets et objectifs (la langue, l'histoire…) et s'inscrit dans un contexte de relation à l'autre. Il ne considère pas que l'identité peut être "multiple" : il la voit, au contraire, comme étant "unique, mais à plusieurs facettes".
La question linguistique
Il avait été demandé à Hervé Le Bihan d'aborder la question de la langue. Il l'a fait au cours d'un exposé parfois impressionniste, tant du point de vue de la chronologie que de la sociolinguistique, en mettant en rapport revendication, demande sociale et normalisation linguistique. La demande sociale est, selon lui, le prolongement des actions revendicatives. Il fut un temps où la réponse qui lui était fournie était biaisée : aujourd'hui, elle serait plus claire. Mais, affirme-t-il, visibilité ne fait pas officialité.
D'après Hervé Le Bihan, la transmission familiale est "le point le plus faible actuellement" : ce constat est généralement partagé. Mais il estime que ce n'est pas dans les années 1950 que le breton a commencé à perdre du terrain, mais dès 1920. Ce qui n'est pas tout à fait exact. En réalité, cette évolution s'est esquissée encore plus tôt : en 1902, le tiers des enfants suit déjà le catéchisme français dans le Finistère, surtout en ville, mais aussi pour quelques-uns en secteur rural, où le breton est alors pourtant d'usage général. D'autre part, c'est bien au tournant de la dernière guerre que les familles font massivement le choix d'élever désormais leurs enfants en français.
Le directeur du département de celtique de l'Université de Rennes 2 considère la création de la première école Diwan en 1977 comme ayant été "essentielle" : "c'est ce qui permet d'avancer aujourd'hui." Il propose un programme de trois revendications que doit maintenant porter la demande sociale :
- ouverture d'un canal de télévision hertzienne en breton, à l'exemple de Via Stella (qui n'émet cependant pas qu'en corse)
- création d'une université en langue bretonne, à l'exemple d'une expérience qui se déroule en ce moment à l'île de Skye, en Écosse
- obtention d'un statut de langue officielle, "pour aller sur le même terrain que le français", et c'est, ajoute-t-il, le verrou le plus important.
Les autres interventions
Laurence Le Dû-Blayo s'est exprimée sur l'identité des paysages et les a décrits comme une construction basée sur de multiples critères, tant naturels que culturels et économiques. Ils sont parfois perçus comme "une icône", comme un patrimoine à préserver. Une plateforme régionale des observatoires photographiques du paysage est en gestation, sous l'appellation de POPP-Breizh.
Christian Bougeard a présenté une communication dense et étayée sur l'approche historique des identités régionales, en comparant la construction de l'identité bretonne à celles qui ont émergé ailleurs en France et en Europe de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle.
Alain Fenet est intervenu sur le rôle des institutions internationales et européennes pour la protection des identités particulières.
Antonio Bultrini (professeur de droit à l'université de Florence) a défini les enjeux que soulève la charte européenne des langues régionales et minoritaires pour les droits de l'homme.
En début de matinée, Jean-Michel Le Boulanger (vice-Président à la région Bretagne) s'était demandé si le sentiment d'appartenance à un territoire ne peut pas être une réponse à nos préoccupations : "nous avons besoin de territoire et nous avons besoin de Bretagne."