60 ans après sa création, Emgleo Breiz en dépôt de bilan
La toute première réunion en vue de la création de la "Fondation culturelle bretonne" a eu lieu à l'hôtel de ville de Quimper le 17 mai 1953. Y participent des représentants d'Ar Falz, de Kendalc'h, du Bleuñ-Brug, de la JEB (Jeunesse étudiante bretonne), les enseignants de la section de celtique de Rennes, des écrivains comme P.-J. Hélias et diverses personnalités. Cette création intervient dans le contexte du vote de la loi Deixonne en 1951, qui autorisait pour la première fois l'enseignement (très) facultatif des langues locales à l'école.
La Fondation culturelle bretonne se transforme rapidement en association sous l'appellation d'Emgleo Breiz et adopte ses statuts en 1955. La déclaration paraît au Journal officiel du 16 janvier 1956. C'est cette même année 1955 qu'est également adoptée l'orthographe universitaire de la langue bretonne.
Une intense action de lobbying
Emgleo Breiz se signale tout au long des années 1960-1980 par ses actions résolues de lobbying pour le développement de l'enseignement du breton :
- organisation d'une journée de la langue bretonne,
- interventions auprès des parlementaires et des pouvoirs publics,
- rédaction de propositions de loi.
Emgleo Breiz intègre le CELIB dont il devient la commission culturelle, et prend part à la rédaction du volet linguistique et culturel du projet de loi-programme pour la Bretagne. En 1967, il lance la plus importante pétition jamais signée en faveur de l'enseignement du breton, en collectant un total de 150 000 signatures. Au début des années 1980, c'est à son instigation que la très grande majorité des communes de Basse-Bretagne et plusieurs de Haute-Bretagne adopte une motion pour réclamer un statut en faveur de la langue bretonne.
Parallèlement, et dès sa création, Emgleo Breiz se lance dans l'édition d'ouvrages pédagogiques et littéraires en breton et contribue à la publication de la revue Brud à compter du printemps 1957. Cette dernière devient Brud Nevez en 1977.
Les anciens présidents
Parmi les anciens présidents d'Emgleo Breiz, on peut signaler :
- le Dr Tricoire, de Châteaubriant, auteur de méthodes d'apprentissage du breton toujours utilisées
- Armand Keravel : il a su assurer la relance du mouvement Ar Falz dès 1945 sur de nouvelles bases, en rupture avec période de l'Occupation. Pendant une quarantaine d'années, il a été la véritable cheville ouvrière d'Emgleo Breiz.
- André Lemercier, 92 ans cette année : allant jusqu'à mettre en place un véritable atelier d'imprimerie, il a fait d'Emgleo Breiz une véritable maison d'édition.
Emgleo Breiz ce ne sont pas que des individualités : constamment, ça a été des équipes de bénévoles et tout un mouvement fortement investi pour la promotion de la langue et de la culture bretonnes.
Un éditeur de langue bretonne
De ses débuts en 1955 à 2002, Emgleo Breiz avait déjà publié quelque 500 ouvrages en langue bretonne ou ayant trait au breton. Il convient d'y ajouter 51 numéros de la revue Brud et 230 numéros de Brud Nevez.
J'en assure la présidence depuis 2002 : chaque année, ce sont de 15 à 25 ouvrages que nous avons publiés, ce qui représente 200 titres environ pour la période 2002-2015. Il s'agit
- de livres en langue bretonne, bien évidemment
- d'ouvrages bilingues (dictionnaires, grammaires, littérature…). Nous sommes très fiers que le dernier ouvrage que nous ayons édité soit la Poésie compète de Naig Rozmor, "E donder va huñvre / Au cœur de mon rêve", avec pour la première fois la traduction française en regard du texte breton par Maguy Kérisit, illutsrations originales de Myriam Coadou, préfce de Bob Simon et postafe ce Gérard Le Gouic.
- ainsi que, dans une indispensable perspective de diversification, d'un certain nombre d'ouvrages en français.
Ce sont donc au total quelque 700 ouvrages qui ont été édités par Emgleo Breiz en une soixantaine d'années, de 1955 à 2015.
- Emgleo Breiz a par ailleurs été le premier éditeur de langue bretonne à proposer des ouvrages en version numérique.
L'éditeur historique de Pierre-Jakez Hélias
Je dois souligner qu'Emgleo Breiz a pu compter sur la compétence et l'implication de ses trois collaboratrices : les ouvrages que nous avons édités au cours de la dernière période ont toujours été remarqués, certes pour leur contenu, mais aussi pour la qualité de leur présentation et de leur maquette.
Les collectivités territoriales ont contribué au fonctionnement d'Emgleo Breiz et nous ont attribué des aides à l'édition. Il s'agit notamment du Conseil régional de Bretagne, du Conseil départemental du Finistère et de la ville de Brest. Sans leur concours, l'édition en langue bretonne serait encore moins viable. Je leur en suis reconnaissant.
Je remercie tous les auteurs qui nous ont fait confiance sur l'ensemble de la période. Il ne saurait être question ici de les citer tous. Je me contente de mentionner le plus célèbre d'entre eux, à savoir l'écrivain Pierre-Jakez Hélias : Emgleo Breiz est l'éditeur historique de son œuvre en langue bretonne.
Je remercie de même tous les bénévoles pour leur motivation : ils ont fortement contribué au fonctionnement de l'association.
Pour sa part, la revue Brud Nevez, qui s'est constituée en association il y a cinq ans et dont Marie Kermareg est la présidente et la directrice, en est à son 312e numéro. Depuis une dizaine d'années, la revue a su proposer des thématiques originales et bénéficier d'une présentation dynamique et de maquettes régulièrement renouvelées, qui en ont fait un des périodiques en breton les plus attrayants.
- À noter dans ce dernier numéro, une interview exceptionnelle du climatologue et prix Nobel de la paix Jean Jouzel.
Un pôle majeur
Pendant 60 ans, Emgleo Breiz a été un des principaux acteurs de la promotion du breton et un pôle majeur et innovant de l'édition en langue bretonne. Souvent perçu comme une école littéraire, il s'est constamment référé à la langue populaire. Considéré à sa création comme "régionaliste", il a su prendre en compte les évolutions de la société bretonne, en s'appuyant sur des valeurs d'humanisme et d'ouverture et en accompagnant – selon la formule de Francis Favereau - "la transition douloureuse entre tradition et modernité". Sur toute la période il a apporté une contribution originale et inestimable au rayonnement de l'expression littéraire et culturelle de langue bretonne.
Il a contribué à la vitalité et à la promotion de la langue bretonne dans un contexte difficile, marqué notamment par la diminution drastique du nombre des bretonnants, mais aussi par des avancées réelles dans les domaines de l'enseignement et de la politique linguistique, même s'il reste encore beaucoup à faire.
En liquidation juiciaire
Par décision du tribunal de commerce de Brest, en date du 3 novembre, Emgleo Breiz a été placé en liquidation judiciaire. Cette décision va avoir deux conséquences principales, aussi douloureuses l'une que l'autre :
- l'association Emgleo Breiz arrête ses activités
- les salariées vont perdre leur emploi.
Par contre, la revue Brud Nevez continue, de même que les cours de breton qu'assure l'association Ar Skol vrezoneg sur Brest.
Pour en savoir plus :
- visionner le journal de jeudi soir sur France 3 Iroise
- et le journal An taol-lagad en langue bretonne de vendredi midi, également sur France 3 Iroise
- lire l'article de Yannick Guérin, en page Bretagne d'Ouest-France, jeudi 5 novembre.