Municipales et langue bretonne : quels enjeux ?
Il y a deux manières aujourd'hui d'aborder la question du breton à l'occasion des élections :
- soit on organise des débats en breton, entre des candidats capables de le parler, pour discuter équipements, logement social, économie, impôts locaux ou toutes sortes d'autres sujets, tout comme on le fait en français
- soit on en organise au sujet de la langue bretonne, pour voir quels engagements sont prêts à prendre les éventuels futurs élus en matière de politique linguistique.
C'est cette dernière option qu'avait retenue Sked, la fédération d'associations du pays de Brest "en rapport avec la culture bretonne et celtique". Le débat, visant à "remettre le breton au cœur de la cité", était organisé jeudi 6 mars dans la salle des syndicats, à défaut d'autre lieu plus adapté sur la ville de Brest – a-t-on dit. Il était animé par Mikael Baudu, qui a créé sa propre société de production depuis qu'il a quitté TV Breizh.
Le sujet doit être assez concernant, puisqu'une bonne centaine de personnes se sont déplacées, alors qu'on est en période de vacances. Il l'est sans doute moins pour les candidats, puisque seules trois sur cinq des listes en présence à Brest étaient représentées. Des candidats d'autres communes de Brest métropole océane (Gouesnou, Plougastel-Daoulas…) sont également intervenus.
La discussion a tourné autour des 27 propositions inscrites dans un "Livre blanc et noir du breton au pays de Brest" édité par Sked, dont les responsables se positionnaient clairement en groupe de pression : un peu comme si ces 27 propositions étaient à prendre ou à laisser. Le débat était parfois pointilleux et même technique, mais manquait quelque peu de tranchant.
Tout le monde dit Ya !, mais…
La proposition n° 1 de Sked, et apparemment la plus urgente, est que la ville de Brest, en signant la charte "Ya d'ar brezhoneg" de l'Office public de la langue bretonne, s'engage sur une politique ambitieuse de manière à en atteindre le niveau 3 d'ici 2020.
Yann Guével, adjoint dans la municipalité sortante et candidat sur la liste de François Cuillandre, s'est d'emblée adressé aux organisateurs en leur disant : "vous êtes optimistes !" Ce n'est en effet qu'en avril prochain qu'est prévue la signature de cette charte au niveau 1 par la ville de Brest. Il assure cependant qu'on est d'ores et déjà en chemin vers le niveau 2.
Bernadette Malgorn, seule tête de liste présente à la tribune, fait remarquer en forme de clin d'œil qu'elle n'est pas au pouvoir à Brest "pour l'instant". Elle estime que Brest n'a pas en matière de langue bretonne de structures au niveau d'une ville de 140 000 habitants et considère elle aussi que le niveau 2 de cette charte est atteignable sans problème.
Christine Panaget-Le Roy, numéro 2 sur la liste "Colère de Brest ! L'humain d'abord" conduite par Quentin Marchand, est favorable à ce que la langue et la culture bretonnes aient toute leur place dans la ville, mais elle souhaiterait que la promotion du breton soit assurée davantage en lien avec les habitants et les associations. Elle-même et ses colistiers font, dit-elle, beaucoup de porte à porte depuis le début de la campagne : ils ne sont jamais interpellés sur la question de la langue bretonne.
Crèches, classes, écoles, collèges…
Il a ensuite été beaucoup question d'enseignement bilingue, d'ouvertures de crèches et de nouvelles classes. La problématique est désormais, selon le nouveau slogan à la mode, d'assurer la continuité d'acquisition du breton "du biberon au baccalauréat." Des parents font observer que, s'il y a bien une crèche en langue bretonne à Bellevue, il n'y a ni maternelle ni primaire bilingues dans le quartier. D'autres, de Gouesnou, pointent le manque de car pour rejoindre le collège public bilingue de l'Iroise. Diwan aussi fait entendre ses besoins. Les Plougastels font valoir qu'avec 25 classes bilingues, ils scolarisent en tout 400 élèves entre public et privé, soit 25 % des élèves du primaire de la commune.
Yann Guével, qui connaît ses dossiers, insiste sur la nécessité d'une bonne cohabitation entre la filière bilingue et celle qui ne l'est pas, comme cela se passe à l'école Jacquard de Brest. Il se prononce aussi pour une cohérence géographique de l'offre en bilingue. Bernadette Malgorn promet de stimuler l'envie de breton, sans être "intrusive", et la conditionne à une complémentarité des trois réseaux (public, privé, associatif). Christine Panaget-Le Roy reconnaît que des crèches en breton et les classes bilingues sont une chance pour les enfants, mais demande qu'on n'oublie pas ceux dont les parents parlent l'arabe ou le portugais.
Quelle suite ?
Bien d'autres points ont été juste évoqués : la transmission de la langue avec le concours des locuteurs natifs, l'organisation d'activités en langue bretonne en dehors de la classe pour les enfants, la difficulté de recruter des enseignants bilingues, l'ouverture d'une maison de la langue et de la culture bretonne à Brest avec pignon sur rue… On n'a pas pris le temps de parler de la proposition n° 23 de Sked, demandant aux candidats de "s'engager à remplacer du personnel partant à la retraite par un agent bilingue." Voilà pourtant un sujet sur lequel il aurait été intéressant d'entendre leur point de vue.
Bref, il n'était pas si facile d'y voir clair dans ce débat qui a traîné en longueur. Comme si on recherchait l'assentiment des candidats sur un sujet censé faire consensus. Diverses réflexions énoncées par l'un ou l'autre ont pourtant laissé supposer qu'il y a bien des désaccords entre la droite et la gauche, entre la gauche et la gauche radicale, sur la politique linguistique à mener dans une ville et une métropole comme Brest. Les points de vue divergents se sont quand même exprimés, mais on a tout fait pour éviter un débat contradictoire et on n'a donc eu le droit qu'à une juxtaposition de déclarations. On n'a surtout pas abordé les sujets clivants. Du coup, on ne sait pas si les propos qu'ont tenus les candidats valent engagement ou pas. On ne sait même pas s'il y a ou non des bretonnants sur chaque liste…
Pour en savoir plus
On n'évite pas dans ce genre de "débat" les approximations historiques ou sociolinguistiques, du genre "Brest redevient une ville bretonnante, ce n'est pas comme il y a quarante ans…" Je me permets donc de signaler que j'ai présenté une communication lors du congrès de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne à Brest en 2011 sur le thème : "Brest serait-elle aussi une ville bretonnante ?" Cette communication a été publiée dans les Mémoires de la société, tome XC, 2012, p. 173-189.
Sur les questions relatives à l'enseignement du breton et en breton, je n'ai pas l'impression que le rapport que j'ai rédigé sur ce sujet en 2010 est périmé. Il n'est interdit à personne de s'inspirer des 60 propositions que j'y faisais. L'ouvrage est toujours disponible chez l'éditeur.