L'enseignement du breton : état des lieux
La presse a – le plus souvent – bien rendu compte du rapport que j'ai présenté au Recteur de l'Académie de Rennes sur l'enseignement du et en breton. On en parle un peu partout, et c'est normal. Mais j'ai l'impression que le débat tend à se focaliser maintenant sur une seule question, à savoir l'orthographe du breton, ce qui est quelque peu réducteur : j'y reviendrai donc moi-même prochainement, ici ou ailleurs.
Il ne faudrait quand même pas oublier que ce rapport présente tout d'abord un état des lieux détaillé de l'enseignement du breton et toute une série de mesures concrètes à adopter. On ne s'intéresse à chaque rentrée qu'à l'augmentation des effectifs en classes bilingues : c'est une question essentielle. Mais l'enseignement du breton est dans une situation beaucoup plus précaire qu'on ne le croit et pas forcément pour les raisons qu'on s'imagine. Je voudrais donc fournir ici quelques indications sur cet état des lieux, sachant qu'il vaudrait mieux prendre connaissance du rapport lui-même. Voici donc quelques repères.
Le déroulement de l’enquête
Le déroulement de l'enquête
Cette enquête a été réalisée à la demande du Recteur de l’Académie de Rennes, en lien avec le Conseil régional de Bretagne.
Elle s’est déroulée sur l’année 2010, selon les modalités suivantes :
- rencontres et entretiens avec 112 personnes concernées par cet enseignement : dans les Académies de Rennes et de Nantes, dans les trois réseaux d’enseignement (public, privé, associatif) et dans les trois degrés (primaire, secondaire et supérieur) ; des enseignants et non-enseignants, des étudiants, des responsables ou membres de syndicats, d‘associations de parents d’élèves, d’associations culturelles et autres ; des responsables de structures impliquées dans l’enseignement du breton, des élus, des experts…
- enquête par questionnaire auprès de 100 élèves du lycée Diwan de Carhaix et auprès de 307 élèves de lycées "monolingues", à Carhaix et à Brest, ainsi qu'auprès d'une vingtaine de stagiaires en formation longue à Landerneau
- lancement d’un blog sur l'enseignement du et en breton
Les entretiens se sont le plus souvent déroulés en breton.
Les données de base
Chaque rentrée est l’occasion de faire le bilan de l’enseignement bilingue. En septembre 2010, les trois filières bilingues scolarisaient ainsi un total de 13 560 élèves, répartis entre les Académies de Rennes, de Nantes et de Paris. Tous réseaux confondus, l’augmentation est de 3,83 % par rapport à la rentrée 2009.
On en parle moins, mais il y a autant d’élèves qui bénéficient d'une initiation dans le primaire (8 200 élèves dans le Finistère) ou qui choisissent l'option de breton dans le secondaire (5 135 élèves dans les Académie de Rennes et de Nantes).
L’enseignement du et en breton mobilise aujourd'hui des moyens humains, matériels et intellectuels considérables : il représente ainsi un total de 713,5 postes d’enseignants ETP sur l'Académie de Rennes.
En 2009-2010, l'Éducation nationale consacrait un budget de 23 millions d’euros à l'enseignement du et en breton. Pour la région Bretagne c’est 2,5 millions d'euros en 2010, et pour un département comme le Finistère c’est 1,7 million d'euros. Diwan s'autofinance à hauteur de la moitié de son budget propre, qui s'élève au total à 3,5 millions d'euros.
Les filières bilingues ne représentent certes que 2,20 % des élèves de l'Académie de Rennes, et 3,03 % si on y ajoute ceux de l'option de breton. Mais l’enseignement du breton et en breton n'est plus un secteur marginal.
Le contexte sociolinguistique
Langue scolaire vs langue de la société : le breton n'est pas le plus souvent la langue première des enfants eux-mêmes. Mais il n'est pas non plus celle de leurs parents, ni même parfois celle de leurs grands-parents. C'est donc dans le cadre scolaire que la plupart des élèves font l'acquisition du breton.
Langue de la classe vs langue de l'école : dans les filières bilingues, le breton est la langue de l'enseignement, mais pas toujours celle qu'utilisent les élèves dans leur vie quotidienne.
Le breton optionnel : il a perdu le quart de ses effectifs en 9 ans. En option, les élèves ont parfois l'impression à propos du breton que personne ne le parle et que c'est une langue de vieux.
Des problèmes
Les écoles : il n'est pas toujours facile d'ouvrir de nouvelles classes bilingues. Et il arrive qu'on en ferme.
Les professeurs : les enseignants bilingues sont enthousiastes, en général. Une institutrice bilingue s’exprime en ces termes : "Ce qui fait plaisir, c'est d'utiliser la langue que nous avons entendue et apprise quand nous étions jeunes, d'entendre les jeunes d'aujourd'hui la parler."
Mais il y a aussi les enseignants qui abandonnent : il y a ceux qui migrent vers le "monolingue" et ceux qui quittent l'enseignement.
On manque d'enseignants de breton : sur 38 postes de PE (Professeur des écoles) à pourvoir en 2010, 11 ne l'ont pas été. Entre 2006 et 2010, ce sont 50 postes qui ont été perdus, soit une moyenne de 10 postes par an.
Les élèves : sur l'ensemble des trois filières, 67 % des élèves de CM2 bilingues poursuivent en bilingue au collège au moment de l'entrée en 6e : cela veut dire qu'en moyenne un tiers des élèves ne continue pas. Mais dans le public comme dans le privé, c'est la moitié des élèves de CM2 bilingues qui en réalité ne continue pas. Par contre, Diwan recrute 109 % de son potentiel initial.
Le breton optionnel attire un nombre conséquent d'élèves en 6e : 2 190 à la rentrée 2009. Mais les effectifs fondent ensuite d'année en année : un tiers des élèves abandonnent dès la 5e.
Dans chacun des trois réseaux, la filière bilingue comme le breton optionnel perdent à nouveau des élèves lors du passage du collège au lycée.
Dans le secondaire, le taux d'occupation des classes n'est que de 25 % dans le bilingue public et privé. Il s'élève à 82 % à Diwan. En breton optionnel, le nombre de places disponibles est évalué à 5 000.
La prononciation du breton : des recherches récentes mettent en évidence le fait que les élèves des classes bilingues sont en général réfractaires à l'acquisition du système breton des liaisons et que c'est le système français des enchaînements qui prédomine à 60 % lorsqu'ils échangent en breton.
Ce qu'en disent les élèves eux-mêmes
Les lycéens "monolingues" : le pourcentage de ceux qui estiment nécessaire de savoir le breton est faible : 17 % à Brest, mais 34 % à Carhaix. Parmi les lycéens brestois, 6 % trouvent que le breton c'est sympa et fun : à Carhaix, ils sont 12 %. Ceux qui classent le breton parmi les langues qu'il faut apprendre sont 9 % à Carhaix et 2 % seulement à Brest. Les perceptions négatives l'emportent.
Les lycéens Diwan : ils lisent le breton et utilisent internet en breton. Mais ils sont ouverts à tout ce qui se dit et s'écrit en français : ils ne sont pas crispés sur le breton. Parmi eux, 2 % ont déjà fait le choix d'enseigner le breton ou en breton et 47 % pourraient être intéressés à le faire. Mais la moitié d'entre eux ne le sont pas du tout.
La vraie question est donc de savoir quelle dynamique instaurer en faveur de l'enseignement du et en breton.
Pour en savoir plus :
Fañch Broudic. L'enseignement du en breton. Rapport à Monsieur le Recteur de l'Académie de Rennes. Brest : Emgleo Breiz, 2011. 282 p.
Disponible sur le site de l'éditeur : www.emgleobreiz.com. En librairie le 5 février.