La Poste et les noms de lieux : une nouvelle affaire ?
Non, je ne vais pas parler ici de l'humour si spécial du journal Le Télégramme, le dimanche particulièrement. Un humour décalé en tout cas - et je l'apprécie d'autant plus à sa juste valeur - puisqu'il fait référence, là en fin décembre, à une actualité qui date quand même de… début mai. C'est pas grave. Il n'est jamais trop tard pour sourire.
Non, je voudrais plutôt parler de l'info diffusée juste avant Noël par le quotidien de la pointe de Bretagne selon lequel les lieux-dits du Léon seraient en sursis. Hervé Gestin, le nouveau directeur "courrier" à Saint-Pol-de-Léon, souhaite en effet que les 18 communes qui sont de son ressort puissent bénéficier dès que possible des nouvelles performances de lecture optique de La Poste. Le but est de livrer plus efficacement le courrier aux particuliers. Pour cela, chacun d'entre eux devrait disposer désormais d'une adresse postale constituée d'un numéro et d'un nom de voie. Selon les propos de M. Gestin, tels qu'ils sont rapportés dans Le Télégramme du 23 décembre, les simples dénominations de lieux-dits devraient donc disparaître prochainement.
Pas mal de reuz
L'affaire n'a pas manqué de provoquer du reuz : je traduis "du buzz", au cas où M. Gestin ne sache pas le breton et qu'il ne maîtrise pas les bretonnismes. Plusieurs dizaines de commentaires ont été postés en quelques jours sur le site internet du Télégramme.
Il y en a qui ironisent sur ceux qui veulent rester au Moyen-Âge : "je ne suis pas étonné que les Bretons passent pour des "ploucs" et des arriérés aux yeux d'une grande partie des habitants de notre pays, quand je constate ici à quel point certains sont réfractaires à toute forme d'évolution, de changement, même quand il s'agit de leur rendre la vie plus simple et plus confortable !"
Et il y a tous ceux qui proclament haut et fort qu'il "n'est pas acceptable de franciser les lieux-dits." La Poste "est complètement rétrograde", dit l'un. "Du goudron et des plumes" pour son directeur, dit l'autre sans la moindre retenue (puisque le Léon, ce serait aussi… le Far-West). D'autres parlent de "négation de la culture léonarde" ou affirment que "nous ne laisserons pas faire cette uniformisation linguistique".
Il y a enfin ceux qui relativisent : "mettre un numéro supplémentaire n'est pas grave. Rebaptiser une route, un chemin, par contre, est plus grave." Et ceux qui sont partisans des grands travaux : "je propose de creuser un canal pour faire de la Bretagne une île…" C'est symbolique ou c'est pour de vrai ?
Dès la veille de Noël, la direction de La Poste a tenu à faire une mise au point par l'intermédiaire de son service de presse : "La Poste n'a pas du tout, mais alors pas du tout, l'intention de supprimer les noms de lieux-dits. Le but est de proposer une numérotation complémentaire afin d'améliorer la desserte des habitants en réduisant le nombre de voies "anonymes"".
Le français plutôt que le breton ?
Cette histoire rappelle en tout cas celle qu'avaient déjà suscitée en janvier 2009 les propos d'un certain Yves Amiard, à l'époque directeur du courrier pour l'Ouest-Bretagne. D'après lui, les nouvelles machines de tri de La Poste n'aimaient ni les noms de hameaux ni l'orthographe des noms de lieux exprimés en breton, et surtout pas les apostrophes qui "perturbent la lecture optique". Et c'est pourquoi M. Amiard "recommand[ait] de choisir le français plutôt que le breton pour les dénominations".
Ces déclarations avaient provoqué un tollé en Bretagne. Le PDG de La Poste, Jean-Paul Bailly, avait tenu à expliquer lui-même que les nouvelles machines ultraperformantes "lisent encore mieux et plus vite les adresses, qu'elles soient en français ou en breton" et que La Poste est favorable, dans le respect des valeurs de la République, à "la diversité linguistique et culturelle". Quelques mois plus tard, La Poste me confirmait avoir "mis au point une nouvelle version informatique du système de reconnaissance des adresses [qui] permet d’interpréter automatiquement des adresses comportant des libellés de communes ou de voies rédigés en langue bretonne." (Voir message du 6 juin 2009).
Le problème ne devrait donc pas être celui-là. La question est seulement de savoir ce que La Poste va exactement demander aux 18 communes situées autour de Saint-Pol-de-Léon en matière d'adresse postale, et comment vont réagir les élus de ces 18 communes.
Pour en savoir plus :
Page internet du Télégramme : http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/bretagne/la-poste-les-lieux-dits-du-leon-en-sursis-reagissez-23-12-2010-1158552.php
Sur ce site : message du 6 juin 2009
Une synthèse :
Fañch Broudic. La Poste et la langue bretonne : retour sur un malentendu. Article paru dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, tome CXXXVII, 2009, p. 247-252.