Les origines de la langue bretonne
La question des origines a fait l'objet d'un vif débat entre chercheurs, il y a une trentaine d'années. Quand
Léon Fleuriot publiait "Les origines de la Bretagne" en 1980 (aux édtions Payot), François Falc'hun faisait paraître l'année suivante une troisième édition revue et augmentée de sa thèse, sous le titre "Perspectives nouvelles sur l'histoire de la langue bretonne" (Union Générale d'Editions). Le débat était certes scientifique, mais il n'était pas sans implication sur le plan idéologique. Il revient à l'ordre du jour.
Le Centre de Recherche Bretonne et Celtique m'informe en effet qu'il organise les 29 et 30 avril 2010 un colloque international à l’université Rennes 2 sous la responsabilité scientifique d'Hervé Le Bihan sur le thème "La langue bretonne des origines / Les origines de la langue bretonne". Voici le texte de présentation du colloque, tel qu'il est diffusé par les organisateurs.
"La langue bretonne des origines / Les origines de la langue bretonne"
C'est à partir des années 1850 que les historiens et les linguistes (Arthur de la Borderie, Joseph Loth, Aurélien de Courson) ont émis l’idée que la langue bretonne est une langue qui avait été importée des îles britanniques au cours du Moyen-Age.
Cette opinion allait à l’encontre de la doxa d’alors qui voulait que le breton ne soit qu’une forme dérivée du gaulois, et n’ayant que peu de choses à voir avec les langues dites brittoniques comme le gallois (par distinction d’avec les langues gaéliques). Cette idée d'une origine purement gauloise de la langue bretonne, portée par les celtomanes du XVIIIème siècle avait un fondement plus idéologique que scientifique.
Les travaux de Joseph Loth, qui fut, à la suite de d’Arbois de Jubainville, l’un des fondateurs des études celtiques en France, ont bien mis en évidence les rapports de la langue bretonne avec le gallois et le cornique : les conclusions de Joseph Loth redéfinissaient parfaitement le "concept" de langues brittoniques (phonologie, vocabulaire, syntaxe, emprunts au latin, etc.).
Les travaux d'Emile Ernault ont ensuite confirmé ces hypothèses au travers de ses nombreuses études sur le moyen-breton (période de 1100 à 1650 environ).
Le dossier du vieux-breton (soit l’état de la langue avant 1100) a été repris ensuite par Léon Fleuriot à partir des années 1960 : découvertes de nouvelles gloses, de nouveaux écrits qui remettent bien en perspective les origines brittoniques de la langue bretonne, où ressortent de nombreux rapports culturels avec le monde irlandais (monde de culture latine, mais aussi de culture gaélique, à travers tout le Moyen-Âge). La progression des travaux de Léon Fleuriot et les découvertes qui ont suivi l'ont amené à revoir les positions tranchées de Joseph Loth sur l'origine exclusivement insulaire de la langue bretonne. Léon Fleuriot a ainsi exposé le problème : la langue bretonne est bel et bien une langue brittonique – donc insulaire d'origine – qui appartient au groupe gallo-brittonique (où l'on trouve également toutes les autres langues brittoniques et le gaulois) mais qui a assimilé certains éléments de gaulois qui s’étaient probablement maintenus en dépit de la romanisation de l’Armorique.
Cette position a été contrée par les théories de F. Falc'hun sur un argumentaire plus idéologique que scientifique : pour lui le breton est le descendant direct du gaulois. Mais F. Falc’hun s'était contenté de comparer le breton dans son état moderne avec ce que l'on connaît du gaulois; il y avait là un problème méthodologique : on ne peut comparer des langues sur des états et des périodes différentes, on ne peut passer outre le hiatus chronologique. Il est assez intéressant de voir que les théories de F. Falc'hun sont remises au goût du jour, de façon explicite ou implicite (comme lorsqu'on l'on invoque les origines gauloises de la langue bretonne).
La résurgence des théories avançant l’origine purement gauloise de la langue bretonne d’un côté, et de l’autre l’absence de visibilité des travaux actuels sur le territoire français rendent impérieuse la nécessité d’une manifestation telle que celle-ci.
Dans le cadre de ce colloque international, les interventions porteront sur plusieurs points fondamentaux.
Il s’agira tout d’abord de faire l'état des lieux des travaux sur le sujet : langue bretonne / origines / langues brittoniques / groupe gallo-brittonique. Depuis la disparition de Léon Fleuriot, en 1987, seul Pierre-Yves Lambert (EPHE / CNRS, Paris) a pu, en France, assurer une bonne partie de la recherche sur ce sujet. Les études spécialisées ont donc été menées par des chercheurs étrangers dont les publications ne sont pas toujours faciles d'accès. Ce colloque a donc fait appel, de façon logique, à un certain nombre de représentants de cette recherche.
Les travaux de ce colloque devront aussi revenir sur la notion de groupe gallo-brittonique.
Les participants discuteront des rapports entre gaulois et proto-brittonique, mais aussi de la filiation des langues néobrittoniques (breton, gallois, cornique). Au-delà de ce débat fondamental, sera également abordé le problème des langues "avec Q" et des langues "avec P", où la chronologie (voire l'innovation) entre ces langues n'est plus établie de façon aussi certaine qu'auparavant. Les dernières découvertes d'inscriptions celtibères (voir les travaux d'Antonio Tovar, notamment) montrent bien la nécessité d'une relecture de ces éléments.
Une partie de ce colloque sera consacrée au moyen-breton et au moyen-gallois. Même si les périodes varient sensiblement / ne se recouvrent pas (loin s’en faut), ces états de langues sont précieux, à la fois en étude interne et en étude comparative. Ils permettent en effet de comprendre les évolutions phonologiques respectives du moyen breton et du moyen gallois, en convergence et en divergences : nous pensons notamment aux phonèmes notés "th" et "dd" en moyen-gallois et qui ont une existence attestée en moyen-breton – comme le montre le système de versification à rimes internes).
Cet éclairage particulier sur le moyen-breton / moyen-gallois devra mettre en évidence les points d'articulation de deux langues qui ont été, jusqu'au douzième siècle, les dialectes principaux de ce que l'on connaît sous le nom de lingua britannica.
Précisons ici que la période du moyen-breton intégrée à ce colloque fait l'objet d'un projet de corpus, à la fois informatisé et en version papier – ouvrages. Ce colloque sera aussi l'occasion de faire le point sur ce projet qui implique des chercheurs de plusieurs universités : Rennes 2, Copenhague, Marburg et Paris.
Le programme complet du colloque : ProgrammeColloque_Avril2010
Inscriptions : 20 euro à adresser à : Université Rennes 2, Sandrine Brenugat / Karine Tireau, Cellule Recherche UFR Langues, Plce du Recteur le Moal, CS 24307, 35043 RENNES Cedex
Renseignements : sandrine.brenugat@uhb.fr / karine.tireau@uhb.fr
Site internet : http://www.univ-rennes2.fr/crbc/actualites/colloque-langue-bretonne-origines-origines-langue-bretonne