Des trésors de breton écrit
Le journaliste Bernez Rouz a effectué (presque) toute sa carrière professionnelle dans le service public de l’audiovisuel, à la radio, puis à la télévision, et (presque) tout le temps au service des émissions en langue bretonne, mais pas que. Depuis, il s’investit dans ce qu’il définit lui-même comme "les différentes composantes de l’arc-en-ciel culturel breton". C’est ainsi qu’il a pris sa part dans le combat de la famille du petit Fañch, pour faire reconnaître le tilde sur le "n" de son prénom, estimant de manière sans doute excessive que cette affaire aurait "fait trembler la République". Il préside actuellement le Conseil culturel de Bretagne pour un deuxième mandat.
Une chronique bretonne hebdomadaire
Depuis cinq ans, il publie chaque semaine dans "Dimanche Ouest-France" une chronique dans laquelle il invite ses lecteurs à découvrir les trésors du breton écrit. Il prolonge ses chroniques par les billets un peu plus développés qu’il poste au même rythme sur un blog dédié. On va considérer qu’il est loin d’avoir épuisé tout le matériau qu’il a à sa disposition.
Est-ce un point d’étape ? Toujours est-il que Bernez Rouz a réuni une centaine de ses chroniques en un ouvrage qui porte le même titre, soit "Trésor du breton écrit", avec en sous-titre "Teñzor ar brezhoneg skrivet". L’intérêt est qu’elles sont ici classées par thématiques, une petite vingtaine au total, qui vont des "perles d’un trésor englouti" à "l’étonnante attractivité de la seule langue celtique parlée sur le continent européen". Entretemps, il aura été question de la fin de la société traditionnelle et du renouveau de la littérature bretonne au XXe siècle, dans une acception très large.
Le principe est simple : produire en moins de 3 000 signes, soit deux pages (dans le livre), quelques citations pertinentes en breton d’un auteur, d’un article ou d’un ouvrage et en fournir entre parenthèses la traduction en français, le tout étant enrobé dans une présentation en français relativement succincte, qui dit l’essentiel, sans plus. Le propos peut être subjectif, parfois elliptique, rarement critique, parfois élogieux.
Aperçu
- Bernez Rouz fait remarquer par exemple que "jeunes talents et plumes confirmées se côtoient avec bonheur dans [la revue] Al Liamm [Le lien]" et loue "l’art consommé de la nouvelle" de l’écrivain Kristian ar Braz.
- Le trimestriel "Al Lanv" [Le flux] lui apparaît "comme une voix libre dans un monde qui restreint de plus en plus les libertés sous prétexte de pandémie". Une photo du magazine donne le ton puisque la une se revendique "Pour une Bretagne libre".
- Quand une autre trimestriel, Nidiad, cesse de paraître au terme de dix ans d’existence, de 40 numéros publiés et de "rêves à chaque page", Bernez Rouz présente ses contributeurs comme "un cercle de poètes et de philosophes bien dans leurs baskets de jeunes bretonnants".
- Lorsqu'il évoque le n° 669 de Ya !, c’est pour mettre en avant le pari réussi de l’hebdomadaire qui reflète "les couleurs du monde en breton".
Bref, ces chroniques dans Ouest-France et le livre qui les réexpose ne sont à chaque fois qu’un survol, mais ils donnent à ceux qui n’en savent rien ou qui n’en savent pas tout de découvrir en deux minutes de lecture le basique de ce que tout un chacun devrait savoir sur les écrits en langue bretonne à travers les âges. Il n’en subsiste pas moins une ambiguïté.
Intrinsèquement populaire ?
Dans la très brève présentation qu’il a placée en tête de son livre, Bernez Rouz expose en effet qu’il "rend justice à une culture populaire qui a une égale dignité avec les autres cultures du monde." L’égale dignité est incontestable. Mais il est difficile de considérer la culture bretonne comme étant intrinsèquement populaire. Elle est aussi une culture savante : l’écrit de langue bretonne, comme celui en latin ou en français, n’a longtemps concerné que ceux peu nombreux qui en avaient la maîtrise. L’apprentissage de la lecture ne se développera qu’au XIXe siècle.
Il a bien existé une littérature populaire de langue bretonne, des œuvres et des auteurs populaires. Mais il a existé et il existe toujours bien des écrits en breton qui ne sont accessibles qu’à des lettrés, voire à une élite de bretonnants ou même de brittophones. Le breton connaît comme toute langue des registres différents qui varient en fonction du contexte, du sujet dont on veut traiter et de celui à qui il s’adresse, du niveau de langue enfin qu’on mobilise à cet effet.
Deux ou trois autres remarques, pêle-mêle. En premier lieu concernant l’édition et bien plus la typographie que l’orthographe : dans ce livre, un correcteur aurait fait des merveilles. Les illustrations sous forme de petites vignettes en noir et blanc sont les bienvenues en fin de chapitre, mais une référence succincte à l’auteur ou à l’ouvrage recensé l’aurait été aussi, permettant au lecteur de savoir où le retrouver. Même s’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation, un index n’aurait pas été superflu.
Bernez Rouz. Trésor du breton écrit. Teñzor ar brezhoneg skrivet. Gourin, Éditions des Montagnes noires, 2022, 232 p. 18 €