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Le blog "langue-bretonne.org"
6 janvier 2022

2022 : Bloavez mad deoh a reketan / Je vous présente mes vœux de bonne année. Et quelques autres questions de langue bretonne

Bloavezh mat - 1

Tremen poent eo din, memestra, souheti eur bloavez mad 2022 d’am lennerien, ha zoken d’ar re n’int ket c’hoaz. Eur bloavez didrubuill ? Kared a-walh a rajen, en despet d’ar hleñved na baouez ket da darnijal a-uz d’on fennou hag en-dro deom. Sed ne hellan ket ober gwelloh evid adskriva pez am-oa laket amañ warlene dija d’ar memez koulz : eur bloavez mad, gand ma ne vo ket gwasoh evid warlene da nebeuta. Yehed, dreist-oll, da gement hini. Ra baro al levenez en-dro war bennou an dud.

  • Il n’est que temps que je présente mes meilleurs vœux de bonne année 2022 à tous les lecteurs de ce blog, de même qu’à ceux qui ne le sont pas encore ! Que ce soit une année sans souci ? J’aimerais bien, en dépit de l’épidémie qui n’en finit pas de rôder autour de nous. Je ne peux donc que me répéter par rapport à il y a un an. Que la nouvelle année soit surtout meilleure que la précédente. Une santé inébranlable à tout un chacun. Que nous puissions retrouver de l’allégresse et un entrain qui nous feraient tous du bien.

Le Premier de l’an… jour des cadeaux !?

Bernez Rouz chronique

J’ai bien aimé la chronique sur les "Trésors du breton écrit" (ici au pluriel) que consacre Bernez Rouz le 2 janvier dernier dans Dimanche Ouest-France. Il y fait état d’une histoire publiée en 1903 dans L’Ouest-Éclair, l’ancêtre d’Ouest-France (qui publiait déjà à ce moment-là un billet en breton sous le titre générique "Les lundis bretons"), sous la signature d’un certain G., sans plus de précision, si ce n’est qu’il est le fils d’un pêcheur et qu’il vit sur une île (voir la mise à jour, ci-après).

Languidic-2

Ce dernier évoque le temps de son enfance, soit une période qui pourrait remonter aux années 1860 (en fonction de son âge), au temps où dans les îles, écrit-il, les cadeaux alors s’offraient le premier jour de l’an, à l’occasion des étrennes (kalanna, en breton). La vogue des cadeaux de Noël n’est apparue que plus tard dans le courant du XXe siècle. Surprenant ?

Pas tant que ça. Car on retrouve des pratiques analogues dans la très belle "enquête au long cours" que Michel et Monique Oiry viennent de publier d’après une recherche ethnographique de Jean-Michel et Hélène Guilcher sur "Languidic, ce monde que nous aurions perdu" (parue aux éditions du CRBC). Ils rapportent qu’au premier jour de l’an "les enfants vont souhaiter la bonne année dans les maisons du village et des alentours […] Les gens leur donnent un sou ou deux." Les adultes aussi vont "les uns chez les autres, voisins et compagnons de travail, prendre le café, boire le flip…" Noël, par contre, était "en principe une journée de jeûne sévère". Si ce n’est qu’il était d’usage d’offrir du "bara bonimat", un pain spécial en forme de brioche, le pain de bienvenue.

Bloavez mad : le petit poème rimé de l’abbé Quéré

Bernez Rouz donne toujours un prolongement à sa chronique d’Ouest-France sur son blog, également intitulé "Trésor du breton écrit" (ici au singulier). Dans le cas présent, il reproduit en fac-similé l’intégralité du billet de G., paru dans l’Ouest-Éclair en 1903 dans lequel il présente aussi ses vœux de "bloavez mad" [bonne année] à ses lecteurs, en son nom propre et au nom du journal, s’il vous plaît. Pour illustrer son propos, il ne trouve pas mieux que de citer un court poème de circonstance, comme il s’en est beaucoup écrit en breton pour la nouvelle année, et qu’il emprunte aux "Kanaouennou Kerne" [Chansons de Cornouaille] de l’abbé Quéré. En voici le texte, dont vous remarquerez les rimes finales, suivi de ma traduction française :

Kanaouennou Kerne

Koz ha yaouank, kuitibunan
Bloavez mad d'eoc'h a reketan.
Dillad didoul war ho tiskoaz,
Labour didor, iod-silet poaz.
Kerc'h ha guiniz leiz an irc'hier,
Kaol ha panez er parkeier,
Krampoez lardet a gorfajou,
Kig ha farz a grabanajou ;
Aman melen leiz ar ribot,
Da gousket bep a vele blod ;
Eul loum gwin-ardant d’ar goazed,
Eun tasad kafe d’ar merc'hed,
Hed ar vuez kalon laouen
Hag en env bep a gurunen. 

À vous tous, anciens et jeunes, sans exception
Je souhaite une bonne année
De bons vêtements sur le dos
Un travail agréable, de la bouillie bien coulante.
Des choux et des panais dans vos champs,
Des ventrées de crêpes au beurre
Des poignées de kig-ha-farz
Du beurre bien jaune dans la baratte
À chacun son lit douillet pour dormir
Pour les hommes un verre d’eau-de-vie 
Pour les femmes une tasse de café,
Un cœur réjoui toute la vie
Et une couronne au paradis. 

Mise à jour, 7 janvier

Après avoir pris connaissance de ce que j’écrivais sur ce blog, Bernez Rouz m’informe qu’il a identifié le mystérieux billettiste G. de l’Ouest-Éclair : il s’agit de Glanmor, pseudonyme du poète Joseph Cuillandre, né à Molène en 1880. Le déroulement des fêtes de Noël et du Premier de l’an dont il fait état dans sa chronique de l’Ouest-Éclair en 1903 est donc plus récent que ce que j’écrivais supra. Il n’avait  que 23 ans à ce moment-là et fait référence à ce qu’il avait connu avant ses dix ans, soit avant 1890. Son témoignage concorderait donc avec celui des habitants de Languidic à la même époque ou presque.

Comment est-il devenu le billettiste bretonnant de l’Ouest-Éclair ? Selon Lukian Raoul (voir ci-après), il suivait en 1903 les cours du celtisant Jospeh Loth à la Faculté des lettres de Rennes, tout en étant le président de l’association des étudiants bretons. C’est assez naturellement qu’une connexion avait dû s'établir entre lui et la rédaction du quotidien rennais, à la recherche d’un collaborateur bretonnant.

Musique et danses bretonnes : le clergé compréhensif ?

Revenons à l’abbé Quéré. L’écrivain Abeozen lui consacre une quinzaine de lignes dans "Istor lennegezh vrezhonek an amzer-vremañ" [Histoire de la littérature bretonne contemporaine] et Lukian Raoul une colonne entière dans "Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien" [Dictionnaire des écrivains et linguistes]. Né à Plouénan en 1825, ordonné prêtre en 1850, Jean Quéré a notamment été vicaire à Saint-Louis de Brest et il a terminé sa carrière comme curé doyen de Châteaulin, où il décède en 1898. 

Matilin an Dall-1 Matilin an Dall-2

Comme l’abbé Quéré était reconnu comme un prédicateur hors pair, ses sermons ont été réunis en 1906, huit ans après sa mort, en deux forts volumes de plus de 800 pages en tout, à l’instigation d’un de ses confrères. Ses "Kanaouennou Kerne" avaient également été publiées post mortem, dès 1900 par l’Imprimerie de la rue du Château, également connue comme Société de la presse catholique, basée à Brest. L’ouvrage se présente comme un volume de 274 pages, avec des illustrations en noir et blanc ou en couleur, comme celles d’une chanson sur le sonneur Matilin an Dall qui fut très populaire en son temps. Et donc aussi ce petit poème de "Bloavez mad" repris dans l’Ouest-Éclair. 

Ce qui est curieux, c’est que les "Kanaouennou Kerne" ont été publiés sans nom d’auteur ! Le billettiste de l’Ouest-Éclair n’a cependant pas hésité à créditer l’abbé Quéré, comme si la chose était de notoriété publique, du moins dans le monde des lettrés bretonnants. L’omission du nom de l’auteur avait sans doute un autre avantage : comme c’était un membre du clergé, elle évitait à l’éditeur d’avoir à demander l’imprimatur de l’évêché ! Du coup, la couverture avec sonneurs sur une barrique au premier plan et danseurs de gavotte au pied du clocher en arrière-plan, bat en brèche l’assertion selon laquelle le clergé breton aurait toujours combattu les danses et les rassemblements festifs de ses ouailles. Il l’a fait, certes, mais dans sa préface, l’éditeur n’occulte pas le sens de sa démarche :

  • "Breizis a gâr an traou devot […] Mez carout a reont ive soniou ha guerziou […] Ar vro-ze eo Breiz-Izel" 
  • Les Bretons apprécient la dévotion […] Mais ils aiment aussi les sones et les gwerz […] Ce pays, c’est la Basse-Bretagne.

La synthèse vocale problématique des Kananouennou Kerne

Ce livre, dont on trouve un exemplaire à la bibliothèque Yves Le Gallo du CRBC, ne manque pas de révéler d’autres surprises. Car la bibliothèque du Harvard College, au sein de l’université du même nom, en avait fait l’acquisition le 27 janvier 1920 en vue de son intégration dans un fonds de littérature musicale. Et c’est ainsi que l’ouvrage a été numérisé par les bons soins de Monsieur Google. Cet exemplaire numérisé est proposé dans Internet Archive, un organisme à but non lucratif qui se consacre à l’archivage du Web, mais aussi à réunir le texte de millions de livres dans le cadre d’un projet Gutenberg. 

Plus besoin de vous rendre physiquement à la bibliothèque du CRBC : sur le catalogue en ligne, il vous est proposé de feuilleter l’exemplaire numérisé des "Kanaouennou Kerne" en quelques clics, d’en lire quelques pages ou intégralement, voire de l’imprimer si vous voulez. Qui l’eût cru ? Depuis sa mise en ligne, il a été vu 181 fois. Étonnant, tout de même.

Il y a cependant un hic. Car pour bien faire les choses, Internet Archive vous propose aussi le contenu du livre en audio, en cliquant sur une petite icône de casque en bas de page. Pour le "Bloavez mad" de l’abbé Quéré, ça donne ceci :

Bloavez_mad

À l’écoute, on reconnaît plus ou moins bien quelques termes ou expressions du breton. Mais très très peu. Le reste ne s’entend que comme des borborygmes ou de la bouillie d’avoine, d’autant que le rythme de diction est soutenu. De toute évidence, la lecture automatique de l’ouvrage en breton n’est pas au point et n'est pas du tout pertinente. L’explication est bien simple : la langue programmée pour la lecture automatique des textes bretons est… le français. Comme le chantait Boris Vian, il y a quelque chose qui cloche là-dedans… Peut mieux faire, sans aucun doute. Qui peut intervenir ? Ici en Bretagne ? Ou à Harvard University ?

Que cela ne gâche pas votre Bloavez mad ! 

Commentaires
M
Bloavez mad Fañch, joa ha prosperite, ha yehed anad eo !
Répondre
Le blog "langue-bretonne.org"
Le blog "langue-bretonne.org"

Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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