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Le blog "langue-bretonne.org"
17 février 2022

Gustave Flaubert en Bretagne, par les champs et par les grèves

Flaubert Par les champs-4

Avant la présente année Proust, 2021 aura marqué le bicentenaire de la naissance de Flaubert à Rouen le 12 décembre 1821. Selon le hors-série que "Le Monde" lui a consacré, la Normandie "sera toujours le point d'ancrage de Flaubert,". Mais Paris le subjugue. Et il est aussi un grand voyageur : le sud de la France après son bac, puis l'Italie en famille avec ses parents en 1845, lors du voyage de noces de sa sœur et de son mari. La Bretagne en 1847 et l'Orient entre 1849 et 1851, à chaque fois en compagnie de son ami Maxime du Camp. Carthage enfin en 1858, après le succès de Madame Bovary, pour finaliser la rédaction de son nouveau roman, Salambô.

Une révolution littéraire

Le journaliste Yann Plougastel, rédacteur en chef adjoint des suppléments du Monde, décrit  Gustave Flaubert comme un "forçat illuminé de l'écriture", ajoutant qu'il a été "l'écrivain qui, en une poignée de romans, révolutionna la littérature tant française que mondiale du XIXe siècle." Flaubert avait une haute conscience de l'exigence qu'impose un travail d'écriture à un auteur. Dans le portrait que dresse de lui Marie-Hélène Lafon, elle-même écrivaine, elle produit dans le même hors-série deux citations extraites de sa correspondance à une petite vingtaine d'années de distance :

  • "Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l'humanité". Lettre à sa maîtresse Louise Colet, en mars 1854, au moment où il rédige son roman "Madame Bovary". 
  • "J'écris (je parle d'un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d'aujourd'hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra". Lettre de décembre 1872 à George Sand.

Il n'est pas surprenant que ce qui retient l'attention surtout et toujours dans l'œuvre de Flaubert, ce sont ses romans, l'auteur ayant pourtant été poursuivi en justice à leur parution pour atteinte à la morale et à la religion. S'exprimant sur "le style de Flaubert", Marcel Proust (voir le message précédent) assurait en 1920 qu'il "a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant" (cité dans le hors-série du Monde, p. 90).

Bouet et Perrin

Illustration :  L'éducation en ville, ou likèss, au début du XIXe siècle. Dessin d'Olivier Perrin en 1835. Bibliothèque du Centre de recherche bretonne et celtique (UBO, Brest).

"Par les champs et par les grèves", une édition tardive, bien trop tardive…

Gustave Flaubert et Maxime du Camp ont rédigé ensemble le récit de leur voyage d'une centaine de jours en Bretagne en 1847, qu'ignorent généralement les flaubertistes autant que les flaubertiens. Les deux écrivains l'avaient minutieusement préparé pendant un an avant d'y aller. Ils avaient initialement prévu de rédiger leur journal au jour le jour avant d'y renoncer. Mais ils l'ont fait quelques années plus tard, Flaubert se chargeant des chapitres impairs et Du Camp des chapitres pairs. Les deux écrivains n'avaient pas le projet de les publier

Ce n'est cependant qu'après son décès qu'ont été publiés ceux de Flaubert en 1886. Et il a fallu attendre près d'un siècle pour que paraisse en 1973 la première édition intégrale, soit très exactement 126 ans après le voyage que firent les deux auteurs. Le titre, "Par les champs et par les grèves", est assurément attrayant et l'ouvrage a été maintes fois réédité depuis.

Histoire-litteraire-tome-II

Comment expliquer ce succès posthume ? Eugène Bérest en fournit sans doute la clé dans sa contribution au volume II de l'Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. Ce Saint-Politain, agrégé de lettres classiques et qui fut maire de Brest et député du Finistère dans les années 1970 pour de courts mandats, a enseigné tour à tour à Brest, Bratislava et Buenos-Aires avant de revenir à Brest. 

Ce livre affectueux

À propos du récit de voyage de Flaubert en Bretagne, il affirme d'emblée que "face aux pages orientées et partiales de Balzac, Michelet, Hugo, Mérimée et quelques autres, [c'est] le seul texte où la Bretagne est regardée sans préjugés (ou presque) et par un œil qui sait voir". Il ajoute que "voici un homme, le premier et le seul, qui, tout en étant conscient d'aller vers le bout du monde, aborde la Bretagne avec un esprit disponible, accueillant, sympathique au sens profond du terme." 

Eugène Bérest formule néanmoins dans un premier temps l'hypothèse d'un "texte maudit". Pourquoi ? Parce qu'il a attendu trop longtemps avant être publié à la fin du XIXe siècle à un moment "où l'image de la Bretagne est trop figée [par les ouvrages qui l'ont précédé] pour pouvoir connaître une modification", alors que les tableaux et les choses vues par Flaubert seront "transposés ou métamorphosés" dans ses romans et dans ses contes — ce qu'aucun de leurs lecteurs ne pouvait et ne peut évidemment pas deviner.

Car, insiste E. Bérest, il n'y a chez Flaubert "nul mépris, nulle condescendance" à l'égard d'un paysan breton de Rosporden : "la Bretagne pittoresque, déjà 'classique' en 1847, est délibérément refusée […] Le contact est, au sens premier du terme, immédiat avec une nature que constituent la mer, le vent, les herbes, le varech, le sable." Il faut lire Eugène Bérest avant de relire "ce livre affectueux" qu'est à ses yeux "Par les champs et par les grèves".

Dussard Fantaisie-1

Les compagnons du tour de Bretagne d'hier et d'aujourd'hui

Le journaliste Thierry Dussard assure que dans "Par les champs et par les grèves","un livre méconnu" selon lui, "l'on sent toute l'ironie et les fulgurances du futur écrivain". Contribuera-t-il à faire reconnaître ce livre ? Toujours est-il qu'après avoir été confiné entre son grenier et sa cave comme tout un chacun il y a deux ans et dans le Finistère, virus oblige, il redécouvre Flaubert dans sa bibliothèque, le relit et se dit que "l'écriture est la dernière aventure à tenter", bien conscient cependant que "n'est pas Flaubert qui veut".

Lui et sa femme Chantal entreprennent donc de suivre à peu près le même itinéraire que les "compagnons du tour de Bretagne" comme se définissaient Flaubert et Du Camp à l'époque, sans savoir qu'ils effectuaient ce qu'il est de bon ton aujourd'hui de nommer un Tro Breiz. Les Dussard eux le savent et prennent effectivement la route un matin de juillet, oui mais à bord d'une Peugeot blanche. Et non pas à pied : on est au XXIe siècle tout de même !

Thierry Dussard connaît ses classiques. Il cite Stendhal dans le texte, mais aussi Chateaubriand, Tristan Corbière, Victor Segalen et Flaubert lui-même, bien sûr. Il virevolte d'une association d'idée à une autre, jouant facilement sur les contrastes et les ruptures de l'histoire. Quand Flaubert et Du Camp n'ont vu à Landerneau qu'une promenade d'ormeaux au bord de la rivière, lui se régale à Landerne de galettes kraz à la crêperie Ar vamm Fave – citer quelques mots de breton, c'est tendance, n'est-ce pas, bien qu'un peu ironique ici peut-être ? Il fait le plein chez Leclerc et ses courses dans "les modernes enclos paroissiaux" que seraient nos centres commerciaux – là, la comparaison est inappropriée, vraiment. Ce qui ne l'empêche pas quelquefois d'user d'une métaphore parlante pour observer que "plus encore que le reste de la France, la Bretagne semble s'être davantage déchristianisée, et rejeter maintenant la religion comme un sol trop longtemps gorgé d'eau".

Thierry Dussard doit être quelque peu épicurien pour se définir lui-même comme un "écriturien".  Le titre qu'il s'est choisi, "Fantaisie vagabonde" reflète bien l'ambiance de son livre, qui se veut aussi pétillant qu'une bouteille de cidre, agréable à lire, certes, mais reste superficiel.

Pour en savoir plus

  • Gustave Flaubert, Maxime Du Camp. Par les champs et par les grèves / Édition critique par Adrianne J. Tooke. Genève : Droz, 1987, 834 p.
  • Gustave Flaubert. Voyage en Bretagne. Par les champs et par les grèves / présentation de Maurice Nadeau. Bruxelles : Editions Complexe, 1989, 368 p.
  • Gustave Flaubert. Voyage en Orient. Gallimard, Folio classique, 752 p. 
  • Gustave Flaubert, Le romantique enragé. Coordination : Yann Plougastel. Hors-série Le Monde, collection Une vie, une œuvre, [2021], 122 p., ill.
  • Eugène Bérest. L'itinéraire de Flaubert : Par les champs et par les grèves. Dans Jean Balcou et Yves Le Gallo (dir.), Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, Paris - Genève, Champion-Slatkine, 1987, vol. II, p. 211-218.
  • Thierry Dussard, Fantaisie vagabonde en Bretagne avec Flaubert. Paris, Paulsen, 2021, 181 p.
Commentaires
Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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