Hervé Le Borgne, mathématicien, Breton inconditionnel
Les obsèques d'Hervé Le Borgne ont été célébrées hier, mercredi, à Landerneau, dont il était originaire. Il était le fils de Théo Le Borgne, que j'ai sans doute connu avant lui, puisque j'ai pu l'interviewer en breton quand il était maire de la ville et conseiller général. Je n'ai probablement fait la connaissance d'Hervé qu'à son retour de Lyon, où il avait suivi un cursus de mathématiques financières, avant d'être recruté par le Crédit Mutuel de Bretagne. Je ne savais pas vraiment ce qu'était l'actuariat, alors que je l'ai vu en 1989 créer un institut de formation à cette profession au sein de l'UBO.
Hervé était aussi un militant aux multiples engagements et de fermes convictions, un inconditionnel de la Bretagne, ne s'affichant pas trop ouvertement nationaliste tout en l'étant au fond de lui-même. Il a milité au sein de diverses structures et en a créé de nouvelles lorsqu'elles n'existaient pas. Très proche de Glenmor (1931-1996) dont il appréciait les chansons à texte, il a été son légataire universel et s'est investi, après sa disparition, pour l'édition ou la réédition de l'intégrale de son œuvre, autant les disques que les écrits, y compris des inédits.
Lui-même a beaucoup écrit, par exemple un petit ouvrage au titre fort curieux : "Mais qu'allez-vous donc faire avec vos artichauts ?" sous la forme d'un essai sur la démocratie bretonne qui visait à contrer les arguments qu'il jugeait dérisoires de ceux qui dénigrent l'idée d'une Bretagne autonome. Il était enfin un homme de bonne compagnie, toujours disponible pour la discussion et l'échange. Il avait quitté son fief de Landerneau ces dernières années pour s'installer à Carhaix, où il se trouvait proche de Katig.
De nombreuses personnalités et militants connus ont assisté aux obsèques : Christian Troadec, le maire de Carhaix, Yann Jestin, ancien élu de Lesneven, Catherine Latour, ancienne présidente du Conseil culturel de Bretagne, la chanteuse Clarisse Lavanant, Yann Puillandre, Herve ar Beg… À la fin de la cérémonie, l'interprétation de "Kan-bale an ARB" [La marche de l'ARB] – que composa Glenmor - par Fañch Bernard à l'orgue et Yann Goasdoué à la bombarde a sonné comme un ralliement et laissé Yann Puillandre sans voix.
Deux de ses amis landernéens, Jean-Pierre Thomin, lui-même ancien maire de la ville, et Jean-Paul Le Bail ont pris la parole au cours de la cérémonie en l'église Saint Thomas. Je reproduis ici le texte de leurs interventions.
L'éloge d'Hervé Le Borgne par Jean-Pierre Thomin, en breton et en français
Herve, Ne felle ket d’az mignoned Landerne leskel ahanout da vond da varadoz ar Gelted heb eur henavo e brezoneg. Goulennet ez eus bet diganin hen ober.
- Tes amis de Landerneau ne voulaient pas te laisser rejoindre le paradis des Celtes sans t'adresser un au revoir en breton. Il m'a été demandé de le faire.
Meur a zen a oa ennout e gwirionez. Ar jedour da genta. Lorh a oa ennout da veza bet kaset da benn studiou hir ha diêz evid dond da veza feurjedour, an hini nemetañ e Breiz poent ‘zo bet, emezout, o labourad er CMB. Hag evid ma vefe reou all, ‘teus savet ar skol EURIA e Skol-veur Vrest, a zo unan euz da oberou pouezusa.
- Il y avait en toi en vérité plusieurs personnalités. Le mathématicien tout d'abord. Tu étais très fier d'avoir pu mener à terme un cursus universitaire long et difficile pour devenir actuaire, le seul en Bretagne il fut un temps, disais-tu, et tu travaillais au CMB. Et pour qu'il y en eût d'autres, tu avais créé l'EURIA (Euro-Institut d'Actuariat Jean Dieudonné), à l'Université de Bretagne occidentale à Brest. L'une de tes réalisations majeures.
Eun den a huñvre a oas ivez, ar pez a lakas ahanout da dremen euz ar jederez d’ar vro. Eur zoñj az-poa evid Breiz, az-poa c’hoant e vefe dieupoh, e vefe dalhet muioh a gont euz he yez hag he sevenadur. Ha digor e oa ar zoñj-se dreist-oll war Europa, a gonte kalz evidout, ken az-poa savet ar gevredigez "Breizh-Europa".
- Tu étais aussi un rêveur, ce qui t'a fait transiter des mathématiques vers ton pays. Tu avais une certaine idée de la Bretagne que tu voulais plus libre, qu'on valorise sa langue et sa culture. Une idée ouverte sur l'Europe, au point de créer l'association "Breizh-Europa".
Abalamour d’ar zoñj-se war Vreiz, out deuet moarvad da veza mignon braz gand Glenmor. Savet eo bet ganit ar gevredigez "Glenmor an distro" ha lakeet ‘peus ar haner da veva eun eil buhez. Adembannet ‘teus e oll ganaouennou, e varzonegou, e romantou, a-benn lakaad anezo da veza anavezet gwelloh gand an dud ha dreist-oll gand ar re yaouank. Daoust ha n’ema ket aze penn-oberenn da vuhez ? Kement-se n’e-neus ket miret ouzit da skriva meur a leor all, eun deg bennag a gav din, war Vreiz evel-just, hag ivez war an istor hag ar jederez.
- C'est sans doute en raison de cette idée de la Bretagne que tu es devenu l'ami de Glenmor. Tu as créé l'association "Glenmor an distro" [Glenmor le retour], pour faire vivre une seconde vie au chanteur. Tu as réédité l'ensemble de ses chansons, de sa poésie, ses romans, pour les faire mieux connaître du public et en particulier de la jeunesse. Est-ce que ce n'est pas là que se situe le chef-d'œuvre de ta vie ? Ce qui ne t'a pas empêché d'écrire plusieurs livres toi-même, une dizaine, je crois bien, sur la Bretagne bien entendu, mais aussi sur l'histoire et les mathématiques.
Eun den stard a oas, Herve. Stard war da vennoziou gand eur mennoz-stur : pep tra a hell hag a rank beza displeget. Ha plijadur az-poa o tabutal hag o klask sacha an dud war-zu da vennoziou-te. Eur blijadur a oa kaozeal ganit, med red e oa d'an nen beza sur euz e vennoziou-eñ. Brokuz e oas ivez pa oa bet touchet da galon.
- Tu étais un homme de convictions, Hervé. De fortes convictions, avec une devise : tout peut et doit être explicité. C'était un bonheur d'échanger avec toi, mais il fallait soi-même être sûr de ses propres convictions. Tu étais également généreux quand tu étais profondément touché.
Trugarez, Herve, ha kenavo. Merci, Hervé, et au revoir.
Jean-Pierre Thomin
L'éloge d'Hervé Le Borgne par Jean-Paul Le Bail
Au revoir, Hervé. Tu viens de nous quitter et devant tous tes amis ici rassemblés je souhaite évoquer quelques traits de ta personnalité multiple et complexe.
Le matheux bien sûr, l'homme des calculs mathématiques, le créateur de l'EURIA (Euro-Institut d'Actuariat Jean Dieudonné), au sein de l'Université de Bretagne occidentale à Brest. Mais aussi celui qui savait s'évader dans les chants et les champs de la poésie, ta dévotion pour Glenmor qui t'avait fait son légataire, l'homme d'écriture jusqu'à ce roman policier que tu m'avais fait relire il n'y a pas si longtemps.
Je ne partageais pas toutes tes passions. Il m'arrivait de les trouver excessives, mais c'est le propre des passions et tu savais tout donner sans compter aux causes que tu défendais : ton temps, ton argent, au point de te trouver parfois en difficulté.
Tu avais choisi de rester vivre sur ta terre bretonne alors que, jeune actuaire, tu aurais pu prétendre à une carrière lucrative dans les milieux financiers parisiens. Sur cette terre tu cultivais les amitiés et parfois aussi les inimitiés. Ton caractère ombrageux savait les susciter, mais ton cercle d'amis t'était fidèle et nous nous retrouvions tous les ans pour ton anniversaire, où à la fin du déjeuner tu prenais le micro et chantais.
Ton sens de l'amitié t'a amené à défendre et soutenir tes amis en difficulté. Pierre Loquet qui venait d'apprendre ton départ me disait : "sans Hervé je ne sais ce que nous serions devenus," si tu n'avais pas été là pour convaincre Louis Lichou de l'embaucher au CMB après les graves déboires qu'il avait subis. Notre entreprise, cette entreprise que nous avons tant aimée savait à cette époque être tolérante, accueillante et intégrer les hommes des marges que nous étions.
Tes dernières années ont été éclairées par la présence de Katig. Je me souviens de cette soirée où tu arrivas à la maison transformé, radieux. Tu voulais soigner ton look, demandais conseil à Elizabeth. Katig et toi veniez de vous retrouver à la foire aux livres de Carhaix et toi si pudique nous disait toute ta joie, toute ton émotion d'avoir renoué avec la jeune femme que tu avais connue lors de tes études à Lyon. Je garderai ce souvenir de toi.
Kenavo, Hervé.
Jean-Paul Le Bail
Merci à Katig pour le portrait d'Hervé en 2016, à Jean-Pierre Thomin et Jean-Paul Le Bail pour m'avoir transmis leur texte.