Les Priziou 2016 : c'était à Plougastel
C'est dans la salle de l'Avel-Vor [Le vent de mer], à Plougastel-Daoulas, que s'est déroulée hier soir la 19e cérémonie des Priziou, désormais présentés comme les prix de l'avenir de la langue bretonne. Ce sont pourtant bel et bien des prix du temps présent, puisqu'ils ont pour objet de distinguer les plus belles réalisations en breton de l'année écoulée, ou les plus significatives, du point de vue de l'expression culturelle ou relevant d'initiatives sociétales.
Les Priziou sont coorganisés par France 3 Bretagne et par l'Office public de la langue bretonne. Sept premiers prix ont été décernés au cours de la soirée à autant de lauréats, que ce soit des individualités ou des organisations.
Goulwena an Henaff et Yann-Herle Gourves sont des habitués et maîtrisent parfaitement leur rôle de présentateurs de Priziou. Élégamment habillés par deux créateurs stylistes, SirDjos pour l'un et Mélissa Thaëron pour l'autre, très à l'aise, ils ont assuré les enchaînements, questionnant l'un, passant la parole à l'autre, annonçant et désannonçant les sujets préenregistrés ou les intermèdes musicaux - avec une hésitation tout de même de temps à autre. Ils savent tout faire et le font bien. On se demande juste pourquoi Yann-Herle a tombé la veste en cours de cérémonie. Il est probable que sous les projecteurs…
Un jury muet
Le jury avait délibéré en amont. Il était composé de sept membres :
- Malo Bouëssel du Bourg, directeur de Produit en Bretagne, et désigné l'an dernier comme le brittophone de l'année
- Yannig Boulard, scientifique
- Nicolas Amaury, association Lutig
- Gwennan Stervinou, association Roudour
- Thiphaine Siret, association Bod Kelenn
- Meriadeg Vallerie, Office public de la langue bretonne
- Olöf Pétursdottir, écrivaine et traductrice.
Les jurés ont délibéré, mais ils ne se sont pas exprimés : ils avaient été gentiment invités à s'asseoir dans un fauteuil en fond de scène, au point que Goulwena s'est un moment demandé s'ils ne dormaient pas. Seul M. Bouëssel du Bourg a fait état de leur engagement et de leur enthousiasme, de la difficulté de leur tâche aussi. Les années précédentes, ce sont les membres du jury qui dévoilaient le nom des lauréats et qui exposaient en quelques mots les raisons de leur choix. On n'en a rien su cette année, et c'est dommage.
Les lauréats
Dans la catégorie "associations", le 1er prix a été attribué à Labourerien-douar Breizh - Agriculteurs de Bretagne, pour l'utilisation courante du breton dans leur communication. L'association a été créée pour renforcer les liens entre les agriculteurs et les Bretons. En recevant son prix, son président (et ancien président de la SICA de Saint-Pol-de-Léon), Pierre Bihan-Poudec a fait remarquer, que la civilisation paysanne est imprégnée de langue bretonne : tous les champs ont un nom en breton, a-t-il rappelé. Il vise aujourd'hui à la transmettre à la jeunesse.
Le 2e prix a été décerné à l'ADEC 29, Association pour le Dépistage des Cancers dans le Finistère, pour l'édition d’un dépliant d’information bilingue, et le 3e à l'AREP, pour avoir mis sur pied une formation diplômante en langue bretonne, en l'occurrence un CAP petite enfance.
Dans la catégorie "Livre de fiction",
- le lauréat a fait part de son étonnement d'être primé pour un premier roman. Il a produit non seulement une œuvre de fiction, mais un livre de science-fiction : “Udora pe afer an ed-du” [Udora, ou l'affaire du blé noir], paru aux éditions Al Liamm. Il s'agit de Pascal an Intañv, un trégorrois.
- Le 2e prix a été attribué à Goulc’han Kervella, écrivain reconnu et metteur en scène très connu, pour le roman “N’eus ket a garantez eürus” [Il n'y a pas d'amour heureux], paru aux éditions Skol Vreizh. Mais il n'a pas voulu se déplacer, et s'il avait été primé, c'est son éditeur qui se serait exprimé en son nom. On connaît ses réserves par rapport à ce type de manifestation.
- Le 3e prix est revenu à “Divemor” [Sans mémoire], un roman de Pierre-Emmanuel Marais déjà primé (éditions Al Liamm).
Vous ne connaissez pas le CNFPT ? Seuls les fonctionnaires savent que c'est le Centre national de la fonction publique territoriale. Le 1er prix dans la catégorie "Collectivités" a été décerné à sa branche finistérienne, pour la mise en place de formations à la langue bretonne, précisément à l'attention des fonctionnaires territoriaux.
2e prix : la Communauté de communes du Pays de Quimperlé, pour avoir pris l'initiative de publier une traduction en breton de l'intégralité de son magazine communautaire “Mag16”, et c'est le seul qui le fait à ce jour.
3e prix : la ville de Pont-Croix, pour son soutien à l’ouverture d’une école Diwan sur un territoire qui jusqu'alors ne disposait d'aucune offre d'enseignement bilingue.
Dans la catégorie "audiovisuel", les œuvres présélectionnées étaient assez disparates.
- C'est Mikael Baudu qui a eu les faveurs du jury, pour un documentaire de 52' tourné au Kurdistan : “Huñvreal an Nevez-amzer” [Rêver le printemps], dans lequel il décrit la situation des Kurdes de Syrie face à l'État Islamique (Production : Gwengolo Filmoù) et qui, après sa diffusion sur France 3.
- 2e prix : “Enseller Panda” [Inspecteur Panda], série de films d'animation pour enfants de Gilduin Couronné et Sébastien Hivert (Production : JPL Films).
- 3e prix : “Paotred al Loc’h” [Les gars du Loc'h], documentaire (28’) de Ronan Hirrien sur la vie d'un couple homosexuel en Centre Bretagne (Production : France 3 Bretagne).
La surprise du jour
Elle est venue de la catégorie "entreprise". Presque tout le monde, apparemment, s'attendait à ce que le premier prix aille à D’istribilh, la brasserie de Gwenole Ollivier à Plouider, qui a créé le buzz l'été dernier avec une vidéo en breton vue plus de 100 000 fois sur internet. Non seulement ça, mais elle a su lever des fonds en vue de son développement dans le cadre d'un financement participatif bien au-delà de ses espérances. Mais… les choix d'un jury sont impénétrables.
Celle qui a finalement obtenu le 1er prix dans cette catégorie l'a reconnu elle-même, quelque peu éberluée. Il s'agit de Sylvie Bruna, qui a créé Numéribulle, une maison d'édition de livres pour enfants en version papier et en version numérique, à lire et à écouter, en français ou en breton : ceux de Maïwen Morvan sont parmi les plus lus et les plus téléchargés.
Parce qu'en plus, S. Bruna, il suffit de l'écouter, elle… ne sait pas le breton. Elle est donc la seule à s'être exprimée en français lors des Priziou 2016 (mais ce n'est pas tout à fait la première fois que ça arrive). Le public ne lui en a pas tenu rigueur et l'a fortement applaudi lorsqu'elle a déclaré en terminant "vive les langues régionales" et annoncé qu'elle allait aussi éditer des livres en basque, en corse, en chti et en créole pour les enfants.
D'istribilh obtient donc le 2e prix, et le camping du Conguel à Quiberon le 3e , pour sa signalisation bilingue.
Nolwenn Korbell, primée pour la 3e fois
Pour ce qui est du disque chanté en breton, le suspense n'était pas si fort. Je reconnais que je n'avais pas entendu “Heol Gor” [Soleil de plomb] de Dañs er Jeko (auto production), qui a obtenu le 2e prix, ni “Brein” [Pourri] (auto production également) qui a eu le 3e.
Mais je n'ai pas été si surpris d'entendre que le 1er prix de cette catégorie était attribué à Nolwenn Korbell pour son nouveau CD : “Skeud o roudoù” de (Ed. Coop Breizh). C'est la 3e fois que Nolwenn est distinguée lors des Priziou. Elle l'avait déjà été en 2003 pour son premier album, "N'eo ket echu" [Ce n'est pas fini], puis en 2008 au titre de la meilleure expression en breton. Elle a également été "Coup de cœur" du Télégramme en 2006.
Elle a fait savoir par Jonathan Dour (voir message précédent) qu'elle ne pouvait être à Plougastel hier soir, puisqu'elle se trouvait "dans une autre ville de Bretagne, à savoir Nantes". Le message a été instantanément décodé dans la salle.
"Le" ou "La" ?
Restait à savoir qui serait le ou la "brittophone" de l'année. Parce qu'il y avait une femme parmi les nominés : Darlene Arokoh, une Kenyane, polyglotte déjà, qui apprend maintenant le breton et qui souhaite défendre les langues autochtones de son pays d'origine. Dans un contexte où il est tant question partout de migrants et de réfugiés, ce n'est pourtant pas elle qui a été retenue, mais elle a obtenu le 3e prix.
Le chanteur Krismenn obtenant le 2e pour les stages de chant qu'il organise et pour sa prestation de l'été dernier sur la grande scène des Vieilles Charrues, c'est Romain Sponnagel qui a été distingué. Je l'avais déjà entendu interviewer par Jean-Pierre Guyader sur Radio-Breizh, il y a quelques jours. S'il a été reconnu comme étant "le" brittophone de l'année, c'est en raison de son implication pour le développement de l’enseignement du breton dans le Pays de Saint-Brieuc et pour l'ouverture d'une maison des cultures bretonnes dans le quartier du Légué. Il est en outre à l'initiative de l’appli Stag, qui permet aux bretonnants de se repérer partout dans le monde à partir de leur smartphone.
Voilà donc le palmarès 2016 des Priziou. Sur la photo de groupe, je ne peux m'empêcher de vous inviter à regarder le petit facétieux qui veut se faire remarquer à gauche. Tous les premiers prix se sont vus remettre
- par France 3 Bretagne un trophée signé de Michel Le Gentil, céramiste au Tréhou,
- ainsi qu'un chèque de 1 500 € décerné par l'Office public de la langue bretonne au nom du Conseil régional de Bretagne, s'il vous plaît. Mme Lena Louarn était d'ailleurs présente.
- L'Office remet également un chèque de 500 € à chacun des seconds et des troisièmes prix.
L'animation musicale était assurée par Youn Kamm et son groupe, ainsi que par le bagad du Bout du monde, qui venaient des rives de la rade de Lorient. Youn Kamm est trompettiste, joueur de biniou, flûtiste et chanteur. Il est passé par la Kreiz Breizh Akademi et a sorti un CD tout récemment. La chanteuse Morwenn Le Normand l'accompagnait également hier soir.
Le programme annonçait des "inspirations venues du large avec l'énergie du rock pour faire vibrer la tradition [vannetaise] de manière originale". Les spectateurs ont apprécié, et de l'avis de Bernez Quillien - un connaisseur - c'était réussi.
La retransmission, dont la réalisation était assurée par Avel Corre, est programmée pour demain dimanche 31 janvier, à 10 h 55 sur France Bretagne, en version bretonne sous-titrée en français. Elle sera rediffusée lundi 1er février à 8 h 50 en région Bretagne et en Loire-Atlantique. On devrait pouvoir la visionner ensuite sur le site pluzz.fr en cherchant "Bali Breizh".